Intervention de Marie-Françoise Perol-Dumont

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 7 novembre 2018 à 9h30
Projet de loi de finances pour 2019 — Mission « aide publique au développement » - programmes 110 « aide économique et financière au développement » et 209 « solidarité à l'égard des pays en développement » - examen du rapport pour avis

Photo de Marie-Françoise Perol-DumontMarie-Françoise Perol-Dumont, co-rapporteure :

Mon collègue ayant évoqué la progression des dons, je souhaiterais en premier lieu commenter la hausse des prêts de l'AFD prévue pour 2019.

Comme nous l'avons vu la semaine dernière, les engagements financiers de l'AFD passeront de 10,3 milliards d'euros en 2017 à 14 milliards d'euros en 2014 et près de 18 milliards d'euros en 2022. Malgré la progression des dons, la majorité de ces engagements resteront des prêts. Le programme 110 comporte ainsi une augmentation de plus de 600 millions d'euros des crédits de bonification permettant à l'AFD de placer des prêts bonifiés.

À cet égard, il faut souligner qu'en 2018, la liste des premiers pays de destination des prêts de l'AFD comprend quasi-exclusivement des émergents et des grands émergents, qui peuvent accéder à des financements aux taux du marché. Les ministères de tutelle en défendent le bien-fondé en faisant valoir qu'ils contribuent à faire entrer ces pays dans une trajectoire de développement durable compatible avec l'Accord de Paris, et qu'ils ne coûtent rien à l'Etat. Ils permettraient également à la France de renforcer son influence et de créer un environnement favorable aux entreprises françaises.

S'ils sont valables, ces arguments ne doivent pas, selon nous, interdire tout débat sur le choix des pays que nous soutenons. Par exemple, on sait que la Chine, l'un des premiers emprunteurs de l'AFD, mène une intense politique de construction d'infrastructures en Afrique, sans se conformer aux contraintes que nous nous imposons à nous-même en matière d'endettement des pays, de normes sociales ou environnementales et de promotion d'une gouvernance transparente. Il apparaît donc légitime de s'interroger.

Par ailleurs, comme nous l'avons vu à l'occasion de l'examen du COM, de nombreux pays émergents éprouvent actuellement des difficultés à emprunter. En outre, plusieurs États africains voient actuellement leur endettement progresser de manière inquiétante. Ce sont des interrogations supplémentaires qui pèsent sur la politique de prêts de l'AFD, que nous devrons donc examiner avec vigilance au cours des prochains mois.

Je souhaiterais, dans un second temps, évoquer la progression des engagements français en faveur du climat.

La lutte contre le changement climatique implique un changement conceptuel pour l'aide au développement : d'une certaine façon, comme le déclare le nouveau plan d'orientation stratégique de l'AFD : « nous sommes désormais tous des pays en développement », puisque tous les pays s'efforcent désormais d'accomplir une transition vers une économie durable.

Je rappelle que l'une des propositions du rapport « Climat : vers un dérèglement géopolitique ? », de Cédric Perrin, Leïla Aichi et Éliane Giraud, préconisait, je cite d'« OEuvrer auprès des pays bailleurs nationaux et des organismes internationaux afin qu'ils s'interdisent tout financement de projets d'extraction, de production ou recourant à une consommation excessive d'énergies carbonées et les inciter à promouvoir et à financer les projets utilisant des énergies renouvelables ou utilisant des technologies propres ». Nous pouvons nous féliciter que l'aide au développement française, pour ce qui la concerne, ait réellement pris ce tournant.

Le président de la République a ainsi annoncé en septembre 2015 que les financements français pour le climat en faveur des pays en développement passeraient de 3 milliards d'euros en 2015 à 5 milliards d'euros en 2020.

Si la volonté et les objectifs sont ainsi en place, qu'en est-il des instruments ? C'est ici que le bât blesse, car la complexité empêche toute lisibilité en la matière, d'autant que seule une petite partie de ces financements apparaissent dans le budget.

