Intervention de Christian Cambon

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 10 octobre 2018 à 9h45
Projet de loi de finances pour 2019 — Audition du général françois lecointre chef d'état-major des armées

Photo de Christian CambonChristian Cambon, président :

Nous sommes heureux d'accueillir le général Lecointre, chef d'état-major des armées, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019, qui revêt un caractère tout à fait particulier, puisqu'il s'agit de la première étape de la nouvelle programmation militaire (LPM) que nous avons adoptée cette année.

Mon général, vous savez toute l'attention que le Sénat a apportée à ce texte et son souhait de l'améliorer, à travers des amendements. Vous avez bien voulu en faire mention à plusieurs reprises. Je vous en suis reconnaissant au nom de la commission.

Le projet de loi de finances pour 2019, d'après les premières constatations de nos rapporteurs, est tout à fait conforme à la trajectoire de la LPM. Les crédits de nos armées sont marqués par une hausse significative dont nous nous réjouissons. Vous connaissez la position de notre commission : nous avons pointé, au cours de la discussion concernant la LPM, ses faiblesses et en particulier le fait que sa trajectoire reportait une grosse partie de l'effort après 2021 - mais nous n'y reviendrons pas. L'importance est que ce premier exercice budgétaire se déroule conformément aux engagements qui ont été pris.

Avant de vous laisser la parole, mon général, je voudrais vous interroger sur le coût réel des opérations extérieures (OPEX), qui détermine la véracité des engagements budgétaires.

En effet, cet été, le ministère évaluait ce coût à 1,2 milliard d'euros. Il y a quelques jours, la ministre des armées a indiqué que ce chiffre serait de 1,3 milliard d'euros. Ceci pose deux questions : comment financer ce surcoût de plus de 600 millions d'euros qui risque d'impacter la fin de l'exercice budgétaire 2018 ? Par ailleurs, quel est le montant de la part qui va peser sur les crédits de la défense, et où ces crédits vont-ils être prélevés ?

En second lieu, que va-t-il en être des OPEX en 2019 ? Certes, la provision a été relevée à 850 millions d'euros mais, comme on l'avait évoqué lors de la discussion de la LPM, on sera sans doute encore loin de leur coût réel.

Vous avez estimé, la victoire sur Daech étant en voie d'être consommée, que ceci allait avoir des conséquences sur l'engagement de nos forces et pouvait nous permettre de redéployer une partie de celles présentes dans cette région du monde, générant ainsi des économies, ne serait-ce que sur les munitions utilisées. Est-ce bien le cas ?

A contrario, les événements qui se déroulent en ce moment au Burkina Faso nous inquiètent. Alors que nous achevons une opération extérieure, ne risque-t-on pas d'en étendre une autre ? N'y a-t-il pas là une menace pour les crédits des armées ?

Général François Lecointre. - Mesdames et messieurs les sénateurs, je voudrais tout d'abord vous remercier et saluer le travail que vous avez collectivement conduit pour aboutir à la loi de programmation 2019-2025, telle qu'elle a été promulguée le 13 juillet dernier.

Je suis admiratif de votre qualité d'écoute et de la grande attention avec laquelle vous avez soutenu et proposé des orientations courageuses, qui permettront à nos armées de relever les défis d'un contexte sécuritaire qui se durcit.

C'est certainement grâce à votre travail et à votre précision que nous disposons aujourd'hui d'une LPM qui permettra l'effort de régénération et de modernisation dont nos armées ont besoin.

Traiter du projet de loi de finances soumis à votre examen est un exercice classique en cette période, d'autant plus important cette année que le PLF va donner le ton de l'exécution de cette LPM, qui constituera une indication forte pour la suite.

Je considère que cette première marche de la LPM traduit fidèlement l'ambition pour la défense et les armées portée par le Président de la République.

L'objectif que nous nous étions fixé était clair : mettre un terme à la contradiction manifeste entre la multiplication des défis sécuritaires à laquelle la France et l'Europe sont confrontées d'une part et la situation réelle de nos armées après des décennies de réduction de formats et de moyens d'autre part.

