Intervention de Anne-Catherine Loisier

Commission des affaires européennes — Réunion du 8 novembre 2018 à 8h35
Économie finances et fiscalité — Régime européen de tva et filière équine : rapport d'information proposition de résolution européenne et avis politique de mme anne-catherine loisier

Photo de Anne-Catherine LoisierAnne-Catherine Loisier, rapporteure :

C'est un sujet d'actualité : Jean Arthuis vient également de publier un gros rapport sur la filière équine.

La Commission européenne envisage de modifier la « directive TVA » de 2006 en ce qui concerne les taux réduits. Cette initiative s'inscrit dans le cadre plus vaste de la réforme de la TVA telle qu'elle a été conçue sous la présidence Juncker.

Selon ce projet, en matière de taux réduits, coexisteraient deux taux réduits d'au moins 5 % et un autre taux réduit entre 0 et 5 %. Au lieu d'étendre la liste déjà longue des biens et services pouvant faire l'objet des taux réduits, l'Annexe III de 2006 serait remplacée par une liste négative de biens et services ne pouvant en aucun cas bénéficier d'un taux réduit.

À cette liberté, la proposition de directive apporte toutefois un cadre contraignant puisque les États membres seront tenus de veiller à ce que les taux réduits soient avantageux pour le consommateur final et poursuivent un objectif d'intérêt général. En outre, les États membres devront veiller à ce que le taux moyen pondéré de TVA soit toujours supérieur à 12 %. En France, le taux moyen pondéré varie aujourd'hui autour de 14 %, ce qui semble offrir au Gouvernement une certaine marge.

Je me suis interrogée sur l'application de ce nouveau régime à la filière équine. Celle-ci est en effet lourdement pénalisée depuis que la Cour de justice de l'Union européenne a condamné la France en 2012 à appliquer à ses activités non plus un taux réduit de 5,5 % mais un taux normal de TVA.

En 2016, ces recettes représentaient pour le volet équestre un chiffre d'affaires de 1,5 milliard d'euros et engendraient 151 millions d'euros de recettes de TVA pour l'État, et les 9,2 milliards d'euros d'enjeux des courses hippiques génèrent quant à eux seuls 862 millions d'euros de prélèvements en faveur de l'État. Le secteur emploie 180 000 personnes dont 114 000 exercent des activités commerciales, d'élevage, d'entraînement ou d'enseignement de l'équitation ; 32 800 personnes sont salariées. Malheureusement, la filière connaît un recul historique de ses activités, avec la baisse de près d'un milliard d'euros des paris hippiques, la réduction de la clientèle du secteur « courses », la diminution des activités sportives et de loisir, et, plus grave sans doute, la chute du nombre de chevaux élevés en France - de 16 % depuis 2012.

La perte annuelle de chiffre d'affaires depuis 2012 est estimée à plus de 75 millions d'euros, et 6 600 emplois, dont 1 500 emplois salariés, ont été détruits à la suite du changement de taux de la TVA.

Dans ces conditions, la proposition de directive est apparue comme la promesse d'une solution qui permettrait d'enrayer le déclin déjà très avancé de la filière équine en France. Cependant la négociation de la proposition de directive sur les taux réduits n'est une priorité ni pour la présidence autrichienne, ni pour la Commission européenne, ni même pour le Gouvernement français.

En outre, la Commission actuelle est en fin de mandat et les élections européennes approchent. Deux facteurs qui amputeront gravement le temps disponible pour la négociation en 2019. Aussi n'espère-t-on pas à Bruxelles que cette proposition de directive puisse entrer en vigueur avant 2022. À cette date, la filière équine française aura enregistré de nouvelles pertes d'emplois, de savoirs, de traditions et de capitaux, au profit de l'Irlande, de l'Allemagne et du Royaume-Uni...

Le Gouvernement ne cache pas sa préférence pour l'harmonisation fiscale à l'échelle de l'Union, et redoute que la réforme des taux réduits le contraigne à faire de difficiles arbitrages entre les secteurs pouvant légitimement en bénéficier.