Il y a d'abord l'action de l'AFD. En 2017, avec 4 milliards d'euros de financements ayant un « co-bénéfice climat » selon le jargon de l'agence, l'AFD est le fer de lance de notre action en faveur du climat au niveau bilatéral ; pour donner une idée, l'action de l'AFD a permis d'éviter l'équivalent de 0,01% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. C'est un bon début...

La France contribue également pour 25 millions d'euros, par le biais du programme 110, au fonds français pour l'environnement mondial (FFEM). Enfin, le ministère de l'économie et des finances soutient, par l'intermédiaire de prêts du Trésor très concessionnels, des projets d'infrastructures dans le domaine du changement climatique. Ainsi, en 2017, un prêt a été octroyé au Maroc pour un montant de 128,1 millions d'euros pour la fourniture de 30 locomotives électriques.

S'agissant maintenant du multilatéral, on observe un véritable empilement des institutions, des fonds et des « fenêtres climatiques », ce qui rend difficile la mise en lumière de la contribution française, pourtant très importante. L'aide multilatérale française sur le climat s'oriente ainsi, depuis 2015, principalement vers notre contribution au Fonds vert pour le climat, à hauteur de pas moins de 775 millions d'euros sur la période 2015-2018. Cette contribution prend essentiellement la forme d'un don de 432 millions d'euros et d'un prêt à taux zéro de 285 millions d'euros porté par l'AFD, bonifié et garanti par l'État. Il s'agit donc d'un engagement massif de notre pays, toutefois impossible à retracer avec les seuls documents budgétaires, puisqu'il passe par le fonds de solidarité pour le développement (FSD) et par l'AFD.

En outre, la France a été l'un des États à l'origine de la création du Fonds pour l'environnement mondial (FEM), dont environ 20% des financements concernent le climat. La France, quatrième contributeur, s'est engagée sur la période 2018-2022 à apporter 300 millions de dollars à ce fonds.

Aux côtés de ses partenaires du G8, notre pays a en outre apporté en 2010 une contribution de 500 millions de dollars au Fonds pour les technologies propres (CTF), géré par la Banque mondiale. La France a également contribué au Fonds d'adaptation à hauteur de 5 millions d'euros en 2015 et au Fonds pour les pays les moins avancés à hauteur de 25 millions d'euros sur 2016-2017. Enfin, de multiples banques de développements multilatérales auxquelles la France contribue développent elles-aussi des instruments pour le climat.

On le voit, se pose de manière urgente la question de l'organisation, de la complémentarité et de la lisibilité des financements climat. Il nous semble en tout cas positif que, compte tenu du lancement du Fonds vert, la France envisage avec plusieurs autres pays donateurs de mettre fin au CTF, qui en était le précurseur.

Il serait donc souhaitable que les financements multilatéraux en faveur du climat convergent progressivement vers le Fonds vert. Toutefois, ce fonds n'est pas la panacée. On observe en effet qu'il a beaucoup de mal à décaisser ses financements et que ses procédures sont très longues. Il faudra donc réfléchir l'année prochaine, dans le cadre des discussions du G7 à Biarritz, à une amélioration de la gouvernance et des procédures du Fonds vert.

Enfin, je souligne que cette interrogation sur la lisibilité de la politique de lutte contre le changement climatique peut être étendue à l'ensemble de notre aide. Deux remarques complémentaires à cet égard.

Premièrement, la maquette budgétaire est toujours aussi confuse, puisqu'aucune logique ne préside à la répartition des crédits entre le programme 209 et le programme 110. Les ministères travailleraient à une nouvelle répartition pour l'année prochaine, par exemple en séparant le bilatéral et le multilatéral, les dons et les prêts. Ceci contribuerait utilement à la lisibilité de notre aide.

Deuxièmement, il est toujours aussi difficile de cerner l'ensemble de l'APD française. Les vecteurs budgétaires et non budgétaires sont si nombreux qu'il est paradoxalement très difficile de savoir précisément lesquels de nos financements contribuent à cet objectif des 0,55% que nous sommes censés atteindre en 2022. Il serait donc souhaitable que nous disposions d'une liste consolidée de tous ces financements.

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