Le 21 juin dernier, nous avions fait devant vous un point d'étape sur nos travaux consacrés aux « nouvelles mobilités ». Lors de ce premier échange nous dressions quelques constats. Le premier d'entre eux est évident : nous sommes dans une période de transformation profonde de l'approche de la question des mobilités sous l'effet de plusieurs facteurs. Le progrès technique rapide permis par la démultiplication des innovations numériques joue beaucoup dans cette transformation : les applications mobiles nous guident dans nos déplacements, nous permettent de les préparer, de payer nos tickets ou réserver notre taxi ou notre VTC. Ces outils sont même un fil à la patte : sans eux, nous sommes parfois perdus.
Le numérique embarqué dans les voitures permet aussi d'avancer sur le chemin du véhicule autonome : des expérimentations sont menées, par Uber, Tesla, Google, mais aussi par les constructeurs automobiles français et le récent rapport de Mme Anne-Marie Idrac, que certains d'entre nous ont rencontrée hier lors d'un déjeuner-débat, insiste pour que la France se dote d'orientations stratégiques pour le développement de ces technologies.
Les innovations s'adressent aux usagers des transports, aux citoyens, qui bénéficient d'une « mobilité augmentée » en étant mieux informés et en bénéficiant d'un accès permanent et aisé aux services de mobilité. Elles s'adressent aussi aux collectivités et entreprises qui organisent et gèrent les services de mobilité : c'est vrai pour le fret avec toute la logistique qui peut être suivie en temps réel, c'est aussi vrai pour les gestionnaires d'infrastructures de transport, qui peuvent mieux connaître et anticiper les flux de véhicules ou de passagers et ajuster leurs actions en permanence (fermeture et ouverture de voies etc...).
Le progrès technique, c'est aussi le développement de nouveaux modes de propulsion, et le remplacement progressif des motorisations thermiques par une propulsion électrique, qui va bouleverser toute l'économie des transports, des fournisseurs d'énergie aux fabricants de véhicules. J'indique toutefois que je considère, à titre personnel, que le tout électrique n'est pas la panacée, et que je préférerais de loin qu'on s'oriente vers une multitude de solutions de motorisation.
Mais il n'y a pas que le progrès technique qui transforme les mobilités : les phénomènes que nous observons résultent aussi d'une transformation des attentes sociétales et des habitudes de consommation : l'économie du partage a ainsi fait son irruption dans les mobilités avec le covoiturage, les vélos en libre-service et désormais le « free-floating » dans les grandes villes pour les vélos, les trottinettes, les scooters, etc... Il faudra réguler tous ces nouveaux modes, car la ville doit rester agréable à vivre.
Le constat des transformations profondes des mobilités doit cependant être nuancé : tout changement de modèle brutal paraît difficilement acceptable et la voiture individuelle reste le principal mode de déplacement en France et elle continuera à exister. Le problème est d'ailleurs moins la voiture que l'autosolisme !
La question des mobilités est au carrefour de multiples enjeux. Nous sommes au demeurant tous mobiles, et ceux qui ne le sont pas ont besoin que des services soient amenés auprès d'eux.
L'enjeu environnemental est majeur. La France affiche des ambitions élevées avec la stratégie nationale bas carbone et le Gouvernement a annoncé la fin des véhicules thermiques pour 2040, ce qui impose de réinventer les mobilités, mais l'objectif me paraît à titre personnel assez critiquable : allons-nous jeter des véhicules à moteur thermique qui fonctionnent encore, et sur lesquels on a fait des progrès avec notamment des filtres à particules ?
L'enjeu industriel est lui aussi fondamental. Les mobilités numériques ou encore le véhicule électrique déplacent la chaîne de valeur, des constructeurs traditionnels vers les fournisseurs de services numériques, gestionnaires de données, ou encore fabricants de batteries, qui sont principalement asiatiques ou américains. Va-t-on laisser le champ libre aux GAFAM américains ou BATX chinois, auxquels on ne pense pas toujours d'emblée et qui sont pourtant très puissants ? Va-t-on conserver une industrie des transports performante et innovante en France et en Europe ?
L'enjeu pour les finances publiques n'est pas mince : pas moins de 45 milliards d'euros de dépenses publiques et 50 milliards d'euros de recettes, en comptant les 30 milliards de TICPE, qui fait l'objet de multiples affectations, concernent les mobilités au sens large.
L'enjeu social ne doit pas être oublié : l'absence de solution de mobilité est un vrai facteur d'exclusion et les désordres des mobilités - embouteillages, temps de parcours longs en transports collectifs - frappent d'abord les plus vulnérables. Or, les nouvelles mobilités risquent de laisser sur le côté une part importante de la population, notamment les 6 à 11 millions de Français touchés par l'illectronisme.
Enfin, l'enjeu territorial consiste à offrir des solutions de mobilité partout, pas seulement dans les centres urbains déjà hyperconnectés et hyper-reliés entre eux et à l'international. J'aurais d'ailleurs souhaité donner à notre rapport le sous-titre suivant : « le maillage pour tous ». Les zones périurbaines ou encore les zones rurales doivent bénéficier des nouveaux services pour ne pas dépendre quasi-exclusivement de la voiture individuelle. Les nouvelles techniques numériques offrent aussi des solutions pour mieux organiser des services de mobilité voire les créer dans les zones peu denses. Il convient aussi que ces territoires soient bien connectés aux zones denses pour ne pas enfermer les habitants dans une seule logique de déplacements de proximité.