Intervention de Mathieu Darnaud

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 7 novembre 2018 à 9h10
Nomination de rapporteurs

Photo de Mathieu DarnaudMathieu Darnaud, rapporteur :

La mission de contrôle et de suivi de la mise en oeuvre des lois de réforme territoriale, dont je présente aujourd'hui le rapport, est à la fois pluraliste et permanente. Je présente donc ce rapport également au nom de nos collègues Agnès Canayer, Maryse Carrère, Pierre-Yves Collombat, Françoise Gatel, Alain Marc, Didier Marie et Thani Mohamed Soihili. Nous avons voulu dresser un bilan de la situation actuelle et formuler des propositions pour rendre aux communes leur dynamisme. Pour cela, nous avons effectué quatre déplacements de deux jours chacun, dans l'Orne, la Manche, la Lozère et l'Aveyron, puis en Haute-Savoie, à la rencontre des élus locaux et des représentants des services déconcentrés de l'État. Nous avons également organisé plusieurs tables rondes au Sénat avec des représentants des associations d'élus et des universitaires. La semaine prochaine se tiendra un colloque pour présenter les conclusions de notre rapport, mais aussi et surtout pour permettre aux acteurs de la vie locale de témoigner et d'échanger sur ces sujets.

Au cours de l'été dernier, de nombreux articles de presse se sont fait l'écho du profond malaise des élus municipaux, illustré par une vague de démissions sans précédent. Nous avons, lors de nos déplacements, ressenti ce malaise. Parmi les motifs de découragement des élus, plusieurs reviennent avec insistance :

- la réduction des moyens humains et financiers des communes ;

- les regroupements forcés et les transferts obligatoires de compétences aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre ;

- la complexité paralysante et l'amoncellement des normes ;

- les insuffisances du statut de l'élu.

Pour autant, les initiatives se multiplient sur le terrain pour rendre son dynamisme à l'institution communale, grâce à la création de communes nouvelles, à la réorganisation interne des groupements intercommunaux pour renforcer l'action de proximité, ou encore à la diversification des modalités de participation citoyenne.

La première partie du rapport dresse un état des lieux des forces et fragilités actuelles des communes, et formule un premier ensemble de propositions afin de conforter leur rôle en tant qu'échelon fondamental de la démocratie et de l'action publique locales.

Comme vous le savez, l'institution communale telle qu'on la connaît aujourd'hui est née au cours des premiers mois de la Révolution française, avec la loi du 14 décembre 1789. Quelque 40 000 municipalités ont ainsi vu le jour, à partir des villes, bourgs, paroisses et communautés villageoises. Depuis deux siècles, l'émiettement de la carte communale fait l'objet de critiques récurrentes. Pourtant, des études récentes montrent qu'il existe une corrélation statistique très nette entre la participation électorale et la taille des communes. Dans d'autres pays européens, les regroupements forcés de communes se sont accompagnés d'une hausse continue de l'abstention aux élections municipales.

Plus largement, la commune apparaît comme le premier lieu d'exercice des droits et responsabilités du citoyen, et le maire comme le premier représentant de l'autorité publique. Le maire est d'ailleurs l'élu auquel les Français accordent le plus volontiers leur confiance, et de très loin.

La commune n'est pas seulement l'un des socles de la démocratie française, elle reste aussi un échelon d'administration fondamental. Depuis la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) du 7 août 2015, les communes sont les seules collectivités territoriales dotées d'une compétence générale, ce qui leur permet de jouer pleinement leur rôle de proximité au service des habitants. La jurisprudence la plus récente montre d'ailleurs que la compétence générale des communes conserve un contenu très concret, et qu'elle permet de combler les vides laissés par les compétences d'attribution des autres échelons territoriaux. Les communes conservent également l'exercice de nombreuses compétences spéciales. Quant au maire, il est à la fois l'organe exécutif de la commune, l'unique autorité de police municipale et le représentant de l'État dans la commune, doté à ce titre des qualités d'officier de l'état civil et d'officier de police judiciaire.

Nous proposons donc, au regard de l'importance de la place des communes dans notre paysage territorial, d'inscrire dans la Constitution la compétence générale de la commune et les triples attributions du maire. Cette consécration n'aurait pas qu'une valeur symbolique. Il y a dix ans encore, personne n'imaginait qu'une collectivité territoriale puisse se voir privée de sa compétence générale. C'était même l'un des principaux critères de distinction entre une collectivité territoriale et un établissement public. Nous voulons faire obstacle à toute tentative pour faire subir aux communes le même sort qu'aux départements et aux régions, et pour les ravaler au rang d'institutions spécialisées. J'insiste sur ce point car nous savons tous que les difficultés rencontrées par les élus municipaux ne sont pas seulement financières : il y a aussi le sentiment que la commune se vide de sa substance. Cela pose problème en termes de proximité avec les citoyens.

