Intervention de Nathalie Loiseau

Réunion du 6 novembre 2018 à 21h45
Suppression de surtranspositions de directives européennes — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Nathalie Loiseau :

Je voudrais maintenant en venir à la méthodologie que nous avons adoptée. La circulaire du Premier ministre du 26 juillet 2017 a posé deux règles s’agissant des transpositions de directive.

Premièrement, l’arrêt de toute nouvelle surtransposition qui ne serait pas justifiée, c’est-à-dire qui ne refléterait pas un choix politique assumé. Une procédure spécifique, pilotée par Matignon, a été mise en place et une évaluation du stock de surtranspositions existantes a été lancée afin de corriger celles qui devaient l’être.

Cette démarche n’est pas inédite en Europe, puisque d’autres États membres nous ont précédés dans la lutte contre les surtranspositions.

C’est le cas du Royaume-Uni – nous en parlions, pour d’autres raisons, cet après-midi lors de l’examen du projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne – qui a adopté en 2013 un guide de transposition intitulé Comment transposer efficacement les directives européennes, lequel prévoit que toute transposition est effectuée avec le souci de minimiser les charges et de ne pas créer de désavantage au détriment des entreprises britanniques.

C’est également le cas de l’Allemagne, où le Conseil fédéral de contrôle des normes rend un avis sur l’existence de risque de surtransposition dans chaque projet de texte.

Le Gouvernement a souhaité à dessein retenir une acception large de la surtransposition, notamment afin d’établir un inventaire aussi complet que possible des normes et formalités administratives susceptibles de créer des écarts normatifs désavantageux pour les entreprises et les citoyens français.

Dès lors, nous avons considéré qu’était constitutive d’une surtransposition toute mesure nationale de transposition instaurant une exigence plus contraignante que celle qui résulte de l’application d’une directive, que cette règle plus contraignante soit ou non permise, voire prévue par la directive.

Le Gouvernement a également considéré que le fait de ne pas utiliser des possibilités de dérogation ou d’exonération ou encore de mettre ou non en œuvre des options ouvertes par la directive pouvait constituer une surtransposition à partir du moment où cela conduisait, là encore, à soumettre les entreprises et les citoyens à des normes plus contraignantes en France que ce que le droit de l’Union européenne impose strictement.

Cette acception large de la notion de « surtransposition » est assumée, car elle est la seule qui permette de dresser l’inventaire de tous les écarts normatifs susceptibles de pénaliser la compétitivité et l’attractivité de la France par rapport aux autres États membres.

Je veux cependant souligner que, chaque fois qu’une surtransposition faisait l’objet d’un réel choix politique, en particulier lorsqu’elle avait pour objectif de fixer des standards internes plus ambitieux que les règles résultant du droit de l’Union européenne – par exemple en raison de priorités nationales en matière d’environnement, de sécurité ou encore de protection sanitaire ou sociale –, le choix a été fait de la maintenir.

Je souhaite bien faire comprendre les intentions du Gouvernement à travers ce texte : il ne s’agit nullement de renier de façon systématique la faculté des États membres d’user des marges de manœuvre offertes par une directive. Il s’agit même de la raison d’être des directives. S’il est important de supprimer les écarts qui sont pénalisants, il est tout aussi important de savoir jouer de ces marges de manœuvre pour atteindre des objectifs nationaux bien définis.

Le Gouvernement a également tenu compte des négociations en cours sur certains projets de directives.

Lorsqu’il était plausible que le standard européen à venir s’aligne sur le standard français plus contraignant ou plus ambitieux, la surtransposition a aussi été maintenue.

Ce choix s’inscrit avec cohérence dans notre démarche d’influence auprès des institutions européennes : faire valoir, lors de l’élaboration de nouveaux textes européens, les mécanismes et standards existant en droit national que le Gouvernement considère comme étant des modèles de référence et dont il souhaiterait que le législateur européen s’inspire.

