Intervention de Chanceline Mevowanou

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 11 octobre 2018 : 1ère réunion
Table ronde avec unicef france

Chanceline Mevowanou, militante béninoise contre le mariage des enfants et les grossesses précoces :

Merci madame la présidente. Bonjour à toutes et à tous.

J'aimerais vous parler aujourd'hui des actions que nous menons au niveau local au Bénin pour lutter contre le mariage forcé des filles et les grossesses précoces. Tout d'abord, il faut savoir que le contexte social ne semble pas favorable à ces actions, surtout dans les villages, où l'enfant est considéré comme le patrimoine de sa famille et doit donc obéir et subir sans poser de questions.

Au Bénin, trois filles sur dix sont mariées avant l'âge de 18 ans et une fille sur dix avant l'âge de 15 ans. Selon un rapport ministériel, le Bénin a enregistré 2 763 cas de grossesses précoces au collège au cours de l'année scolaire 2016-2017, ce qui signifie qu'une fille sur cinq est concernée. Toutefois, ce chiffre n'inclut pas les filles qui ne sont pas scolarisées.

Que faisons-nous face à cette situation ? Nous misons principalement sur un travail d'information tourné aussi bien vers les filles que vers leurs parents. Généralement, les filles qui subissent cette situation ne sont pas suffisamment informées.

J'ai entendu de nombreux récits marquants sur le terrain et j'aimerais les partager avec vous aujourd'hui.

Ainsi, je me souviens d'une fille de 14 ans qui habitait avec une cousine de son père. Après le décès de ce dernier, sa mère est rentrée dans sa famille. La tante qui s'occupait de cette jeune fille a cessé de prendre soin d'elle du jour au lendemain. Comme elle voulait la marier à un homme déjà marié et père de cinq enfants, la jeune fille a fui pour aller voir son oncle en espérant obtenir de l'aide. Malheureusement, l'oncle l'a chassée et lui a dit d'obéir à sa famille. La jeune fille a fui à nouveau pour rejoindre sa mère, qui ne souhaitait pas créer de problèmes avec sa belle-famille. Finalement, la jeune fille est retournée chez sa tante. Mais elle refusait toujours de se marier. Elle a fini par quitter la maison et dort désormais seule dans la rue.

Je peux également témoigner de l'histoire d'une autre jeune fille de 14 ans qui a été enlevée par trois hommes. Chez son futur mari, elle a été enfermée, bâillonnée et violée à plusieurs reprises par trois personnes. Elle a ensuite été donnée en mariage avec la complicité de son oncle. Une autre fille, qui fréquentait un homme, est tombée enceinte. Ses parents l'ont renvoyée de la maison et forcée à se marier avec le père de l'enfant.

Ces histoires ne sont que des fragments de ce que nous vivons et entendons tous les jours. Les parents disent souvent qu'ils veulent donner leur fille en mariage pour la protéger. Ils n'ont peut-être pas les moyens de prendre soin d'elle et supposent qu'un mariage garantira sa protection, alors même que leur enfant ne souhaite pas être mariée. Ces filles, qui sont souvent violées et battues, disent qu'elles n'ont pas le choix. Elles ne savent pas qu'elles ont le droit de dire non. Certaines d'entre elles pensent que ce qui leur arrive est lié à un destin et que la situation ne peut être autrement.

Par conséquent, j'ai travaillé avec l'UNICEF au Bénin sur la campagne « Tolérance zéro mariage des filles ». Nous nous rendons dans les villages. Étant donné que la majorité des filles ne sont pas instruites, il était nécessaire de trouver le moyen de les informer et de discuter avec elles. Nous avons développé une approche fondée sur la représentation d'une pièce de théâtre dans leur langue, avec des chansons et de la poésie, afin de faire passer notre message et d'ouvrir la discussion. Cette démarche s'adresse aux personnes qui n'ont pas été scolarisées ainsi qu'aux leaders religieux, qui se sont ensuite réellement engagés à nos côtés. Le roi d'une ville du Bénin s'est ainsi senti révolté après l'une de nos séances : il nous aide désormais grandement.

Par ailleurs, nous menons des séances d'information dans les écoles et dans les localités. Nous saisissons toutes les opportunités de discuter avec de petits groupes de filles. Nous souhaitons les rendre moins naïves et ignorantes et leur faire comprendre qu'elles ont le droit de mettre fin aux événements qu'elles subissent.

Nous avons également créé une plateforme en ligne pour agir contre le mariage forcé. Cette présence active sur les réseaux sociaux nous a par exemple permis de sauver une fille au nord du Bénin qui avait été donnée en mariage. Dès que l'information nous est parvenue, nous l'avons partagée sur les réseaux sociaux et dans les journaux. En peu de temps, l'instance en charge de la protection de l'enfance a pu réagir. Nous avons pu sauver sept filles de cette manière. Le partage sur les réseaux sociaux nous aide à toucher de nombreuses personnes.

Nous travaillons également avec le programme « Amour et vie ». Le sujet des grossesses précoces reste problématique, car, chez nous, la sexualité reste taboue. Si quelqu'un évoque ce sujet, il va à l'encontre des normes sociales. L'environnement reste hostile à ce type de discussions, mais nous tâchons d'évoquer ces questions dès que nous en avons l'opportunité. En effet, ces filles s'interrogent. Certaines nous abordent dans la rue et nous demandent comment faire pour ne pas tomber enceintes. Or elles ne peuvent en parler ni avec leur entourage ni au sein de leur famille. D'autres filles pensent aussi que, si un garçon les aide financièrement, il peut recevoir une contrepartie sexuelle. Nous essayons donc de leur faire comprendre que cela ne doit pas être obligatoire, en les sensibilisant aux notions de consentement sexuel et de prévention. Mais une fois que les filles sont enceintes, les parents les marient de force parce qu'ils veulent préserver l'honneur de la famille. Chez nous, nous parlons d'une « épidémie » de grossesses précoces, car un nombre élevé de filles tombe enceinte. Lorsque cela arrive, la famille ressent de la honte et les filles se trouvent discriminées et insultées. Elles ne vont plus à l'école de peur de subir des humiliations.

Nous essayons donc de dire aux filles qui ont déjà vécu de tels traumatismes que rien n'est perdu et qu'elles ont encore la possibilité de vivre une vie épanouie. Nous les envoyons vers les centres de promotion sociale, qui les aident à retourner à l'école après l'accouchement. Nous misons également sur la prévention. Il est indispensable d'informer et d'éduquer les populations et les communautés. Un ancrage mental fort persiste et de nombreux parents restent convaincus que le fait de donner leur fille en mariage reste une option favorable. Or ils ne connaissent pas la réalité que la fille vit chez le mari. Ils ignorent si celle-ci est violée, battue ou enfermée. Personne ne se rend chez le mari pour vérifier que la fille se porte bien. Les parents estiment avoir fait le meilleur choix alors que leur fille vit un enfer. Par conséquent, l'information des populations constitue un enjeu primordial, tout en éduquant les filles et en leur donnant les moyens nécessaires pour être autonomes et pouvoir dire non. À nouveau, nous souhaitons donner aux filles l'opportunité de vivre leur vie et de réaliser leurs rêves. Les filles méritent une telle opportunité, car une fille éduquée et protégée est un pilier du monde.

Je vous remercie.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion