Bien entendu, je ne m'approprie en aucun cas le travail de mes collègues Maryvonne Blondin et Marta de Cidrac et me contente de présenter leur travail ce matin. Je salue en outre les sénateurs et sénatrices qui nous ont rejoints depuis le début de notre table ronde.
Je suis très heureuse de vous présenter les principales conclusions du rapport sur les mutilations sexuelles féminines, qui sont en lien avec les droits des filles, dans le cadre de cette table ronde sur un problème dont la gravité ne peut laisser indifférent, a fortiori après les témoignages que nous venons d'entendre.
En effet, le mariage des enfants prive les filles de leur droit à la santé et à l'éducation et de la possibilité de s'épanouir. Il les expose à la violence tout au long de leur vie et les enferme dans un cycle de pauvreté et de dépendance, comme le témoignage de Chanceline Mevowanou nous l'a montré. Je souhaite préciser que Marta de Cidrac et Maryvonne Blondin, nos co-rapporteures, sont toutes deux fortement impliquées dans ce sujet. Leur engagement en faveur des droits des femmes et des filles est bien connu. Je précise également que Maryvonne Blondin est aujourd'hui retenue par ses obligations dans le cadre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.
Il me paraît important de rappeler tout d'abord que ce rapport s'est inscrit dans un programme de travail centré à la délégation, en 2017-2018, sur toutes les violences faites aux femmes, dans le cadre du projet de loi contre les violences sexuelles et sexistes qui a été adopté en août.
Pour mener à bien cette étude, la délégation aux droits des femmes s'est appuyée sur des rencontres avec des victimes de mutilations et avec des acteurs de la lutte contre l'excision. Au-delà des auditions et tables rondes organisées avec les associations et les personnes référentes sur ce douloureux sujet, deux déplacements nous ont particulièrement marqués et nous ont permis d'échanger directement avec des victimes.
La première de ces visites s'est déroulée à l'Institut en santé génésique Women Safe de Saint-Germain-en-Laye. Le docteur Pierre Foldès, qui est un pionnier en la matière, y propose des techniques de réparation chirurgicale aux victimes de mutilations sexuelles féminines. Pour les sénatrices et les sénateurs présents, cette visite s'est avérée particulièrement intéressante, mais aussi violente, du fait des propos que nous avons entendus au sein d'un groupe de parole sur l'excision.
Notre deuxième déplacement a eu lieu au foyer Une femme, un toit, dirigé par Marie Cervetti et dédié à l'hébergement de jeunes femmes victimes de violences. La plupart sont âgées de 18 à 25 ans. Nous y avons rencontré une ancienne résidente, qui avait d'ailleurs été opérée à Women Safe.
À travers les témoignages bouleversants de ces femmes, nous avons compris que l'excision ne représente bien souvent que l'une des terribles épreuves jalonnant un long parcours marqué, entre autres violences, par les mariages précoces ou forcés. En effet, il faut être conscient que les mariages précoces vont généralement de pair avec le viol conjugal. À titre d'exemple, 80 % des jeunes femmes hébergées au foyer qui ont été victimes d'excision ont été mariées de force ou menacées de mariage forcé.
Le lien entre l'excision et le mariage forcé a aussi été souligné par la Commission consultative nationale des droits de l'homme (CNCDH) dans un avis de décembre 2013 portant sur les mutilations sexuelles. Enfin, je relève que l'une des cibles des Objectifs du développement durable (ODD) établit un lien entre ces fléaux puisqu'elle vise à « éliminer toutes les pratiques préjudiciables telles que les mariages des enfants, les mariages précoces, les mariages forcés et les mutilations génitales féminines d'ici 2030 ».
De nombreux propos de nos intervenants ce matin font écho aux constats de notre rapport. Sans y revenir, j'aimerais citer deux chiffres particulièrement évocateurs et effrayants : les mutilations sexuelles féminines font une victime toutes les quinze secondes dans le monde ; le mariage des enfants concerne 23 filles chaque minute, soit près d'une fille toutes les deux secondes13(*).
Il me semble que plusieurs des recommandations de notre rapport sur les mutilations sexuelles féminines pourraient s'avérer pertinentes dans la lutte contre les mariages des enfants et les grossesses précoces, précisément en raison de ce continuum entre les différentes formes de violence.
