Madame la présidente, Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, Mesdames, Messieurs, je voudrais tout d'abord vous remercier pour cette opportunité de célébrer ensemble la Journée internationale des droits des filles et de vous présenter la situation des filles en Afrique de l'Ouest et du centre.
Cette région compte une population extrêmement jeune, avec les taux de croissance démographique les plus élevés au monde. D'ici 2050, la population de la région devrait doubler. Nous estimons qu'un enfant sur dix dans le monde naîtra au Nigéria à cette échéance.
Il s'agit également de la région où les inégalités de genre se révèlent les plus fortes. Parmi les vingt pays aux inégalités les plus fortes en Afrique, dix-sept se trouvent en Afrique de l'Ouest et du centre. Les filles sont au coeur de cette dynamique démographique de la région, car l'âge auquel les femmes et les filles ont leur premier enfant détermine le taux de croissance démographique. Au Niger par exemple, l'âge médian de la naissance au premier enfant est de 18 ans. Cela signifie que 4,4 générations se succèderont en l'espace de quatre-vingt ans. Par comparaison, l'âge moyen de la naissance au premier enfant en Allemagne est de 29,4 ans, ce qui signifie que 2,7 générations se succèderont pendant la même durée.
Cette forte croissance démographique s'explique par un taux très élevé de mariage des filles et de grossesse précoce. Six des dix pays ayant les taux de mariage des enfants les plus élevés au monde se trouvent dans notre région. Plus de 9 millions de filles, soit l'équivalent de la population autrichienne, y sont mariées avant l'âge de 18 ans. Parmi ces jeunes filles, 1,25 million sont mariées avant l'âge de 15 ans, soit l'équivalent de la population de l'Estonie ! En outre, un tiers des filles a accouché avant l'âge de 18 ans. Une grande partie de ces naissances est due au mariage des enfants, particulièrement dans la région du Sahel.
Comme Sébastien Lyon l'a fait observer, le mariage des enfants et l'éducation des filles sont intimement liés. Bien que nous ayons réalisé des progrès importants en matière d'enseignement primaire au cours des deux dernières décennies, les avancées dans l'enseignement secondaire restent bien trop lentes. Aujourd'hui, un peu plus de la moitié des filles ont terminé l'enseignement primaire ; environ un tiers ont achevé le premier cycle du secondaire et seulement 14 % des jeunes femmes ont terminé le deuxième cycle du secondaire.
Les filles sont également touchées de manière disproportionnée par le VIH/sida et se trouvent extrêmement vulnérables à la violence physique et sexuelle. Ces situations sont exacerbées dans les contextes de crise, comme c'est le cas en République démocratique du Congo, dans le bassin du lac Tchad, en République centrafricaine ou encore dans les pays affectés par la crise Ébola.
Pour l'UNICEF, il est important de comprendre que la pauvreté des adolescentes tient à l'absence d'opportunités, au poids des préjugés et à l'importance des privations qu'elles subissent. Souvent, le mariage constitue le choix « le moins pire », faute d'alternatives et dans un contexte où il est extrêmement risqué pour une fille d'être enceinte en dehors du mariage.
Dans cette perspective, la relation entre l'éducation des filles et le mariage des enfants est double. D'un côté, le mariage représente une cause importante d'abandon scolaire. De l'autre, le fait de maintenir les filles à l'école reste le meilleur moyen de retarder et, à terme, de prévenir le mariage des enfants. Selon l'UNICEF, il est donc essentiel de susciter des alternatives au mariage précoce et d'investir massivement dans une éducation de qualité pour les filles.
C'est pourquoi, avec l'adoption du Plan d'action pour l'égalité des sexes de l'UNICEF, nous avons développé les investissements en faveur des adolescentes en Afrique de l'Ouest et du centre. De tels investissements doivent à nos yeux se concentrer sur les filles les plus défavorisées, dans le cadre de démarches intégrées fondées sur l'indivisibilité des droits. Les données nous montrent clairement aujourd'hui que le fait d'investir dans les droits des adolescentes est un enjeu de développement socioéconomique, de développement durable et un atout pour l'économie6(*).
Selon les études les plus récentes dans notre région, le fait de mettre fin au mariage des enfants et aux grossesses précoces aiderait les pays à tirer parti du « dividende démographique »7(*). En effet, cela entraînerait une réduction de la croissance de la population estimée à 3,5 points ainsi que des gains économiques de l'ordre de 64 milliards de dollars par an.
De même, chaque année supplémentaire d'éducation des filles est associée à une diminution du risque de mariage et de grossesse précoces. Si l'éducation secondaire universelle était atteinte, le mariage des enfants serait pratiquement éliminé et la prévalence des grossesses précoces diminuerait des trois quarts.