Pour atteindre cet objectif, il fallait évidemment réaliser un effort financier conséquent, dans un contexte budgétaire qui demeure contraint. Je ne peux que constater que l'effort est là. La mise en cohérence qui en découle doit être saluée sans retenue.

Dans les travaux de préparation de ce projet de loi de finances, nous avons veillé, derrière la ministre des armées, que chaque euro investi contribue directement à l'excellence opérationnelle de nos armées. Nous ferons preuve de la même vigilance dans l'exécution.

Je dirais, pour commencer, que le PLF 2019 est selon moi en étroite cohérence avec l'esprit et la lettre de la LPM. Il s'agit bien d'une LPM de renouveau, fruit d'une prise de conscience du déclassement qui guettait nos armées à court terme si nous avions continué à observer la position d'attentisme qui était la nôtre.

Le choix de conserver à la France un modèle complet d'armée et la volonté affichée de le moderniser éloignent ce risque de déclassement et vont conforter l'autonomie stratégique du pays. Ils permettent également d'envisager une autonomie stratégique plus large, à l'échelle européenne. Ce sujet est sensible et, je pense, suscitera débat ainsi que de très nombreux commentaires dans les mois et les années qui viennent. C'est une belle ambition en effet que cette autonomie stratégique européenne qui, aujourd'hui, me paraît indispensable.

L'espace européen est à la poignée de l'éventail de tous les risques sécuritaires : menaces étatiques à l'est, pression migratoire au sud, terrorisme dans notre proche zone d'influence et sur son propre sol...

Dans un contexte de remise en cause du multilatéralisme, de fragilisation des alliances et de bascule, par les États-Unis, du centre de gravité de la conflictualité vers la zone indopacifique, le continent européen devra sans doute affronter par lui-même tous les types de menaces que je viens d'évoquer.

Face à ces défis, l'attitude de la France est observée. Notre pays a fait le choix de la responsabilité. C'est en soi un signal fort.

Cette LPM a également su tirer les enseignements de la LPM 2014-2019. En effet, ses lacunes avaient conduit à une double correction, d'abord une actualisation en juillet 2015, puis la reconnaissance de besoins supplémentaires en avril 2016.

La LPM 2019-2025, en construction, a corrigé ces aspects. J'en donnerai quelques illustrations...

Tout d'abord une sincérisation de la ressource : les ressources de la LPM 2019-2025 reposent intégralement sur les crédits budgétaires, et non sur l'hypothèse de recettes exceptionnelles qui constituaient une part importante de la LPM précédente.

D'autre part, la sincérisation de la ressource découle également de la provision OPEX-MISSINT, qui a été réévaluée pour « coller » davantage au coût réel de nos engagements extérieurs. Ce « soclage » est de 650 millions d'euros en 2018. Il sera de 850 millions d'euros en 2019 et 1,1 milliard d'euros à partir de 2020. À cela s'ajoute une provision spécifique pour la masse salariale des MISSINT de 100 millions d'euros.

Les lacunes qui avaient caractérisé la LPM précédente en matière d'infrastructures sont aujourd'hui corrigées. Ce domaine a un impact sur la sécurité tout autant que sur la préparation opérationnelle ou la condition du personnel. Le budget relatif aux infrastructures fait l'objet d'un effort particulier : il sera porté à 1,4 milliard d'euros par an en moyenne entre 2019 et 2022 ce qui, par rapport à la précédente LPM, représente un effort de 25 % sur la période. Cela me paraît constituer une véritable prise en compte des insuffisances précédentes.

