Intervention de Olivier Jacquin

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 8 novembre 2018 à 8h30
Examen du rapport d'information sur les nouvelles mobilités

Photo de Olivier JacquinOlivier Jacquin, rapporteur :

Le deuxième volet de nos propositions concerne l'intermodalité, qui est une voie d'avenir. Il faut pouvoir passer d'un mode de transport à un autre sur un trajet donné, en prenant le mode le plus approprié pour chaque partie du parcours, et ne pas systématiquement recourir à la voiture pour réaliser l'ensemble du trajet. J'ai rencontré dans le train une personne qui m'a expliqué son évolution : il faisait le parcours de 13 kilomètres entre son domicile et la gare en trottinette électrique. En hiver, il prend sa voiture jusqu'à un stationnement gratuit à 2 kilomètres de la gare puis poursuit avec sa trottinette. Il a gagné du temps.

Une voiture en réalité ne sert qu'une heure par jour, transporte 1,1 personne et consomme 15 m² d'espace. L'autosolisme n'est pas pertinent : être tout seul dans sa voiture peut paraître confortable, mais être tout seul dans sa voiture et dans un bouchon n'est pas efficace pour se déplacer.

Nous préconisons de faire beaucoup de pédagogie plutôt que de réguler les mobilités par des mesures punitives. La fermeture des voies sur berge à Paris est mal vécue car comprise comme une guerre contre la voiture. Il convient sans aucun doute de renforcer les alternatives, au-delà d'ailleurs des seuls coeurs d'agglomération. Un des moyens consiste à créer des parking-relais.

Inciter à la réduction de l'autosolisme, c'est aussi facturer le vrai coût de l'utilisation de la voirie : notre collègue Fabienne Keller vient de rendre un rapport sur la question des péages urbains, qui montre leurs effets positifs. Mais facturer le vrai coût de la voirie peut aussi passer par la contribution des entreprises qui fournissent des équipements de mobilité. Nous avons d'ailleurs auditionné des acteurs des mobilités qui ont un modèle économique très pertinent, dépendant de l'utilisation de la voirie, comme Uber, ou encore Cityscoot. J'ai rencontré hier soir un responsable de la société Uber et constaté que cette question du coût de l'utilisation de la voirie paraît difficile à régler, et que les nouvelles mobilités ont du mal à se déployer dans les zones non denses.

Nous préconisons aussi de répondre aux besoins de mobilités flexibles en construisant des services d'information voyageur de très haut niveau, fournissant une information en temps réel. Le bus est un exemple intéressant : il était un mode réservé aux initiés, car on n'avait pas vraiment connaissance des horaires et trajets. Or, maintenant, des tableaux d'affichage et des applications mobiles nous guident avec beaucoup de finesse. Mais pour construire de tels services, il faut disposer d'une batterie de données. Nous avons auditionné les auteurs du rapport du Conseil économique, social et environnemental de 2015 sur la révolution numérique et les mobilités, qui nous indiquaient que la maîtrise des données de mobilité par la sphère privée ouvrait le risque de biais dans l'information donnée aux usagers : qui nous dit que Google ou Waze ne vont pas nouer un partenariat commercial avec MacDonald pour faire passer le plus de monde possible devant les restaurants de cette enseigne ?

Nous proposons aussi d'encourager les pratiques de mutualisation à petite échelle, dans les espaces peu denses avec par exemple le covoiturage de proximité ou l'autopartage local. C'est cependant complexe : Île-de-France Mobilités a expérimenté pendant un an une prime de covoiturage de 2 €, qui n'a permis que 2 000 trajets par jour, ce qui est très peu à l'échelle de l'Île-de-France.

Enfin, nous souhaitons que l'accessibilité soit au coeur de l'ensemble des solutions de mobilité, pour ne pas en exclure les populations fragiles, peu à l'aise avec les technologies numériques ou en situation de handicap. Lors de l'audition d'Éric Chareyron, on nous a indiqué que les questions d'illectronisme ou de difficulté à lire la signalétique constituaient des obstacles importants aux mobilités qu'il convient de lever.

Notre dernier bloc de proposition concerne l'indispensable accompagnement de l'innovation dans le domaine des mobilités, qui est foisonnante dans les espaces denses et beaucoup moins dans les espaces peu denses. Ne soyons pas défaitistes : en France, nous disposons de champions des mobilités : RATP, SNCF, Transdev, Keolis. Ces entreprises travaillent aussi avec succès à l'étranger. On dispose également d'un tissu de start-up extrêmement inventives.

Le premier axe d'accompagnement de l'innovation consiste à favoriser un modèle d'innovation ouverte, pour éviter de se retrouver captifs d'opérateurs majeurs venus du monde de l'Internet. Il faut donc imposer l'ouverture des données de mobilités pour tous les opérateurs.

Il convient aussi de favoriser le maintien en France des start-up de la mobilité numérique et créer des dispositifs d'encouragement à l'expérimentation de technologies nouvelles « in vivo » pour tester si les modèles marchent ou pas. Nous préconisons aussi de capter les fonds européens de soutien à l'innovation au profit des projets portant sur les nouvelles mobilités.

Enfin, nous suggérons d'adapter l'action publique aux pratiques innovantes de mobilité, par exemple en permettant aux particuliers de participer aux services publics de transport de personnes, afin de créer une offre qui n'existe pas : le covoiturage et l'autopartage peuvent aussi intéresser les communes rurales. Il faudra pour cela dépasser les cadres juridiques et fiscaux actuels. C'est l'enjeu de la future LOM. Il faut toutefois aussi éviter d'importer dans les mobilités le modèle Airbnb où les particuliers deviennent des concurrents des opérateurs classiques, sans respecter les contraintes imposées aux professionnels. Une petite anecdote : Uber a du mal à trouver des chauffeurs. J'ai suggéré d'augmenter les rémunérations ! On a le même souci avec Deliveroo.

Nous pourrions aussi assouplir le cadre applicable aux délégations de service public dans le domaine des transports, afin d'encourager les innovations et d'accompagner les ruptures technologiques.

Pour conclure, nous voudrions souligner que les nouvelles mobilités ne rendent pas obsolètes les modes actuels. Nous aurons encore besoin d'infrastructures de transport, de routes, de voies ferrées et de signalisation, notamment pour les déplacements de masse. Le mode guidé a encore de l'avenir, comme nous l'ont confirmé les spécialistes que nous avons auditionnés. Le progrès technique, en particulier celui offert par le numérique, fournit l'opportunité d'enrichir en contenu les déplacements des hommes et des objets, de réduire les temps subis, de mieux maîtriser les aléas des mobilités. Prendre le vélo, c'est aussi faire du sport, et prendre le TER c'est aussi pouvoir travailler ou lire en se déplaçant. On perd peut-être du temps par rapport à un trajet en voiture mais on gagne en qualité de trajet.

Il faut une attention particulière aux espaces fragiles, qui ne sont pas toujours les espaces ruraux, mais parfois aussi des zones périurbaines. Il y a du rural très bien placé : quand vous êtes à 7 kilomètres d'une gare TER accessible depuis une véloroute, vous n'êtes pas si mal positionnés pour l'avenir, notamment pour faire face à la hausse du coût des carburants ! Pour les espaces peu denses, le véhicule partagé et les nouvelles organisations des systèmes de transport, comme le transport à la demande, sont certainement des solutions intéressantes. Dans mon département, il y a même une expérience de transport solidaire par des volontaires au profit de personnes âgées, personnes malades ou personnes sans emploi, avec un défraiement. Dans l'Orne, il y a une expérience de location de véhicules électriques appartenant à des collectivités publiques lorsque ces véhicules ne sont pas utilisés : les soirs ou les week-ends.

Nous ne sommes donc pas pessimistes mais appelons à une grande vigilance pour ne laisser aucun territoire sur le bord du chemin. Il ne faudrait pas que les nouvelles mobilités résultent d'opérateurs privés dans les villes, en laissant au public le soin de gérer les zones les moins rentables.

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