En outre, le fait de mettre fin aux grossesses précoces et d'améliorer le niveau d'instruction des mères aurait un impact important sur la réduction de la mortalité infantile, qui diminuerait d'un cinquième, et de la malnutrition, qui serait réduite d'un tiers. Ces effets s'ajoutent aux impacts positifs sur la prise de décision des femmes au sein des ménages et sur la probabilité que les nouveau-nés soient enregistrés à la naissance.
Le plan d'investissement de l'UNICEF en faveur des adolescentes vise donc à catalyser nos actions et celles de nos partenaires dans trois domaines clés : la prévention du mariage des enfants, la scolarisation des filles et leur santé et bien-être. Sur le premier axe, nous travaillons en étroite collaboration avec l'Union africaine8(*), les organismes régionaux tels que la CEDEAO9(*) et les gouvernements nationaux dans la mise en oeuvre de la campagne de l'Union africaine pour mettre fin au mariage des enfants. Ces actions sont accompagnées par des interventions ciblées qui ont pour objectif d'autonomiser les filles au niveau communautaire et de soutenir l'engagement des parents, des chefs traditionnels, des groupes de femmes, des médias et des leaders d'opinion influents sur les réseaux sociaux.
Je pourrais citer notre travail au Ghana. L'UNICEF y a aidé le gouvernement à élaborer et à mettre en oeuvre un plan d'action national chiffré pour mettre fin au mariage des enfants. Nous travaillons également avec l'Union africaine pour mettre en place un mécanisme de suivi et de responsabilisation de nature à permettre d'évaluer les progrès des pays dans la réalisation de cet objectif.
Dans le domaine de l'éducation et de la formation des filles, nous oeuvrons avec le Partenariat mondial pour l'éducation10(*) et avec l'Initiative des Nations Unies pour l'éducation des filles11(*) afin de veiller à ce que les plans du secteur de l'éducation intègrent des mesures spécifiques de promotion de l'égalité des sexes. En effet, les systèmes éducatifs ont un rôle central à jouer pour répondre efficacement au mariage des enfants et aux grossesses précoces. Pour atteindre cet objectif, nous souhaitons éliminer les obstacles géographiques et économiques empêchant les filles d'accéder à l'école. D'autres mesures doivent permettre d'élargir leur formation et l'acquisition de compétences en matière de citoyenneté, de santé sexuelle et d'entrepreneuriat.
Au Niger, l'UNICEF et ses partenaires ont travaillé avec le gouvernement pour élever l'âge de scolarisation obligatoire pour les filles à 16 ans, ce qui offre d'importantes opportunités et alternatives pour les filles mariées. Au Libéria, le programme pour l'égalité des sexes dans l'éducation que soutient l'UNICEF touche plus de 4 000 filles, dont 500 jeunes mères et filles qui ont abandonné leurs études, avec des interventions de réintégration et de maintien à l'école. Ce programme renforce leur apprentissage et leur engagement dans la prévention des violences sexuelles.
Enfin, dans le domaine de la santé et du bien-être des adolescentes, notre objectif consiste à renforcer les politiques de santé envers ce public et à examiner de quelle manière elles peuvent accéder à des informations et des services sûrs et fiables. Cela comprend des interventions en milieu scolaire portant sur la nutrition, l'hygiène menstruelle et la santé ainsi que sur l'éducation sexuelle. Des interventions en milieu communautaire peuvent aussi être déployées par les jeunes eux-mêmes pour atteindre les adolescentes non scolarisées. Nous avons obtenu un résultat important au Ghana, où nous avons accompagné le gouvernement dans le premier programme de nutrition des filles en milieu scolaire afin de réduire l'anémie et d'informer les filles en matière de santé et de nutrition.
Bien qu'il n'existe pas de solution unique, l'UNICEF travaille avec les gouvernements et ses partenaires dans les secteurs que je viens de mentionner pour augmenter les chances des filles d'être éduquées dans une école sûre et pour les aider à préparer leur avenir et à atteindre leur plein potentiel.
Nous devons élargir les opportunités des filles, ce qui nécessite le développement d'actions intégrées et efficaces en leur faveur. Pour ce faire, l'UNICEF souhaite élargir les investissements à travers trois axes clés :
- la mise en commun des données sur les investissements les plus efficaces dans chaque contexte national ;
- la définition d'une série d'investissements les plus susceptibles d'améliorer les opportunités des filles ;
- la mise en place de plateformes nationales pour accompagner et autonomiser les adolescentes.
L'ensemble de ces mesures devra permettre aux filles de surmonter elles-mêmes la pauvreté, l'inégalité et la discrimination. Je vous remercie.