Intervention de Laurence Harribey

Réunion du 6 novembre 2018 à 21h45
Suppression de surtranspositions de directives européennes — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Laurence HarribeyLaurence Harribey :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission spéciale, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis se présente comme une réponse à « l’excès de normes » résultant de surtranspositions de directives européennes. Il s’inscrit d’après le Gouvernement dans le cadre de la « politique de réduction de la production normative ». Il fait suite à un travail de recensement et d’analyse de l’opportunité de l’ensemble des surtranspositions identifiées en droit français, en vue de supprimer celles qui ne correspondent à aucune priorité nationale identifiée, Mme la ministre l’a rappelé, et qui pèsent de façon injustifiée sur la compétitivité et l’attractivité de la France en Europe.

En prélude, je voudrais souligner notre approche constructive à l’égard de ce texte, ce pour deux raisons essentielles.

Tout d’abord, notre groupe est attaché à la construction européenne et adhère à la nécessité de ce que vous appelez, madame la ministre, « faire œuvre d’euro-simplification ».

C’est la condition d’une meilleure adaptation de notre droit national au droit européen, mais c’est aussi la condition d’une meilleure appropriation de ce droit européen comme moteur de développement européen et d’intégration européenne.

En effet, les surtranspositions ont souvent été prétextes à complexifier. Elles ont même constitué une tendance fâcheuse à renvoyer la responsabilité de la lourdeur administrative aux instances européennes, alors même que nombre de normes ou réglementations n’étaient pas exigées par l’Union européenne. Finalement, le travail de surtransposition a contribué à faire de l’Europe un bouc émissaire pour ce qui concerne la complexité du droit.

Ensuite, notre groupe est conscient du caractère pénalisant des surtranspositions pour les entreprises, particulièrement pour les PME et TPE, qui constituent l’essentiel de notre tissu économique.

Nous avons donc largement souscrit et participé à la démarche volontariste du Sénat. Je pense notamment au travail mené par la commission des affaires européennes dans le cadre de sa mission d’alerte sur les surtranspositions et aux observations régulières qu’elle formule sur les projets de loi et les propositions de loi de transposition ou les modalités d’application de textes européens.

Ainsi, nous prenons acte de la nécessité d’une démarche proactive et d’une vigilance constante, soulignée dans l’exposé des motifs du projet de loi, pour identifier, prévenir et réduire les écarts de transpositions.

Cela dit, derrière les principes affichés, le texte n’est pas sans soulever plusieurs questions. Ainsi, sans remettre en question notre approche constructive, il nous semble important de revenir sur deux volets plus spécifiques.

Le premier volet concerne la méthode. Le texte initial retenait en effet vingt-sept surtranspositions, réparties en quatre secteurs. Après l’adoption de certaines mesures par la commission, il concerne moins de vingt surtranspositions, alors même que la mission inter-inspections mandatée par le Premier ministre en décembre 2017 avait relevé près de 132 surtranspositions.

Vous nous avez expliqué, madame la ministre, lors de votre audition, que trois catégories de surtranspositions avaient été différenciées.

Il y a celles qui ne constituaient pas de vraies surtranspositions, celles qui sont considérées comme des surtranspositions préférables – vous les avez rappelées dans votre intervention liminaire – et celles qui doivent être supprimées. Vous avez insisté sur la recherche d’un équilibre. D’ailleurs, la mission inter-inspections s’est efforcée de spécifier le caractère pénalisant des écarts de transpositions au regard – c’est intéressant – des priorités fixées par le Premier ministre, à savoir l’emploi, le pouvoir d’achat, la compétitivité et l’efficacité des pouvoirs publics. Cela signifie donc que l’on procède à une sélection des surtranspositions, certaines étant considérées comme légitimes, alors que d’autres le seraient moins.

En ce sens, il semble que cette approche sélective marque une certaine spécificité française au regard de la pratique d’autres pays membres, si l’on se réfère à l’étude comparative menée dans le cadre des travaux de la commission des affaires européennes du Sénat, qui mettait en parallèle la situation, en 2017, de quatre États membres : le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie et la Suède.

Toujours est-il que cette méthode peut conduire à certaines insuffisances. Le Conseil d’État, dans son avis, met notamment l’accent sur les carences de l’étude d’impact et reproche au Gouvernement, d’une part, de passer sous silence les éléments qui avaient pu justifier les choix antérieurs du législateur et, d’autre part, d’éluder l’impact des mesures proposées.

Le Conseil d’État regrette notamment que les motifs d’opportunité pour lesquels des surtranspositions, faisant aujourd’hui l’objet d’une suppression, avaient été justifiées n’aient pas été considérés dans le contexte de l’époque et que l’impact des suppressions n’ait pas fait l’objet d’une étude plus approfondie.

De fait, par-delà l’apparente technicité des dispositions supprimées, des choix politiques précédents sont remis en cause, sans que la démonstration du bien-fondé de cette remise en cause soit toujours faite.

Sur le fond, nous émettons une seconde réserve, qui concerne certains secteurs privilégiés. Le Gouvernement entend ainsi aborder ce projet de loi sous un angle uniquement technique, alors que derrière chaque norme se cache un enjeu politique : la protection des consommateurs, la transparence économique et financière et la protection de l’environnement.

Vous avez souligné, madame la ministre, lors de votre audition par la commission spéciale, que le projet de loi n’avait pas pris en compte certaines surtranspositions, au motif qu’elles étaient protectrices des citoyens. Le choix a donc été fait de les maintenir.

Les domaines que vous avez alors cités sont ceux de la santé et de la protection du consommateur, en prenant l’exemple du maintien du délai de rétractation en matière de crédit à la consommation. Quid de tout ce qui touche à l’information du consommateur, notamment la publicité en matière de crédit ?

Nos collègues rapporteurs, dont je voudrais souligner le travail minutieux et la qualité des interrogations lors de nos séances de travail, ont insisté, à la page 26 de leur rapport, sur leurs incertitudes, s’agissant notamment des impacts environnementaux et sanitaires de certaines suppressions. Ils ont également souligné que l’étude d’impact était peu documentée sur ce point.

Nous avons les mêmes interrogations, sans compter notre questionnement concernant l’impact social. Selon nous, la prise en compte de ce dernier aspect est incontournable, y compris pour les entreprises, monsieur le rapporteur, notamment au regard de leur responsabilité sociétale.

C’est dans cet esprit que nous présentons un certain nombre d’amendements importants sur le fond, notamment en matière de droit de la consommation et de transparence économique.

Nous avons également déposé des amendements concernant le paquet ferroviaire, au sujet duquel nous déplorons la méthode employée. Nous ne comprenons pas que ce thème soit abordé dans ce texte.

Ces amendements de suppression ou de complément n’impliquent pas une frilosité de notre part devant la nécessaire « euro-simplification » – pour reprendre votre expression, qui me plaît beaucoup –, ou une méconnaissance de la nécessaire adaptabilité de notre droit à l’esprit communautaire, comme vous l’avez prétendu, monsieur le rapporteur, dans le domaine de la vie des entreprises.

Il s’agit d’aller au-delà de la seule vision technique, pour prendre en compte les enjeux sociaux et environnementaux et favoriser un modèle économique durable et équilibré, dans lequel la compétitivité des entreprises s’articule avec une croissance inclusive, qui fait partie des priorités européennes. À nos yeux, c’est une manière de donner du sens à l’œuvre d’euro-simplification, laquelle implique non pas simplement une vision technique, mais aussi un sens de l’action politique.

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