Cette nouvelle LPM de modernisation va permettre de réduire les impasses capacitaires que nous avions consenties précédemment. Elle fait le choix d'une modernisation accélérée d'un certain nombre d'équipements structurants de nos armées. Elle prend également en compte la nécessité d'une amélioration de notre préparation opérationnelle : un effort marqué a été consenti au profit de la disponibilité des matériels et de l'activité des armées. C'est un facteur de crédibilité et d'efficacité de nos forces. Au cours de la LPM 2019-2025, le niveau d'activité devrait amorcer une progression visant à atteindre les normes qualitatives communément prescrites :

- 90 journées de préparation opérationnelle (JPO) pour l'armée de terre, contre 81 aujourd'hui et 72 en 2016, avec une augmentation nette des jours d'entraînement sur matériel majeur. On passera de 54 % en 2018 à 59 % en 2020. Cette augmentation est nécessairement lente, mais sera continue. Ceci est directement lié aux progrès que nous ferons en matière de maintien en condition opérationnelle (MCO) ;

- 110 jours de mer par bâtiment hauturier ;

- 180 HDV par pilote de chasse de l'armée de l'air.

Cette dynamique permet d'envisager une recapitalisation de l'ensemble des savoir-faire des armées à compter de 2023.

Aujourd'hui, la première annuité respecte la trajectoire financière fixée, avec une hausse de ressources de 1,7 milliard d'euros pour la mission « Défense ». Je pense que nous allons aborder ce travail de régénération programmé dans la loi dans de bonnes conditions.

Hors ressources exceptionnelles, les ressources de la mission « Défense » s'élèvent à 35,9 milliards d'euros, à comparer aux 34,2 milliards d'euros de la loi de finances 2018, soit une augmentation de 5 %, et avec la précédente « première marche » de la LPM précédente, pour laquelle nous étions à 31,4 milliards d'euros, dont 1,77 milliard d'euros de ressources exceptionnelles.

En 2019, les éventuelles recettes issues de cessions viendront, en complément des 35,9 milliards d'euros, abonder la politique d'investissement, notamment en matière d'infrastructures.

Cette première annuité reflète clairement les choix qui ont été posés par la LPM, qui comporte quatre volets. Le premier volet concerne la prise en compte du facteur humain. L'objectif est de garantir aux personnels de la défense les moyens de remplir leurs missions et leur donner les moyens de bien vivre leur engagement.

Ce travail s'inscrit dans une démarche pluriannuelle. Il va falloir de la patience avant d'atteindre l'objectif fixé, mais certains effets se feront néanmoins sentir dès cette année dans différents domaines. Le fait de pouvoir donner dès cette année des signes concrets de l'amélioration des conditions de vie de nos hommes et d'exercice du métier est en effet essentiel. Je me suis exprimé à plusieurs reprises à ce sujet. Nous avons créé de l'impatience en annonçant l'effort budgétaire qui est consenti par la Nation. Nos soldats comprennent que la situation ne peut cependant pas être immédiatement résolue. Pour autant, il faut que nous montrions très concrètement que les premiers effets ont déjà eu lieu.

Sur le plan des ressources humaines, le PLF 2019 prévoit la création nette de 450 emplois au sein du ministère, dont 242 dans mon périmètre. Ces emplois seront principalement dédiés au renseignement, à la cyberdéfense et à l'action dans l'espace numérique de manière générale.

Par ailleurs, la hausse du titre II de 1,3 % est certainement, au-delà de la montée en puissance des effectifs, liée aux mesures catégorielles relatives à l'attractivité et à la fidélisation du personnel militaire et civil. Des queues de mesures ont déjà été décidées au préalable.

La préparation opérationnelle constitue le deuxième volet pris en compte dans le PLF 2019. Les crédits alloués à l'entretien programmé des matériels (EPM) augmentent de 7 % par rapport à la LFI 2018. On devrait ainsi obtenir un accroissement à court terme de la disponibilité des matériels.

L'infrastructure, qui a un impact direct sur les conditions de travail et de vie du personnel, va faire l'objet d'un effort particulier. 550 millions d'euros seront dédiés à l'entretien et à la rénovation du parc immobilier, avec une incidence directe en matière de conditions de vie du personnel.

Je suis très attentif à une plus grande implication des chefs d'état-major dans l'effort que nous allons produire et à sa définition, dans une logique de subsidiarité et de proximité qui me tient particulièrement à coeur, sur laquelle nous devons réorienter le fonctionnement de nos armées.

Je veillerai également que des moyens accrus soient délégués aux commandants de base de défense, avec le souci de « coller » au plus près des besoins de terrain.

