Une fois les constats effectués, la question principale qui se pose à nous est la suivante : comment vont se mettre en place les mobilités de demain dans les territoires, quels scénarios nous paraissent les plus probables, et éventuellement quels scénarios pouvons-nous redouter ?
Pour répondre à ces questions, il faut d'abord identifier les critères ou déterminants des comportements de déplacement des individus et des marchandises. Trois d'entre eux nous paraissent fondamentaux.
Le premier critère est celui des dynamiques territoriales des activités économiques et de l'habitat. Va-t-on vers une polarisation accrue des territoires et une spécialisation toujours plus forte des espaces ? Va-t-on à l'inverse vers une meilleure distribution des activités sur les territoires ? La polarisation contribue aux mouvements pendulaires domicile-travail et aux inégalités territoriales.
Nous avons entendu des géographes, qui sont divisés sur la question de la métropolisation : la métropole est autant attirante, par les emplois et les services que l'on y trouve, que repoussante par les effets de congestion ou encore le coût plus élevé de la vie. On observe depuis peu une sorte de renouveau rural, et l'accroissement des possibilités de mobilité pourrait bien encourager les ménages à s'installer dans les zones moins denses et y développer des activités à forte valeur ajoutée.
Le deuxième critère est celui du coût des nouvelles mobilités. Pour le moment, on a le sentiment que tous ces nouveaux outils mis à notre disposition sont gratuits ou quasi-gratuits : il y a encore cinq ans, on payait pour disposer d'un GPS. Désormais, les applications gratuites de guidage routier sont en train de les remplacer.
Mais la gratuité est une illusion : les innovations ont un coût et leur mise en oeuvre doit répondre à un modèle économique. Quel sera le coût d'un véhicule autonome électrique dans 10 à 15 ans ? Sera-t-il un véhicule individuel ou un véhicule partagé entre de multiples utilisateurs, avec au final des économies ? Cela peut être compliqué à mettre en place mais n'est pas impossible. Le budget transport des ménages représente environ 15 % de leurs dépenses de consommation, donc la question est sensible.
Dans les transports collectifs, la question du coût est également centrale et souvent mal appréhendée : les usagers ne payent que 30 % du coût réel (sans même compter les investissements), le reste étant pris en charge par les collectivités. Les nouvelles technologies sont-elles susceptibles de changer la donne, par exemple avec des bus autonomes, qui seraient moins coûteux à faire tourner en zone rurale, ou avec du transport à la demande ? Les véhicules autonomes paraissent plus pertinents pour les grands axes. Or, ils ont aussi un grand potentiel dans la ruralité, si l'on est capable de correctement cartographier l'ensemble du réseau routier.
Le troisième critère est celui du degré d'intervention de la puissance publique dans les politiques de mobilité. Qu'il s'agisse de la réglementation de la circulation, de l'utilisation de la voirie, des investissements publics dans les infrastructures, de l'organisation des transports collectifs urbains ou encore de la planification de l'utilisation de l'espace : dès qu'on parle de mobilités et de transports, la puissance publique est partie prenante.
Mais le paysage institutionnel est très éclaté : l'État intervient, mais également les régions, les intercommunalités ou encore les départements avec les routes départementales par exemple. Les politiques en faveur des mobilités coûtent cher et les moyens sont limités : peut-on continuer à investir dans de nouvelles voies ferrées ou de nouvelles routes ? Qui devra payer les routes connectées de demain ? Qui devra aménager les voiries pour permettre aux véhicules autonomes de circuler ? Les autorités organisatrices des mobilités (AOM) doivent-elles jouer un rôle de chef d'orchestre et d'intégrateur de toutes les offres existantes dans leur périmètre ?
Ayons à l'esprit que seule l'intervention publique permet de créer de la péréquation et de la solidarité entre territoires, afin de ne pas en laisser certains mal desservis voire non desservis par des systèmes de transport collectifs ou mal équipés en infrastructures. La manière dont ces trois critères vont se combiner aura une influence décisive sur le visage des mobilités du futur.