Intervention de Amiral Christophe Prazuck

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 10 octobre 2018 à 9h45
Projet de loi de finances pour 2019 — Audition de l'amiral christophe prazuck chef d'état-major de la marine

Amiral Christophe Prazuck, chef d'état-major de la Marine :

Pour ce qui est des hélicoptères, dans le PLF 2019 il est prévu que nous louions une flotte intermédiaire pour remplacer les Alouette III et les les Lynx. Le coût de cette location correspond approximativement au coût du MCO de ces hélicoptères d'ancienne génération : Ces hélicoptères remplaceront à la fois les Alouette III et les NH90 sur les plots de service public. Nous gagnerons ainsi en disponibilité et donc en heures de vol. Il s'agit d'une disposition qui me satisfait.

S'agissant du Brexit, les relations militaires entre la France et le Royaume-Uni sont cadrées par les accords de Lancaster House. J'ai déjà exprimé combien je me sentais proche de la marine britannique qui est à la fois dans sa tradition, dans l'emploi de ses bateaux, dans sa corpulence, très similaire à la marine française. Paris et Londres ont, à cet égard, plusieurs projets en commun : le programme MMCM, en matière de guerre des mines ; le programme FMAN/FMC de remplacement des missiles de croisière et des missiles antinavires ; aujourd'hui, la frégate britannique « Duncan » est présente aux côtés de l' « Auvergne », dans le canal de Syrie ; en mer de Chine Méridionale, des frégates britanniques sont également présentes. Les Britanniques sont déployés sur les mêmes théâtres d'opération et agissent de manière coordonnée avec nous. Dans les faits, le Brexit aura une influence sur l'opération maritime européenne ATALANTA, qui est commandée depuis Northwood au Royaume-Uni. À l'issue de la décision de retrait de l'UE, il a été décidé que cet état-major de commandement européen serait transféré de la Grande-Bretagne vers le Continent : le centre de commandement sera à Rota, en Espagne, et le centre de renseignement à Brest, en France.

Nombre d'entre vous ont fait référence au Big Data et à ARTEMIS. Il est évident que les opérations maritimes produisent des millions de données, non seulement des données satellites, mais aussi des données de transpondeur. Analyser celles-ci de manière automatique par recours à l'intelligence artificielle et aux technologies du Big Data est une de nos ambitions, un de nos objectifs. Il y a plusieurs strates de données : des données que tout le monde peut trouver sur internet - comme la position des bateaux - et des données qui sont plus protégées, pas échangeables. Cette hétérogénéité demande donc d'être capable de conduire une analyse à chaque niveau, de l'enrichir avec des données des niveaux différents et in fine d'avoir, pour les besoins militaires, l'analyse la plus fine possible. À travers nos partenariats avec l'école 42 (des jeunes programmeurs) et avec Thales, nous avons ébauché des solutions à ces défis. D'autres types d'applications des technologies de l'IA sont aussi possibles, je pense à la maintenance prédictive sur laquelle la marine collabore avec Naval Group : la maintenance prédictive permettra à un véhicule d'envoyer en permanence tous les paramètres au personnel responsable de l'assistance.

J'aborderai maintenant la question de la marine chinoise et de son niveau technique. Il me semble que la marine chinoise n'a pas encore le niveau technique de la marine américaine ou des marines occidentales. Ils y travaillent, toutefois, avec beaucoup de détermination. Je constate par exemple que, sur les porte-avions, elle n'a que des avions d'interception aérienne, des J-15, qui n'ont pas une variété de missions comparable à celle des Rafale du Charles de Gaulle ou des F-18 des porte-avions américains. Mais je pense qu'ils rattraperont rapidement leur retard, compte tenu de leur dynamisme.