En 2019, 57 millions d'euros seront investis dans le cadre du « Plan famille », lancé il y a un an. A ce jour, 70 % des mesures sont mises en oeuvre, au moins partiellement.

Ces mesures sont concrètes. Il faut que nous donnions des signes précis et réels des progrès réalisés :

- Wi-Fi gratuit : en six mois, 100 000 lits d'hébergement et des dizaines de lieux de convivialité en enceinte militaire en bénéficient. L'extension de cette mesure à l'outre-mer est à l'étude ;

- 130 places de crèche supplémentaires ont été ouvertes à la rentrée 2018. L'objectif est d'augmenter ces places de 20 % en quatre ans. Cela paraît dérisoire, mais c'est néanmoins important, 55 % des militaires ayant des enfants et 3 % constituant des familles monoparentales ;

- l'hébergement en Île-de-France fait l'objet d'un effort particulier avec, en 2019, la création de 150 places supplémentaires pour célibataires et célibataires géographiques ;

- l'aide aux parents exerçant un droit de visite : cette mesure permet d'apporter une aide ponctuelle par le financement d'un hébergement qui autorise l'exercice du droit de visite dans de bonnes conditions. Depuis février 2018, 239 prestations ont été délivrées ;

- l'aide à l'emploi du conjoint : fin septembre 2018, 1 500 conjoints étaient inscrits à « Défense Mobilité » en vue d'un reclassement. Ce chiffre est à mettre en rapport avec les 1 000 conjoints inscrits à la même date l'an dernier, soit une augmentation de 50 %.

Ce Plan famille est vivant. Il continuera d'évoluer. Il s'enrichira de nouvelles mesures proposées par la base. Je tiens à saluer ici la très grande implication du commandement de proximité, qui s'est employé à décliner les mesures à son niveau, et qui continuera d'en proposer de nouvelles.

Un deuxième volet est constitué par l'effort de modernisation. Il s'agit de compenser le vieillissement accéléré des matériels militaires. Nous avons réalisé une avancée sensible en matière de modernisation des équipements. Les crédits sont en augmentation de 7 % par rapport à 2018, s'établissant à 19,56 milliards d'euros.

La montée en puissance de certaines capacités va se poursuivre avec, notamment, la livraison de nouveaux équipements :

- pour l'armée de terre : 89 véhicules blindés Griffon, 4 Tigre rétrofités HAD, 8 NH90 Caïman et 8 000 HK416 ;

- pour la marine nationale : 1 FREMM, 2 NH90 et 2 ATL2 rénovés ;

- pour l'armée de l'air : 1 A400M, 1 MRTT, 2 KC-130J et 2 systèmes de drones Reaper.

Parallèlement, dans le cadre de la préparation de l'avenir, les programmes CUGE de guerre électronique et FLOTLOG entreront en phase de réalisation.

Enfin, l'effort en matière de dissuasion se poursuit. Sur 19,5 milliards d'euros de crédits d'équipement, 4,5 milliards d'euros y seront consacrés, pour atteindre 6,2 milliards d'euros en 2025.

L'enjeu est de garantir le maintien de la crédibilité de la dissuasion à l'horizon 2035 au travers de la modernisation de ses composantes océanique et aéroportée, et des moyens de liaison qui y sont associés.

Troisième volet : l'effort d'exploration. Il s'agit de créer les conditions internes pour penser et agir autrement, afin de rester à l'avant-garde de la créativité à finalité opérationnelle.

Les crédits alloués à la recherche et à l'innovation au PLF 2019 répondent à cette exigence. Les études amont s'élèvent à 758 millions d'euros, soit une augmentation de 6 % destinée à financer notamment les travaux relatifs au futur porte-avions, au char de combat de demain ou au système combat aérien futur (SCAF).

Vous noterez le décalage qui existe entre les appellations de ces trois grands programmes structurants qui prépareront nos armées de demain et garantiront nos capacités opérationnelles : char de combat de demain, porte-avions du futur et système de combat aérien futur. Il faut que nous demeurions, au stade amont, très ouverts aux pistes que nous pouvons explorer.

