La mission « Administration générale et territoriale de l'État » comporte trois programmes assez indépendants les uns des autres. Les crédits s'élèvent à 2,8 milliards d'euros, répartis entre le programme 307 qui finance les missions du réseau préfectoral avec 1,7 milliard d'euros, le programme 216 qui est une sorte de fourre-tout pour 975 millions d'euros et un programme auquel nous sommes évidemment attachés, le programme 232, qui finance la vie politique et mobilise 207 millions d'euros.
Les dotations progressent, mais le budget est globalement sans grande évolution. L'augmentation est due aux scrutins programmés en 2019, en particulier les élections européennes, qui coûteront 111 millions d'euros. Hors élections, les crédits sont stabilisés en niveau.
Ce résultat, qui confirme que cette mission n'est pas prioritaire au sens de l'ancienne loi de programmation pluriannuelle des finances publiques, peut apparaître un peu paradoxal au vu de la réduction des emplois subie par une mission qui est, avant tout, une mission de personnel. Les schémas d'emplois prolongent une forte diminution engagée depuis la réforme de l'administration territoriale de l'État (RéATE). Le ministère de l'intérieur recourt de plus en plus à des contractuels, qui sont plus flexibles et surtout moins coûteux, mais les mesures catégorielles contrebalancent une partie des économies réalisées sur le volume d'emplois, il en va de même du glissement vieillesse-technicité, le GVT.
Dernière observation liminaire, l'information budgétaire est particulièrement défectueuse. Je relève que le projet annuel de performances ne permet plus d'identifier la destination finale des crédits, alors que la mission est largement une mission « réservoir », qui alimente des politiques publiques relevant d'autres missions.
Par ailleurs, la structure budgétaire doit être modernisée. Elle ne rend pas assez compte de deux grandes missions confiées aux services : l'accueil des étrangers et la délivrance des titres sécurisés. Il me paraît souhaitable de mieux identifier les moyens dévolus à l'accueil des étrangers, qui sont aujourd'hui noyés dans une action qui les confond avec les moyens mis en oeuvre pour délivrer des permis de conduire ou des cartes grises. À tout le moins, les moyens correspondants devraient être retracés dans une action spéciale et faire l'objet d'un document de politique transversale.
Je préconise également que la délivrance des titres sécurisés soit retracée dans un compte d'affectation spéciale qui permettrait de mieux percevoir les enjeux financiers. Aujourd'hui, du fait des modalités de financement - beaucoup de taxes affectées, un peu de crédits budgétaires et le recours à un opérateur -, ce sujet manque de clarté.
J'en viens à quelques observations plus fondamentales. La programmation budgétaire du programme 307 d'administration territoriale confirme le lent retrait de l'administration préfectorale des territoires. Cette administration a perdu plus de 11 % de ses personnels depuis dix ans, évolution qui fait écho à la chute spectaculaire des emplois déployés par l'État dans ses services déconcentrés, du moins dans les services sur lesquels les préfets exercent un certain pilotage. Le budget pour 2019 prolonge cette tendance. Elle n'est sans doute pas sans lien avec le sentiment qui se répand d'un abandon de certains territoires par l'État, non plus qu'avec le constat, vérifié année après année, des difficultés persistantes à atteindre les objectifs fixés par un programme de performances, pourtant peu exigeant et peu éclairant. Le contrôle de légalité, malgré son rétrécissement, fournit une illustration, parmi d'autres, des sous-performances manifestes. Cela ne peut être que préoccupant, alors même qu'il s'agit d'une mission constitutionnelle des préfets et d'une mission utile à certaines collectivités territoriales.
Mais, au-delà de la maquette de performances, ce sont bien les missions du réseau préfectoral qui sont en cause. Pour traiter le problème, le précédent gouvernement avait lancé un plan Préfectures nouvelle génération, le PPNG, à la dénomination quelque peu emphatique au vu des ambitions. Il s'agissait d'ajouter aux suppressions d'emplois de la période précédente 1 300 suppressions d'emplois de plus en trois ans, de 2016 à 2018, et de mettre en oeuvre quelques priorités autour de l'idée générale d'une présence stratégique de l'État dans les territoires par redéploiement d'emplois : le contrôle de légalité et le conseil aux collectivités territoriales, la coordination des politiques gouvernementales et la lutte contre la fraude documentaire.
Le PPNG entendait s'appuyer sur les gains de productivité réalisés grâce au numérique dans l'activité de délivrance des titres. J'y reviendrai. Les choses ne se sont pas passées exactement comme prévu. Les problèmes rencontrés dans le cadre de la dématérialisation de la délivrance des titres sécurisés ont obligé à conserver plus d'emplois que prévu dans cette mission. Surtout, le PPNG avait fait l'impasse sur les tensions exercées sur la société française par les graves problèmes de sécurité qu'elle subit et par les flux migratoires.
Le bilan de tout cela aujourd'hui, c'est que, si les suppressions d'emplois ont été effectuées, le renforcement des missions prioritaires a dû être révisé à la baisse, si bien qu'il faudra attendre pour que se concrétise le projet, quelque peu rhétorique jusque-là, d'un État stratège. Entretemps, ce qui se poursuit, c'est l'étiolement du réseau préfectoral à l'échelon infrarégional, dans les départements et arrondissements : 58 sous-préfectures avaient au plus dix équivalents temps plein en 2017, elles seront 76 en 2018.
Il existe donc une certaine perplexité quant à la plus-value apportée en pratique par l'administration générale de l'État dans les territoires. Si, dans les périodes de crise, chacun sent bien que l'État conserve son rôle régalien, pour les affaires plus courantes, la perception est moins favorable.
Il faut donc en revenir à ce que pourraient être les termes d'un débat de fond, qui doit envisager la capacité de l'État à assurer les missions qu'il entend mettre en oeuvre au niveau des territoires et, partant, porter sur son organisation territoriale.
À cet égard, il semble que nous soyons au pied d'un mur, dont les contours doivent être clarifiés. Les préfets de région ont reçu l'instruction d'élaborer des schémas territoriaux de réorganisation des services. Les résultats de cette revue ne sont pas connus. Ceux sur lesquels avait débouché la réorganisation de l'échelon régional, objet d'un renforcement très discutable, avaient été peu probants.
Le projet de budget pour 2019 comporte une innovation peu apparente, mais qui appelle une certaine attention. Il s'agit du transfert des emplois d'administration centrale du programme 307 vers le programme 216 de gestion générale des moyens. Ce transfert est présenté comme la préfiguration d'une évolution, qui verrait la fusion du programme avec le programme 333 rattaché aux services du Premier ministre. Rappelons également la recommandation du Comité action publique 2022 de construire un corps d'administrateurs territoriaux de l'État.
Tout cela fleure bon le renforcement de la déconcentration administrative. Je n'y suis pas opposé et j'entends que la mutualisation, mais aussi la mobilité géographique et fonctionnelle, pourraient en sortir améliorées.
Cependant, ces délices de gestionnaires ont leurs limites. Il y a lieu d'attendre des réformes moins optiques. La clarification de la répartition des compétences entre l'État et les collectivités territoriales doit être reprise afin d'éliminer les doublons. Une meilleure articulation des forces d'administration des territoires intégrant la diversité des capacités déployées au niveau des collectivités territoriales s'impose aussi. Il faut revenir à un État animateur de l'aménagement du territoire.
Quelques mots sur la délivrance des titres sécurisés, qui est au coeur des remaniements mis en oeuvre. La numérisation s'est traduite par la fermeture de la plupart des mairies comme points d'accès au système et elle a connu, cette année, un accident industriel avec les cartes grises acheminées avec un délai moyen supérieur à 35 jours pour celles, peu nombreuses en proportion, qui passent encore par le système géré par l'État. Les problèmes rencontrés sont allés si loin que le Défenseur des droits s'est ému de la situation. L'État prélève beaucoup d'argent à travers cette activité. Il importe d'améliorer la situation au plus vite et d'être en mesure d'offrir aux Français qui ne disposent pas d'un accès facile au numérique des solutions alternatives plus classiques.
Le Défenseur des droits a également beaucoup critiqué les conditions d'accueil des étrangers. Je trouve, dans le renforcement significatif des emplois destinés à traiter les dossiers, un point de relative satisfaction. Il était grand temps d'adapter les effectifs aux flux de demandes, en particulier au regard des problèmes de traitement des dossiers de mineurs non accompagnés. Un premier pas est franchi.
J'en viens au programme 232, qui finance l'organisation des élections et notre infrastructure de financement de la vie politique.
Je relève que le budget pour 2019 enregistre les effets de la non-dématérialisation de la propagande électorale pour les élections européennes. Elle a un coût élevé. On peut dire que c'est le coût de la démocratie. On peut également penser que le Gouvernement n'a pas prévu les expérimentations auxquelles le scrutin européen aurait pu se prêter.
L'enveloppe des subventions aux partis politiques reste inchangée, comme d'habitude. En revanche, sa répartition appelle deux remarques. Sa sensibilité aux résultats des élections nationales est extrême et sans nuance. Le parti socialiste perd 75 % de sa subvention et En Marche est subitement enrichi de 22 millions d'euros. D'autres modalités de répartition pourraient être envisagées. La subvention ne sera pas versée en totalité : 2,5 millions d'euros sont retranchés au titre de la parité. Je suggère que le Gouvernement réfléchisse à les consacrer à la politique en faveur des droits des femmes.
Enfin, je suis en train de conclure un rapport sur les crédits destinés au financement de la vie politique et je m'interroge sur les moyens réservés à la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. L'apurement des élections de 2017 a pris un certain temps, au point que les subventions versées aux partis ont été reportées. Par ailleurs, certains événements montrent que si l'on ne souhaite pas judiciariser certaines élections, la commission doit être en mesure d'assurer son rôle administratif en amont. Je l'avais dit au président de cette commission, lorsque je l'avais auditionné.
Quelques observations pour conclure sur les frais généraux du ministère de l'intérieur. Des arbitrages peu satisfaisants doivent être signalés ; je pense au renforcement des personnels d'administration centrale dans un contexte de réduction des effectifs locaux, à la baisse des moyens d'un fonds interministériel de prévention de la délinquance, par ailleurs sollicité par de nouveaux objectifs, et au maintien des ressources du conseil national des activités privées de sécurité.
Enfin, il convient d'appeler à une meilleure maîtrise opérationnelle de certains processus, qu'il s'agisse de la gestion immobilière, de la conduite des projets informatiques, de la maîtrise de la fonction juridique - les dépenses de contentieux restent trop élevées - ou encore des besoins liés à certains transferts d'activité. Je pense en particulier à la commission du contentieux du stationnement payant, qui risque de réserver bien des surprises au vu des flux de litiges.
Malgré les zones d'ombre et les remarques que je viens de formuler, je vous propose d'adopter les crédits de la mission.