Intervention de Pascal Allizard

Réunion du 6 novembre 2018 à 21h45
Suppression de surtranspositions de directives européennes — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Pascal AllizardPascal Allizard :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est des domaines où la France a le privilège douteux de figurer en tête des classements internationaux. C’est évidemment le cas du niveau global de la pression fiscale : en la matière, selon l’OCDE, notre pays occupait en 2017 la deuxième place mondiale.

Mais c’est le cas également – tel est l’objet de nos travaux de ce soir – s’agissant de l’autre frein majeur imposé par les pouvoirs publics à la compétitivité de nos entreprises, à savoir la pression normative. Un rapport du Forum économique mondial classait ainsi la France, en 2016, au 115e rang, sur 140 pays, selon le critère du fardeau administratif.

Il existerait à ce jour un stock national de plus de 400 000 normes en vigueur. Chacun peut aisément comprendre qu’il s’agit là d’un handicap trop lourd à porter pour nos entreprises, mais aussi pour nos collectivités locales.

Combien d’entre elles se retrouvent aujourd’hui asphyxiées sous le poids des contraintes financières et administratives imposées par un maquis réglementaire toujours plus foisonnant ?

Les normes ont engendré, selon le Conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales, un coût brut de plus de 1 milliard d’euros à la charge des collectivités territoriales au titre de l’année 2018. C’est le développement des territoires, notamment ruraux, qui s’en trouve en définitive obéré.

Manifestement, le Gouvernement ne semble pas encore décidé à agir sur le front fiscal, c’est-à-dire à s’attaquer au niveau de la dépense publique et des prélèvements obligatoires.

Toutefois, il affiche un certain volontarisme sur le terrain des normes, ce que nous portons bien volontiers à son crédit. Bien sûr, il n’est pas le premier à nourrir de hautes ambitions dans ce domaine, et, ces dernières années, la réduction de la pression normative a été régulièrement annoncée – beaucoup reste à faire.

À cet égard, si le présent projet de loi a le mérite réel d’exister, et d’impulser une dynamique certaine – le stade des déclarations d’intention n’avait jusqu’à présent que rarement été dépassé –, il n’est, me semble-t-il, pas de nature à provoquer le choc de simplification ou de compétitivité recherché en d’autres temps par d’autres gouvernements.

Au regard du récent rapport d’information de notre collègue René Danesi, qui a permis d’identifier un grand nombre de surtranspositions injustifiées ou disproportionnées, le texte du Gouvernement se révèle bien modeste.

Dans un rapport de 2017, j’avais moi-même eu l’occasion de confirmer l’existence d’une forme d’« exception française » en matière de surtransposition des directives, et j’avais identifié des marges de progression au niveau national. J’avais aussi relevé une tendance aux transpositions « au dernier moment », qui présentent l’inconvénient de ne pas donner aux citoyens, entreprises ou collectivités concernés le temps de s’adapter aux nouvelles dispositions. Tous ces éléments contribuent, année après année, à dégrader l’image du droit d’origine européenne.

À la lecture de votre texte, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur la réalité de la plus-value de certaines dispositions pour la compétitivité de l’économie française, comme le fait d’ailleurs à sa manière le Conseil d’État en regrettant l’incomplétude de l’analyse d’impact à ce sujet.

Le soutien que nous apporterons à ce texte doit donc s’entendre comme un soutien à la première étape d’une démarche que nous souhaitons, d’une part, pérenne – cela a déjà été dit – et, d’autre part, exhaustive. Une suggestion de méthode : pourquoi ne pas s’inspirer du programme pour une réglementation affûtée et performante, dit programme REFIT, de la Commission européenne, en présentant chaque année un stock de surtranspositions inutiles à supprimer de notre droit national ?

Soulignons qu’un tel programme devrait naturellement porter sur les surtranspositions de nature législative, mais aussi, et surtout, sur celles qui relèvent du domaine réglementaire – ces dernières constituent, me semble-t-il, l’essentiel du boulet traîné par nos entreprises face à leurs concurrentes européennes dans le cadre du marché unique.

Bien sûr, ce travail ne sera pas des plus aisés. On a coutume de dire que chaque niche fiscale a son chien de garde ; ce constat peut certainement s’appliquer aussi au cas des surtranspositions. En effet, chacune d’entre elles, ou presque, trouvera des défenseurs pour estimer qu’elle se justifie au regard de tel ou tel objectif. Et parfois, d’ailleurs, leur analyse sera fondée – il faut le reconnaître.

Pour cette raison, il me semble que tout programme durable de dé-surtransposition devra être mené dans la concertation. De nombreux acteurs pourraient être associés à cette réflexion ; je pense en particulier au Conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales, mais aussi au Conseil de la simplification pour les entreprises, qui devrait à cette occasion pouvoir reprendre ses travaux.

Ce changement de culture que nous appelons de nos vœux est un enjeu majeur pour nos entreprises et nos collectivités, mais il l’est également pour l’Union européenne, ou, plus précisément, pour l’image que s’en font nos concitoyens, qu’ils soient chefs d’entreprise, agriculteurs ou élus locaux.

En effet, ce qui leur est commodément présenté comme relevant de contraintes européennes résulte bien souvent, en réalité, de décisions strictement nationales. Il n’est d’ailleurs pas anodin que la Commission européenne ait proposé, via l’initiative « Mieux légiférer » de 2015, que les États membres s’engagent, lorsqu’ils notifient une transposition d’acte européen, à identifier et à justifier toute surréglementation allant au-delà de ce qui est prescrit par le texte communautaire.

Les États membres doivent assumer leurs responsabilités et prendre leur juste part de cette entreprise. La « faute à Bruxelles » est un argument trop facile et, on le constate aujourd’hui, très dangereux.

Madame la ministre, telles sont les raisons pour lesquelles le groupe Les Républicains votera en faveur de ce projet de loi tout en invitant le Gouvernement à s’inspirer davantage encore des travaux du Sénat pour aller beaucoup plus loin en matière de dé-surtransposition.

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