Sur ces bases, un travail inédit d’identification et d’analyse de l’opportunité de l’ensemble des mesures nationales de transposition des directives européennes a été réalisé par une mission de six inspections.

Cette mission a consulté très largement les entreprises, les fédérations professionnelles, les associations d’élus locaux et les partenaires sociaux. Ce travail s’est concentré sur les mesures touchant directement les citoyens et les entreprises. Il devra très vraisemblablement être poursuivi, comme je comprends que le souhaite, très légitimement, le Sénat.

À l’issue de cet inventaire, 132 mesures législatives allant au-delà des exigences prescrites par les directives qu’elles transposent ont été identifiées.

Le Gouvernement a ensuite analysé l’ensemble des écarts constatés en vue de distinguer trois catégories de surtranspositions.

Dans certains cas, le Gouvernement a estimé que les mesures identifiées ne constituaient pas de vraies surtranspositions, à la lumière des critères retenus : soit parce qu’il s’agissait de normes françaises intervenant sur un point ne relevant pas du champ de la directive visée ; soit parce que le droit français n’était, en réalité, pas plus contraignant que le droit de l’Union.

Dans d’autres cas, il a été jugé préférable de maintenir une surtransposition afin d’atteindre, au plan national, des objectifs plus ambitieux que ceux qui sont fixés à l’échelle européenne dans le domaine concerné.

C’est souvent le cas dans le secteur de la santé : l’obligation de recourir à un « paquet neutre » pour les cigarettes va, par exemple, au-delà de ce que prévoit la directive sur la commercialisation du tabac.

C’est aussi le cas en matière environnementale : la France a ainsi interdit l’exploitation d’hydrocarbures et fixé des objectifs de recyclage plus ambitieux que ne le fait le droit de l’Union dans le cadre de la feuille de route sur l’économie circulaire.

Dans le domaine social, on peut encore citer le cas de la durée du congé maternité – 16 semaines en France contre 14 semaines minimum dans la directive.

Enfin, dans le domaine de la protection du consommateur, la France n’a pas supprimé le délai de rétractation de huit jours pour les crédits, comme le permettait la directive.

La dernière catégorie de surtranspositions concerne les mesures ayant permis d’élaborer ce projet de loi. Elle rassemble, comme je l’indiquais, les surtranspositions jugées injustifiées et/ou pénalisantes.

Le Gouvernement propose dans ce cas de les supprimer ou d’activer des possibilités de dérogation qui n’avaient pas été retenues lors de la transposition.

Toutes les surtranspositions injustifiées ne seront pas supprimées par le présent projet de loi. Certaines le seront dans le cadre de transpositions à venir de nouvelles directives.

Plusieurs mesures doivent être prises dans le cadre d’autres projets de loi, notamment le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, ou projet de loi PACTE, ou le projet de loi issu des États généraux de l’alimentation.

Une centaine de surtranspositions, enfin, relèvent du niveau réglementaire. Comme j’ai eu l’occasion de l’indiquer à votre commission spéciale, le Gouvernement va entamer un travail sur ce point dans les prochains mois.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je n’entrerai pas plus loin dans le détail des quelque trente mesures du projet de loi relevant de pas moins de neuf domaines distincts que je cite dans l’ordre : droit de la consommation, droit des sociétés, services financiers, commande publique, communications électroniques, environnement, transports, agriculture et culture. Je confie ce soin à vos rapporteurs qui en connaissent parfaitement le contenu et la portée : M. le sénateur Cadic pour le chapitre Ier du projet de loi et Mme la sénatrice de Cidrac pour le chapitre II, ainsi que pour les chapitres III et IV, sachant que nous avons déjà examiné ces deux derniers dans le cadre de la procédure de législation en commission souhaitée par le Sénat.

À cette occasion, je tiens à saluer devant vous la très grande qualité de leurs travaux et de leur rapport, ainsi que la justesse de leurs amendements, dont plusieurs sont venus fort opportunément enrichir le texte du Gouvernement. Qu’ils en soient remerciés !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion