Intervention de Sébastien Lyon

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 11 octobre 2018 : 1ère réunion
Table ronde avec unicef france

Sébastien Lyon, directeur général d'UNICEF France :

Merci, madame la présidente.

Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, Mesdames et Messieurs, c'est un réel plaisir et un honneur pour nous d'être parmi vous aujourd'hui et d'avoir l'occasion, en cette journée symbolique des droits de la fille, d'évoquer ce sujet complexe et préoccupant qu'est le mariage des jeunes filles.

Je vais tenter de dresser un tableau de la situation, puis d'esquisser les pistes que l'UNICEF poursuit sur le terrain afin d'enrayer ce fléau. Mes collègues Paola Babos et Chanceline Mevowanou apporteront ensuite des éclairages ciblés sur l'Afrique de l'Ouest et sur le Bénin.

J'aimerais commencer par un rappel de démographie. Actuellement, nous estimons le nombre total d'adolescentes à 600 millions, ce qui représente un pic dans l'histoire de l'humanité.

À la faveur de la transition démographique dans un certain nombre de pays et de taux de natalité qui restent élevés, il y a aujourd'hui dans le monde plus d'adolescentes qu'il n'y en a jamais eu dans l'histoire et qu'il n'y en aura probablement à l'avenir. Par conséquent, ces adolescentes représentent une préoccupation particulière pour nous tous. Il nous revient de nous occuper d'elles du mieux possible.

Le mariage précoce est un fléau ancien qui touche de nombreuses régions du monde. Toutefois, il est répandu de manière fortement hétérogène. Il est notamment pratiqué de manière fréquente en Afrique subsaharienne. Pour vous donner quelques exemples, nous observons un taux de mariage précoce de 17 % en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, avec un taux particulièrement fort au Soudan (34 %) ou au Yémen (32 %). En Europe de l'Est et en Asie centrale, ce taux est de 11 %. En Asie du Sud, il atteint environ 30 %. Ces chiffres montrent bien qu'il existe de réelles disparités à l'échelle mondiale.

Malgré tout, nous constatons une baisse du mariage précoce depuis dix ans. La prévalence du mariage des enfants à l'échelle mondiale a ainsi diminué d'une fille sur quatre à une fille sur cinq. Ce taux reste néanmoins préoccupant, d'autant que cette baisse, pour sensible qu'elle soit, recouvre des disparités importantes d'une région à l'autre. La plus forte diminution, qui est de l'ordre de 20 %, a été observée en Asie du Sud-Est. En revanche les taux les plus élevés persistent en Afrique subsaharienne. Par ailleurs, les pays qui ont connu la baisse la plus marquée de ce phénomène sont l'Éthiopie et l'Inde.

En outre, le fort taux d'augmentation des mariages précoces dans les zones de crise constitue un phénomène alarmant. J'aimerais à cet égard partager avec vous un retour de terrain. Je me trouvais au Liban il y a quelques mois. En visitant des camps informels de réfugiés syriens dans la plaine de la Bekaa, j'ai eu l'occasion de discuter avec des familles. J'ai entendu des parents dire qu'ils avaient marié leur fille de quatorze ans. Ils m'ont expliqué que le mariage précoce ne se pratiquait pas en Syrie avant la guerre. Les filles n'y étaient jamais mariées avant l'âge de 18 ans. Le taux de mariages précoces en Syrie avant la guerre restait marginal. Les filles étaient scolarisées et pouvaient poursuivre leurs études.

Par conséquent, la situation actuelle constitue un réel retour en arrière. La crise est un moment où les repères changent. Pour de nombreux parents, marier sa fille revient à la protéger, aussi paradoxal que cela puisse paraître. Les parents souhaitent protéger leur fille de la guerre, des difficultés qu'elle induit ou des déplacements forcés. Cet enjeu de protection complique considérablement notre travail.

Par ailleurs, les situations de mariages forcés répondent aussi à un enjeu économique pour les parents, qui considèrent qu'ils auront ainsi « une bouche de moins à nourrir ». Cette raison semble valable aux yeux des parents qui se trouvent dans des situations tendues, et notamment des réfugiés.

Nous voyons donc que ce sujet reste complexe à évaluer. Les raisons et les déterminants sont multiples et variables d'un pays à l'autre. Cette situation exige que nous, à l'UNICEF, adoptions des démarches et des solutions ciblées.

L'un des corollaires des mariages précoces concerne les grossesses précoces, qui représentent une thématique également préoccupante. Nous mettons régulièrement ce sujet en avant lorsque nous expliquons pour quelle raison le mariage précoce est néfaste. En effet, les conséquences sur la santé des jeunes mères et celle de leurs enfants donnent matière à s'inquiéter. Les grossesses précoces affectent la croissance et le statut nutritionnel de filles qui n'ont pas terminé leur croissance. Elles augmentent le risque de complications durant la grossesse et l'accouchement. Elles mettent également l'enfant en situation de risque, car les filles ne disposent pas des connaissances nécessaires pour s'occuper d'un enfant. Ces complications viennent aggraver une situation déjà problématique.

Dans ce contexte, que fait l'UNICEF ? Nous menons de grandes initiatives, qui sont inscrites dans notre plan stratégique. Nous avons développé un plan d'action, le Plan d'action pour l'égalité des sexes de l'UNICEF5(*), qui marque notre détermination pour traiter le problème dans toutes ses composantes et dans tous les lieux possibles. Ce plan fixe les cinq axes prioritaires suivants :

- promouvoir l'accès des filles à une nutrition adaptée à la santé sexuelle et reproductive, notamment pour contrer les grossesses à risque ;

- renforcer l'accès des filles à l'éducation secondaire et à la formation. Nous savons que les filles qui sont mariées fréquentent moins l'école et qu'inversement les filles qui vont à l'école se marient moins jeunes. L'éducation représente donc à nos yeux une clé décisive pour faire régresser le mariage précoce ;

- mettre un terme aux mariages des enfants et aux unions précoces ;

- prévenir les violences sexistes dans les crises ;

- faciliter l'accès à l'hygiène menstruelle.

Outre ces diverses pistes, l'UNICEF a récemment lancé une initiative lors d'un événement en marge de l'Assemblée générale des Nations Unies qui s'est tenue à New York en septembre. Avec des agences des Nations Unies et plusieurs autres partenaires, dont un certain nombre d'États, nous avons initié le projet Generation Unlimited. Cette initiative vise à affirmer que nous devons aider cette génération d'adolescentes et d'adolescents à réaliser son potentiel.

Traditionnellement, l'action de l'UNICEF sur le terrain est de nature multifactorielle. Nous travaillons sous l'angle de l'éducation, de la protection ou de l'économie. Sur ce dernier point, de nombreuses études prouvent les conséquences néfastes de la pratique du mariage précoce sur l'économie des pays concernés. Nous recourons d'ailleurs fréquemment à cet argument dans nos plaidoyers auprès de tous les acteurs. Le fait de considérer cette question du point de vue économique et juridique nous aide à diversifier notre argumentaire.

Plus spécifiquement, UNICEF France a décidé de lancer l'initiative Go girls. Il s'agit de réunir autour de nous des femmes et des hommes philanthropes qui souhaitent nous soutenir par leur notoriété et par leur aide financière dans la lutte contre le mariage précoce et les violences sexuelles. Ces fonds, collectés auprès de donateurs français, seront utilisés dans le cadre de trois projets : l'un dans des situations d'urgence, l'autre au Liban et un troisième au Bénin, dont Chanceline Mevowanou va vous parler. Ce programme s'étendra sur trois années, de 2018 à 2020. Nous espérons donc que la France pourra apporter sa contribution à ce problème mondial qu'est la lutte contre le mariage précoce.

Enfin, j'aimerais terminer en prenant date pour des échéances à venir, telles que le prochain G7 qui se tiendra en août 2019 en France. Nous savons que l'éducation des filles et la lutte contre les violences faites aux filles seront à l'ordre du jour de cette réunion. Je vous donne donc rendez-vous pour continuer nos travaux et nous assurer que nous porterons haut et fort la voix des filles, en particulier de celles qui subissent ce fléau qu'est le mariage précoce.

J'aimerais enfin remercier madame la présidente pour son invitation, ainsi que Marta de Cidrac. Je tiens à remercier également toute mon équipe, ainsi que Paola et Chanceline qui se sont déplacées à Paris pour cette journée.

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