L'une de nos recommandations14(*) vise à engager un recensement systématique dans les établissements d'enseignement secondaire des jeunes filles qui quittent le collège à l'âge de l'obligation scolaire sans que les établissements aient édité une autorisation de sortie ou exeat. En effet, les jeunes filles concernées peuvent être de potentielles victimes d'excision ou de mariage précoce ou forcé dans le pays d'origine de leur famille.
Une autre recommandation15(*) concerne les personnels de l'Éducation nationale. L'enjeu de leur formation est notamment de protéger les jeunes filles menacées d'excision ou de mariage forcé à l'occasion de congés scolaires. Cette recommandation complète bien évidemment la précédente.
Dans le même esprit, notre rapport rappelle l'urgence d'un renforcement des moyens de la médecine scolaire16(*), qui est indispensable au repérage des victimes et à la protection des petites filles et adolescentes menacées d'excision. À bien des égards, les professionnels de santé appartenant à la communauté éducative (médecins scolaires, infirmières ou psychologues) se trouvent en première ligne pour contribuer au repérage et à l'orientation des victimes potentielles, qu'il s'agisse de l'excision ou du mariage forcé.
Le rapport invite par ailleurs à procéder à un signalement des femmes mineures excisées qui accouchent en France17(*), car ces jeunes filles ont pu être victimes de mariages forcés. Nous sommes sensibles aux réticences des médecins qui craignent d'aggraver la situation de ces jeunes filles par un signalement qui mettrait en cause leurs parents. Toutefois, il revient au procureur d'apprécier la suite à donner à un signalement, et non au médecin de décider de l'opportunité de celui-ci. En effet, il faut être conscient que ces jeunes mineures excisées ont été victimes d'actes criminels. À cet égard, j'aimerais citer les propos très forts du docteur Emmanuelle Piet, Présidente du Collectif national contre le viol, qui se réfère à son expérience de médecin de PMI : « Dans ma pratique, j'ai été conduite à soigner de très jeunes filles enceintes et mutilées. Il n'y a pas d'histoire d'amour dans ce contexte, je vous le garantis. On y trouve en revanche la litanie du mariage forcé et du viol conjugal, sans oublier les mutilations ».
Dans ce contexte, nous pouvons être fiers que, grâce à l'initiative de plusieurs membres de la délégation, l'une des recommandations de notre rapport18(*) ait trouvé une traduction législative dans la loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Cette recommandation consiste à étendre le périmètre de l'Aide sociale à l'enfance (ASE) aux missions de repérage et d'orientation des mineurs victimes ou menacés de violence sexuelle, notamment des mineures victimes de mutilation sexuelle19(*).
Plus généralement, nous soulignons l'importance de la convention d'Istanbul20(*), qui engage explicitement les États à sanctionner les mutilations sexuelles féminines, mais aussi les mariages forcés21(*). Le rapport appelle à une très large ratification de cet instrument international indispensable à la lutte contre toutes les violences faites aux femmes. Maryvonne Blondin, dont l'expertise sur ce sujet est bien connue, nous en parlerait encore mieux !
Nous proposons également de marquer notre soutien aux associations qui agissent au quotidien contre les mutilations sexuelles féminines dans un contexte financier trop souvent difficile22(*). Je salue bien évidemment les représentantes qui sont parmi nous ce matin. Nous appelons de surcroît à un renforcement des subventions aux associations qui oeuvrent contre les violences faites aux femmes. Dans la mesure où la lutte contre les violences faites aux femmes est une grande cause du quinquennat, il s'avère essentiel d'assurer la pérennité des financements des acteurs de ce secteur. Il s'agit là d'un enjeu national, car les associations voient leurs moyens diminuer. Nous souhaitons que ces subventions soient plus prévisibles et pérennes, et ce dans une logique pluriannuelle. Nous pouvons d'ailleurs craindre que cette recommandation ne reste d'actualité de budget en budget...
Je vous remercie pour votre attention et vous invite à consulter le rapport d'information de nos deux collègues. Merci à Marta de Cidrac et à Maryvonne Blondin pour l'excellent travail qu'elles ont mené sur ces sujets. J'espère que ces différentes interventions susciteront des remarques de la part de nos collègues.