Nous avons aussi constaté que les communes ont de plus en plus de mal à exercer leurs missions, faute de moyens suffisants. En effet, les communes ont été confrontées, comme les autres collectivités, à une baisse brutale de leur dotation globale de fonctionnement, qui a diminué de 20 % entre 2013 et 2018 pour l'ensemble du bloc communal. Les ressources fiscales des communes sont également menacées par la suppression programmée de la taxe d'habitation, qui représente un cinquième de leurs recettes de fonctionnement. En outre, les charges transférées par l'État aux communes ne sont pas toujours intégralement compensées, comme l'exige la Constitution. Celles qui résultent de la multiplication des normes nouvelles ne le sont quasiment jamais, au mépris du principe « qui décide paie ».

Par ailleurs, les communes sont soumises à un réseau serré de normes qui entravent leur action, ralentissent la mise en oeuvre de leurs projets et en renchérissent considérablement leur coût. Le bilan des efforts de simplification entrepris depuis une dizaine d'années reste mince : les normes nouvelles introduites depuis 2008 ont eu un coût brut de 14,23 milliards d'euros pour l'ensemble des collectivités territoriales ! L'édiction de normes nationales toujours plus détaillées apparaît aussi comme un moyen de restaurer une forme de tutelle sur les communes, en réduisant à néant ou presque leur libre administration.

La désaffection pour les mandats municipaux s'explique aussi par les défaillances du statut de l'élu local. C'est pourquoi nous avons souhaité faire écho dans ce rapport aux travaux produits par la délégation aux collectivités territoriales. Ces travaux traitent notamment du régime indemnitaire, du régime social, de la formation, de la reconversion et de la responsabilité pénale des élus.

Sur les questions que je viens d'aborder - moyens financiers, poids des normes, statut de l'élu local - nous avons voulu formuler un certain nombre de principes et d'objectifs et plusieurs propositions concrètes, tout en renvoyant aux travaux de notre commission des finances et, comme je viens de l'indiquer, de notre délégation aux collectivités territoriales. La mission recommande notamment :

- de consolider l'autonomie financière des collectivités territoriales grâce à une définition plus rigoureuse de leurs ressources propres dans la loi organique et à l'inscription dans la Constitution du principe « qui décide paie » ;

- d'amplifier l'effort de simplification des normes applicables aux collectivités territoriales, tout en renforçant les prérogatives du Conseil national de l'évaluation des normes et en confortant le pouvoir réglementaire local ;

- de mettre en oeuvre les propositions d'amélioration des conditions d'exercice des mandats locaux récemment formulées par la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales.

La deuxième partie de notre rapport est consacrée aux communes nouvelles, qui apparaissent aujourd'hui comme une voie de modernisation de l'échelon communal. Le principe de la différenciation territoriale semble désormais difficilement contournable et le développement des communes nouvelles est une illustration de la liberté laissée aux élus pour adapter les institutions aux spécificités de leur territoire. Nous avons voulu étudier le fait générateur de la création des communes nouvelles, observer l'évolution de celles constituées depuis quelque temps, et savoir comment elles ont permis de réorganiser les périmètres communaux au sein des intercommunalités. Un des enseignements les plus importants est qu'il n'y a pas un modèle unique de commune nouvelle. Celles-ci répondent à des problématiques et des cultures de territoire différentes.

L'essor des communes nouvelles constitue aujourd'hui une révolution silencieuse dans l'organisation administrative française. Pas moins de 560 communes nouvelles ont déjà été créées depuis 2011, réunissant 1 910 anciennes communes. Ce succès s'explique par le fait que le nouveau régime des communes nouvelles, créé en 2010 et amélioré en 2015, laisse une large place à l'initiative locale et définit un juste équilibre entre la constitution d'une nouvelle commune de plein exercice et la préservation de l'identité des communes fusionnées. La refonte de la carte intercommunale a incité un certain nombre de communes à se regrouper pour préserver les habitudes de travail en commun acquises au sein d'anciennes intercommunalités. C'est particulièrement vrai dans le Maine-et-Loire où de nombreuses communes nouvelles ont été constituées à l'échelle des intercommunalités. Il est difficile de tirer une conclusion uniforme sur les communes nouvelles, d'une part, car le retour d'expérience ne porte pas sur une période suffisamment longue, d'autre part, car nous ne sommes pas encore rentrés dans le droit commun : beaucoup de communes nouvelles fonctionnent encore de manière dérogatoire, avant de devenir des nouvelles communes lors du prochain renouvellement général des conseils municipaux.

Nous avons ainsi essayé de voir quels étaient les freins à la création de communes nouvelles, et de formuler des propositions pour y répondre. C'est aussi l'objectif la proposition de loi visant à adapter l'organisation des communes nouvelles à la diversité des territoires déposée par notre collègue François Gatel, membre de la mission. Plusieurs des dispositions de ce texte trouvent une traduction dans le rapport, car nous les jugeons utiles. Il nous apparaît notamment intéressant d'évaluer les coûts de création des communes nouvelles, les charges induites, les effets de seuil. Beaucoup de ceux qui ont porté un projet de commune nouvelle nous ont demandé de proroger les mécanismes d'aide financière à l'intention des communes nouvelles, à titre de compensation. En revanche, il nous est apparu anormal de préserver l'accès à ce dispositif aux communes fusionnées jusqu'à 150 000 habitants. Nous proposons donc d'abaisser ce plafond à 30 000 habitants.

D'autres propositions sont formulées afin de faciliter le fonctionnement des communes nouvelles. Certaines sont aussi reprises par la proposition de loi de notre collègue Françoise Gatel. Je les énumère rapidement : pour favoriser la représentation de l'ensemble des anciennes communes au sein du conseil municipal sans établir de sectionnement électoral, prévoir que, lors du premier renouvellement du conseil municipal d'une commune nouvelle, son effectif ne puisse être inférieur à trois fois le nombre de communes déléguées ; autoriser l'élection d'un nouveau maire et de ses adjoints par un conseil municipal incomplet, ou distinguer entre le renouvellement général sexennal et un éventuel renouvellement intermédiaire. Ce dernier sujet concerne d'ailleurs toutes les communes...

Concernant l'articulation entre la commune nouvelle et l'intercommunalité, nous proposons de n'autoriser le préfet à passer outre le vote majoritaire des conseils municipaux des communes fusionnées qu'avec l'accord de la majorité des membres de la commission départementale de coopération intercommunale (CDCI). Nous souhaitons aussi qu'il soit permis à un EPCI à fiscalité propre se constituant en commune nouvelle de ne pas se rattacher à un autre établissement public de coopération intercommunale. C'est le principe de la « commune-communauté », une des propositions fortes de la proposition de loi de notre collègue Françoise Gatel. Nous considérons qu'une telle commune peut exercer à elle seule les compétences communales et celles qui sont normalement transférées à l'échelon intercommunal, puisqu'elle les exerçait précédemment. On ne voit donc pas pourquoi elle devrait être rattachée à un autre EPCI.

La troisième partie du rapport est consacrée, plus largement, à la coopération intercommunale. Il est grand temps de ne plus se placer dans le clivage entre les partisans forcenés de l'intercommunalité et ceux qui pensent que l'intercommunalité n'est pas un modèle à poursuivre.

Nous avons mené une analyse fine à partir des derniers schémas départementaux de coopération intercommunale (SDCI). Dans la majorité des territoires, la commission départementale de coopération intercommunale a été écoutée : la concertation a été privilégiée, et les logiques de bassin, d'affectio societatis, et de mutualisation des projets ont été prises en compte. En revanche, dans d'autres territoires, certains préfets avaient déjà commencé à définir les nouveaux schémas avant même que la loi NOTRe ne soit adoptée. Cela a souvent abouti à des passages en force, qui ont conduit, nous l'avons constaté, à de nombreux dysfonctionnements : soit car les périmètres sont trop importants, soit parce les communes fusionnées ne font pas face aux mêmes problématiques, soit en raison de difficultés de gouvernance. Par exemple, dans le cadre d'une intercommunalité de plus de 100 communes, il est difficile pour les communes, voire pour des anciennes intercommunalités, de se faire entendre. Cette problématique se retrouve dans les territoires ruraux comme dans les territoires urbains.

S'inspirant d'expériences conduites sur le terrain, le rapport formule plusieurs propositions pour faire en sorte que les maires et les autres conseillers municipaux soient mieux associés au fonctionnement de l'intercommunalité.

Nous voulons aussi faire en sorte que le principe de subsidiarité soit respecté dans la répartition des compétences entre communes et EPCI : pour cela, nous proposons de replacer la notion d'intérêt communautaire, définie sur la base d'un projet de territoire, au fondement des transferts de compétences aux EPCI. Nous considérons également qu'il faut supprimer les mécanismes qui contraignent ou incitent les élus à transférer un nombre toujours croissant de compétences au niveau intercommunal, quand bien même les réalités locales ne le justifient pas. C'est le cas de la catégorie des compétences dites « optionnelles », ou encore de la dotation globale de fonctionnement (DGF) « bonifiée » des communautés de communes.

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