Que faisons-nous aujourd'hui ? Les bâtiments français ont été, pendant plusieurs années, les seuls bâtiments militaires européens à transiter en mer de Chine Méridionale. Cette année, nous avons été rejoints par les Britanniques. L'objectif d'une présence régulière est de montrer notre attachement au droit maritime international, qui est pour nous essentiel. Nous continuerons de marquer cet attachement, en poursuivant nos déploiements en mer de Chine Méridionale.

Concernant Euronaval et le rapprochement entre les industries, il y a de mon point de vue de Chef d'état-major, un objet essentiel pour l'autonomie de notre pays : le sous-marin nucléaire. Savoir construire un sous-marin nucléaire ne se partage pas. Ce savoir-faire constitue le diamant de la couronne. Ensuite, les systèmes de combat pour la mise en oeuvre des sous-marins, également très importants. Au-delà de ce domaine « réservé », nous pouvons coopérer en international dans un grand nombre de domaines, en conservant notre autonomie de façon sélective. Ainsi, par exemple, le système de guerre électronique des FREMM a été développé par l'Italien Leonardo, mais la base de données est nationale. Il en va de même s'agissant des armes : en ce qui concerne celles qui sont dites défensives, la coopération peut aller de soi. À cet égard, remarquons que les missiles Aster sont réalisés par le développeur franco-britannique MBDA. En revanche, quand on parle d'armes offensives, il me semble que la question de l'autonomie stratégique se pose différemment.

Vous m'avez également interrogé sur la disponibilité et les contrats opérationnels de la marine. Alors que les crédits consacrés à l'entretien programmé du matériel naval sont en augmentation, la marine va néanmoins devoir diminuer le nombre de jours de mer afin de pouvoir financer la régénération du Rubis, dont l'utilisation sera prolongée en attendant l'arrivée du Barracuda, prévue en 2020, et des chasseurs de mines tripartites, prolongés en raison du décalage du programme SLAMF.

Sur la disponibilité en outre-mer, vous avez formulé la crainte que la modernité des nouveaux bateaux que nous y enverrons renchérisse leur coût de MCO. Il se trouve qu'outre-mer nous envoyons des bateaux peu complexes, construits aux normes civiles. Nous n'avons pas besoin d'un porte-avions en Nouvelle Calédonie, nous n'avons pas besoin d'un sous-marin nucléaire à Papeete, nous avons besoin d'un bateau résistant, construit aux normes civiles, qui arbore le pavillon. Des bateaux qui sont souvent construits chez Piriou à Concarneau, ou par « Kership », la « joint-venture » entre Naval Group et Piriou. Ce sont des bateaux rustiques et j'attends d'eux qu'ils aient une excellente disponibilité. C'est le cas aujourd'hui des B2M, c'est le cas des patrouilleurs légers guyanais, construits par Socarenam dans ses chantiers de Saint-Malo et de Boulogne-sur-mer. Puisqu'ils sont rustiques, je ne crains pas une explosion du coût du MCO sur ces bateaux en outre-mer.

Quant à la question de la formation : Il existe plusieurs niveaux d'entrée dans la marine : on peut y accéder comme officier ou directement en tant qu'officier marinier, c'est-à-dire l'équivalent de sous-officier, à l'école de maistrance. La marine va ouvrir une nouvelle école de maistrance à Toulon où on recrutera au niveau BTS. Il est vrai que les chiffres des temps de formation continuent de diminuer. Ils ont diminué de 20% et, à cet égard, je constate régulièrement une certaine la frustration des officiers et des officiers mariniers dans les rapports sur le moral. Ils estiment que certains de leurs subordonnés sont insuffisamment formés.

La réduction excessive du nombre de jours de formation concerne principalement les matelots, qui sont recrutés au niveau BAC/BAC Pro. Une des solutions sur lesquelles nous travaillons, notamment pour les bateaux à double équipage, est de conduire une partie de la formation, sur des simulateurs. Aujourd'hui, les sous-mariniers apprennent les fondements théoriques de leur métier à l'école atomique à Cherbourg, puis, sur le plan pratique, s'entraînent en grande partie sur des simulateurs. Ainsi, le futur équipage du premier sous-marin nucléaire d'attaque Barracuda, s'entraine, depuis maintenant deux ans, sur un simulateur. Nous vous avons présenté aux Universités d'été de la Défense un projet de simulateur en développement : il s'agit d'un masque qui permet grâce à des scenarios de réalité virtuelle, de s'immerger à bord du sous-marin, en le visitant entièrement ; grâce au masque, l'instructeur peut désigner des objets et interroger l'élève à leur sujet. Je mise sur ces outils qui sont aujourd'hui largement répandus, en particulier dans les domaines des jeux, mais qui sont applicables dans la marine. Si l'on réussit à lier la technique des jeux et la technique de la conception assistée par ordinateur, on peut arriver assez aisément à concevoir ce type de simulateurs grâce auquel je compte renforcer la formation des marins.

Le désarmement de certains bâtiments permet de doter d'autres bâtiments d'un deuxième équipage. Cela ne va pas sans difficultés car tous les postes de ne sont pas transférables, comme celui de commandant par exemple. Il faut également développer les compétences spécifiques au nouveau type de bâtiment. Il y a donc une transition à organiser.

Le double équipage n'est pas un objectif généralisable. Il ne concernera ni le porte-avions, ni les BPC, ni les frégates de lutte anti-aérienne car leurs équipages sont nombreux et cela aurait un coût trop élevé. En revanche, la priorité sera de doter les navires les plus sollicités, ceux qui subissent en ce moment la plus forte pression opérationnelle comme les FREMM et les patrouilleurs de Cherbourg. La transition sera progressive. L'instauration des doubles équipages nécessitera également d'adapter les infrastructures car les équipages à terre devront pouvoir s'entraîner sur des simulateurs et préparer leurs prochaines missions.

La féminisation est un objectif important. Vous avez vu que de nouveaux métiers ont été rendus accessibles aux femmes, notamment au sein des équipages des SNLE. Je souhaite faire progresser le taux de féminisation de la Marine qui stagne depuis plusieurs années à 14,5%, alors qu'il est plus important dans l'Armée de l'air (22%) ou dans l'US Navy. La féminisation va nous permettre de diversifier nos viviers de recrutement et de remporter la bataille des compétences. Il s'agit aussi de placer la Marine en phase avec les évolutions de notre société. Nous devrons nous tourner davantage vers les établissements d'enseignement général et pas seulement vers les établissements professionnels.

S'agissant du prélèvement à la source, l'intégration de cette modification dans les logiciels de paie, qu'il s'agisse de Source Solde ou de LOUVOIS, mérite une grande vigilance compte tenu de nos difficultés antérieures. Ce sont des systèmes complexes. LOUVOIS montre des fragilités particulières lorsqu'il s'agit d'effectuer des rappels de solde de mois précédents ou d'attribuer des indemnités spécifiques, ce qui arrive fréquemment en raison de la mobilité géographique inhérente à la nature de nos missions.

En matière de coopération européenne, nous avons déjà travaillé avec les Italiens sur plusieurs modèles de frégates et nous allons produire un nouveau pétrolier ravitailleur dont les commandes sont inscrites dans le PLF 2019. Avec les Allemands, nous sommes concurrents mais nos spécialités ne sont pas les mêmes : les Allemands produisent des sous-marins à vocation côtière, alors que notre spécialité est la conception et la réalisation de sous-marins océaniques opérant loin de leurs bases. S'agissant du système de combat aérien futur, il est attendu que les aéronefs puissent être catapultés depuis un porte-avions.

Les études lancées pour la conception d'un nouveau porte-avions sont actuellement des études à « grosses mailles ». Il s'agit de déterminer le type, le nombre, l'encombrement des aéronefs embarqués pour ensuite établir les modalités de catapultage, de production d'énergie et de propulsion du bateau. Il faut également engager des études prospectives pour savoir ce que sera le « capital ship » d'une Marine à l'horizon 2050.

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