Deux solutions restent à la disposition du Gouvernement s'il souhaite sauver la filière équine : le recours aux mesures compensatoires peu probable en cette conjoncture de difficultés budgétaires, ou une révision de l'interprétation de l'actuelle « directive TVA », qui s'appuierait sur une analyse plus fine de ce qui relève de l'activité sportive et sociale et de l'activité agricole dans la filière équine et qui à ce titre mériterait de bénéficier à nouveau du taux réduit. J'approfondirai cette seconde hypothèse.

En attendant l'entrée en vigueur de la nouvelle directive sur les taux réduits de TVA, il conviendrait de réinterpréter le droit européen existant à la lumière de ce que font d'autres États membres comme l'Irlande en particulier. C'est le sens du message que je souhaite adresser au Gouvernement au moyen de cette proposition de résolution. En effet, il devrait être possible dans le cas des activités des centres équestres de revenir à un taux réduit en s'appuyant sur les points 15 et 14 de l'Annexe III de la directive « TVA ». Il s'agit d'activités économiques éligibles au taux réduit dont on peut comprendre aisément qu'elles recouvrent celles des centres équestres puisque il y est question de la « livraison de biens et la prestation de services par des organismes reconnus comme ayant un caractère social par les États membres et engagés dans les oeuvres d'aide et de sécurité sociales et du « droit d'utilisation des installations sportives ».

Reconnaître que l'équitation a un caractère social demande de mettre en lumière les activités des centres équestres. Le taux réduit est bien appliqué à la filière cheval sur le fondement du point 15 mais uniquement aux prestations d'animation, de découverte et de familiarisation avec l'environnement du cheval, et pour les prestations d'équitation offertes à des publics particuliers comme les scolaires, les handicapés ou les jeunes en réinsertion.

La France pourrait reconnaître plus généralement les centres équestres comme des organismes ayant un caractère social et mettre en valeur leur rôle dans l'aménagement du territoire et l'insertion sociale. L'Irlande semble avoir déjà tranché la question en appliquant un taux de 9 % sur l'ensemble des activités des centres équestres, qu'elle considère à juste titre comme des centres sportifs. Il conviendrait donc que la France s'inspire de cet exemple vertueux et, au moins, revienne sur la situation actuelle en matière de fiscalité : l'utilisation des installations est taxée à 5,5 % quand l'enseignement de l'équitation l'est à 20 %. C'est un vrai casse-tête pour les dirigeants des centres équestres, qui doivent appliquer deux taux de TVA sur une même heure d'équitation.

Il faut mettre un terme à cette insécurité fiscale et reconnaître la singularité du modèle français : chez l'ensemble de nos voisins, les cavaliers possèdent leur monture et utilisent simplement les installations des centres équestres. Chez nous, le modèle du cheval partagé - on loue le cheval en même temps que le centre équestre - a rendu l'équitation accessible au plus grand nombre. Mais l'interprétation de la directive européenne s'est alignée sur le modèle dominant en Europe. Le Gouvernement dispose de tous les arguments nécessaires pour justifier un taux moyen pondéré, autour de 10 %, pour la leçon d'équitation.

Il faut aussi prendre davantage en compte le caractère agricole de la filière équine. Or les ventes de chevaux de course, de sports et de loisirs sont taxées à taux plein. Nous ne le contestons pas, mais pourquoi le taux réduit se pratique-t-il uniquement dans la phase d'élevage, pour le reproducteur mâle ou femelle - l'étalon ou la jument - alors que le poulain, dès qu'il est sorti du ventre de la jument, est assujetti au taux plein ? La plupart des propriétaires refusent d'envoyer leurs chevaux en fin de vie à l'abattoir. L'entretien et la pension de ces chevaux, s'il bénéficiait de nouveau d'un taux de TVA réduit, serait facilité.

Il y a urgence à agir. Je vous propose de demander au gouvernement de réinterpréter cette directive TVA à la lumière de ce que pratiquent d'autres pays européens, afin que le l'élevage soit considéré comme une activité agricole jusqu'à la phase d'entraînement du cheval et bénéficie à ce titre d'un taux réduit. Le taux plein redeviendrait applicable au moment où le cheval entre en compétition. Cela correspondrait mieux à la réalité de cette filière, qui, en raison d'un malentendu, est toujours présentée comme une activité de gens aisés, alors que ses acteurs sont en grande majorité des personnes passionnées et résilientes, qui font des marges très ténues et ont absolument besoin d'un retour à une TVA à taux réduit pour continuer développer leur activité.

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