Le quatrième volet est constitué par un effort en matière de coopération. Je vous l'ai dit : la construction d'une autonomie stratégique européenne est aujourd'hui indispensable. C'est tout le sens de l'Initiative européenne d'intervention (IEI) portée par la France. Huit pays européens y ont souscrit, dont la Grande-Bretagne. La Finlande est sur le point de nous rejoindre. L'objectif est de faire émerger une vision stratégique commune.

Cette vision partagée est une condition essentielle pour faire vivre des opérations souples de la façon la plus pragmatique possible, en utilisant au mieux les outils européens en cours de création, comme le Fonds européen de défense (FED), dont la France propose un usage principalement orienté vers les opérations et l'innovation.

De même, la Coopération structurée permanente (CSP) représente l'opportunité de réaliser à plusieurs ce que nous aurions eu les plus grandes difficultés à porter seuls. La France promeut dans ce cadre des projets visionnaires d'envergure stratégique, de nature à soutenir la compétitivité industrielle de l'Europe.

Quelques exemples :

- le projet de Tigre standard 3 ;

- le projet FLOTLOG, navire de soutien logistique de nouvelle génération que nous nous proposons de construire en coopération avec l'Italie ;

- le projet de missile antichar de cinquième génération.

À terme, nous souhaitons, dans ce cadre de la CSP, promouvoir des projets plus emblématiques, comme le SCAF ou le blindé futur.

Cette annuité bénéficie de la dynamique initiée par la loi de finances 2018. Il y a un an, je vous disais que le PLF 2018 créait les conditions d'une entrée réussie dans la LPM. Je le confirme aujourd'hui : avec des crédits en augmentation de 1,8 milliard d'euros par rapport à 2017, et un effort très significatif en matière d'entretien programmé des matériels et de protection des forces, 2018 a été une annuité essentielle à la consolidation de nos forces.

La hausse de la provision OPEX de 650 millions d'euros et l'effort porté sur la maîtrise du report de charges, ainsi que la reprogrammation de la quasi-totalité des annulations de 2017 devraient contribuer à assainir la situation.

La fin de gestion 2018 déterminera le véritable point d'entrée de la LPM. À ce titre, il est important d'obtenir rapidement la levée de la réserve de précaution afin de ne pas pénaliser l'activité des armées sur ces derniers mois.

Vous évoquiez également, monsieur le président, la question du financement des surcoûts OPEX et MISSINT. Je vous confirme qu'ils devraient se situer cette année à hauteur de 1,35 milliard d'euros. Le surcoût net restant à financer devrait être de l'ordre de 550 millions d'euros, déduction faite des provisions et des remboursements ONU à hauteur de 40 millions d'euros.

Je rappelle que les surcoûts, l'année dernière, s'élevaient à 1,54 milliard d'euros pour une provision de 491 millions d'euros. L'équation est donc moins difficile à résoudre cette année, les surcouts nets restant à financer ayant diminué de 44 %.

Je sais que la ministre des armées reste extrêmement attentive à ce sujet. Les modalités de financement des surcoûts sont en cours de discussion avec Bercy. Je fais toute confiance à la ministre pour faire preuve, comme elle a su le faire l'an dernier, lors de la fin de l'exécution budgétaire, d'une très grande pugnacité. Nous aurons, fin octobre, les réponses aux questions que nous nous posons aujourd'hui.

En tout état de cause, le plus important pour moi est d'obtenir la levée de la réserve de précaution.

Nous sommes désormais dans le temps de l'action. J'ai voulu l'orienter en concevant une vision stratégique, que j'ai distribuée aux armées, directions et services. J'ai demandé qu'elle vous soit également transmise à titre d'information.

Avant de répondre à vos questions, je voudrais vous en dire quelques mots très succinctement.

Tout part de la finalité des armées, tout entière contenue dans l'obligation de protéger et de défendre la France et les Français par la mise en oeuvre délibérée de la force légitime. J'ai le sentiment d'enfoncer des portes ouvertes, mais j'observe tous les jours, en discutant avec mes subordonnés de différents niveaux, que cette notion essentielle est trop souvent oubliée, ou confondue avec une mise en oeuvre qui ne serait pas délibérée, qui est le fait des forces de sécurité intérieure.

Cette obligation exorbitante fonde la singularité des armées, qui s'exprime à travers certains principes méritant d'être rappelés, comme la stricte subordination à l'autorité politique, la stricte discipline et la neutralité induites par le caractère exorbitant de l'usage de la force armée, ou la disponibilité et l'autonomie qui permettent aux armées de réagir sans délai, y compris en situation de chaos.

L'expression de cette singularité, à travers les quelques principes que je viens d'énoncer, en particulier celui de disponibilité ou d'autonomie, est parfois mise à mal par les évolutions que nous avons connues sous la pression budgétaire ou des réformes très brutales et très denses qui ont touché les armées ces dernières années.

De ces principes, je retire quelques orientations principales, qui structurent ma vision pour les armées. J'en citerai trois...

La première consiste à durcir les armées. C'est pour moi un impératif face au durcissement de la conflictualité. La résilience des armées concourt très directement à celle de l'État. Elle repose sur la disposition en interne de compétences qui permettent de continuer à fonctionner en situation de crise ou de chaos. L'augmentation de 6 000 ETP sur la durée de la LPM répond à l'impératif de disposer en propre de compétences rares ou critiques.

À cet égard, le processus d'audit en organisation (PAO), en cours, doit permettre de tirer le meilleur parti de cette augmentation progressive des effectifs. L'enjeu est en effet de satisfaire les besoins des secteurs émergents de notre défense par la réallocation de ressources humaines dégagées, grâce à la révision de nos modes d'organisation et au développement de la numérisation.

La deuxième orientation vise selon moi à unifier en rassemblant l'ensemble des armées, directions et services autour d'un projet commun, en luttant en particulier contre les excès du travail en tuyaux d'orgue, qui résulte malheureusement des très nombreuses réformes que nous avons connues. Pour une part importante, elles permettaient de rationaliser nos modes de fonctionnement et nos processus. De ce point de vue, ces réformes ont été utiles et nécessaires. Il s'agit de les consolider en revenant sur les rigidités induites par un cloisonnement excessif.

Je sais que les rapporteurs du programme 178, le sénateur Jean-Marie Bockel et la sénatrice Christine Prunaud vont entendre le major général des armées sur ce sujet cet après-midi. C'est un sujet absolument central pour moi.

Troisième orientation : l'attractivité. Il s'agit d'attirer et de fidéliser nos hommes et nos femmes. Ceci repose sur la combinaison d'une identité militaire assumée et la garantie d'une vie professionnelle et personnelle décente. Vous voyez à quel point le Plan famille répond à cette double exigence. Elle devra naturellement être poursuivie à travers les réformes des rémunérations, ainsi que celle des retraites, qui doivent reconnaître l'exceptionnalité du fait militaire par des mesures positives, dans le respect de l'unicité du statut. Je sais pouvoir compter sur votre vigilance et votre soutien dans ce travail essentiel.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, j'ai le privilège d'entamer ma deuxième année de chef d'état-major des armées sous les auspices d'une volonté politique forte et pérenne en faveur des armées.

Cette dynamique nous oblige. Notre responsabilité est de faire en sorte que les moyens mis à notre disposition soient employés avec le souci d'élever notre niveau de protection à la hauteur des défis sécuritaires qui sont les nôtres.

Je vous remercie, et je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.

Merci, mon général, d'avoir donné une perspective à cette première année budgétaire de la LPM.

Je profite de votre présence pour vous redire, au nom de la commission, la confiance que nous vous portons dans les hautes responsabilités qui sont les vôtres, ainsi qu'aux armées qui vous entourent.

Je veux également saluer l'équipe de collaborateurs présents à vos côtés : l'amiral Xavier Baudouard, le colonel Frédéric Gout, à qui la commission est très reconnaissante pour l'expertise qu'il nous apporte constamment, le capitaine de frégate Schaar et le colonel Faurichon de la Bardonnie.

Je donne à présent la parole à nos rapporteurs puis aux commissaires...

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