Intervention de Agnès Buzyn

Réunion du 12 novembre 2018 à 16h00
Financement de la sécurité sociale pour 2019 — Discussion d'un projet de loi

Agnès Buzyn :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur général de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai l’honneur de présenter devant vous, avec le M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics, Olivier Dussopt, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, le deuxième de ce quinquennat.

Ce texte n’est pas seulement la loi financière indispensable par laquelle le Parlement se prononce sur l’affectation et l’évolution des contributions et des dépenses – plus de 500 milliards d’euros – que les Français consacrent à leur sécurité sociale.

Il porte une ambition politique forte, celle de bâtir un État providence fidèle aux valeurs qui ont présidé à sa création, mais également adapté à l’évolution de notre société et de notre économie, aux nouvelles mobilités professionnelles, aux nouvelles formes de famille, aux nouveaux défis démographiques et aux nouveaux besoins en matière de soins.

Universelle mais attentive aux situations particulières, attachée à réparer mais aussi à prévenir les risques auxquels sont confrontés les assurés sociaux, la sécurité sociale du XXIe siècle est un point de référence, un socle stable sur lequel nos concitoyens peuvent s’appuyer lorsqu’ils sont malades, lorsqu’ils fondent une famille ou préparent leur retraite.

Elle est également l’une des expressions les plus manifestes de ce qui nous définit et nous unit en tant que Français, par le choix collectif que nous avons fait d’un système social solidaire et puissant.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale que le Gouvernement vous propose d’adopter est un texte de progrès, qui consolide notre protection sociale pour lui permettre d’aborder des défis nouveaux, qui investit dans notre système de santé et qui accroît la protection des plus vulnérables.

Les Français se sont habitués à ce que les comptes de leur protection sociale ne soient pas équilibrés. Ce qui aurait dû être l’exception est devenu situation courante.

Dès son installation, le Gouvernement s’est pour sa part fixé comme objectif de rétablir de façon durable ces comptes, et je sais que cette préoccupation est partagée par la Haute Assemblée.

En conséquence, en 2019, pour la première fois depuis dix-huit ans, les comptes du régime général et ceux du Fonds de solidarité vieillesse seront équilibrés. Cela résulte à la fois de la bonne tenue de notre économie et des efforts consentis par tous pour maîtriser l’évolution des dépenses.

Il s’agit d’une bonne nouvelle pour nos concitoyens, notamment pour les plus jeunes : cela veut en effet dire que l’on cesse d’augmenter la charge qui pèsera sur eux.

Le Gouvernement vous propose d’aller plus loin dans cette direction et d’autoriser la CADES, la Caisse d’amortissement de la dette sociale, à reprendre, entre 2020 et 2022, 15 milliards d’euros de la dette encore portée par la trésorerie de la sécurité sociale.

Le Gouvernement confirme ainsi l’objectif de faire disparaître la totalité de la dette de la sécurité sociale à l’horizon 2024.

Il s’agit d’un choix politique et démocratique fort : le rétablissement de nos comptes, c’est ce qui nous donne la capacité d’agir, d’être ambitieux dans notre volonté de transformation et d’envisager sereinement la couverture de nouveaux risques.

Investir et protéger sont les deux axes de ce projet de loi : investir dans notre système de santé, d’une part, protéger les plus fragiles, notamment en améliorant le recours aux soins et la réponse aux besoins de santé, d’autre part.

Investir dans notre système de santé, c’est d’abord investir dans la prévention.

J’ai fait de la prévention en santé la priorité de mon action ministérielle.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 avait concrétisé la volonté du Gouvernement et du Parlement, exprimée dans ses deux chambres, de restaurer une parole forte de l’État en santé publique. Un an après, nous en constatons les premiers résultats, qu’il s’agisse du taux de vaccination des enfants, du nombre de fumeurs ou du taux de sucre dans certaines boissons.

Le Premier ministre, en réunissant le 26 mars dernier le comité interministériel de la prévention, a consacré la prévention en santé comme une priorité de l’État dans son ensemble : la prévention en santé, c’est l’affaire de tous, dans tous les domaines de l’action publique. La mise en œuvre de cette stratégie de prévention passe par différents vecteurs, conventionnels ou réglementaires pour certains.

Je veux aussi mentionner le puissant levier de transformation que constituera le service sanitaire, qui se met en place et va concerner près de 47 000 étudiants en santé dès cette année. Le levier est double, en réalité : dans le cadre de leur formation, les futurs professionnels de santé vont bénéficier d’un temps spécifique et d’une expérience inédite dédiée à la prévention, et pouvoir démultiplier par leur action, au plus près du terrain, auprès des jeunes notamment, l’impact des messages de prévention.

Ce projet de loi de financement de la sécurité sociale concrétise, dans les nouveaux financements qu’il permet de dégager ou les nouvelles dispositions législatives qu’il prévoit, cette priorité de l’action gouvernementale.

Investir dans notre système de santé, c’est aussi investir dans la réorganisation de notre système de soins.

Le 18 septembre dernier, le Président de la République a présenté le plan « Ma santé 2022 : un engagement collectif ». Au cœur de ce plan, il y a le constat selon lequel notre système de santé pâtit d’abord de l’insuffisante structuration des soins de proximité.

Nous voulons donc mieux organiser, mieux structurer ces soins, qu’ils soient ambulatoires ou hospitaliers, en dépassant précisément un clivage qui n’est pas pertinent du point de vue du patient.

Nous voulons inscrire le pays dans une perspective stratégique claire, qui permettra de mieux répondre aux attentes des patients : un exercice en ville regroupé, pluridisciplinaire, organisé à l’échelle d’un territoire, pour mieux répondre aux besoins de soins non programmés ; des hôpitaux de proximité et des professionnels de santé libéraux qui collaborent étroitement à l’organisation des soins ; une organisation et des modèles de financement adaptés aux pathologies chroniques, qui privilégient la prévention et facilitent la coordination des soins ; enfin, des acteurs de santé qui mettent les technologies numériques au service d’une démarche de soins plus efficace.

Je constate que cette analyse et cette stratégie sont très largement partagées par les acteurs du monde de la santé et, je le crois également, par votre Haute Assemblée.

Nous entreprenons donc une action de transformation en profondeur, qui va se développer sur l’ensemble du quinquennat, mais qui commence dès maintenant.

Aussi, le présent projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoit plusieurs dispositions qui vont permettre une diversification des modalités de financement des soins. C’est, j’en suis profondément convaincue, l’un des principaux leviers d’action pour opérer la mutation du système de santé.

Ainsi, la dotation allouée sur critères de qualité passera de 60 à 300 millions d’euros. Par ailleurs, une rémunération forfaitaire du suivi de certains malades chroniques sera mise en place, dans un premier temps au sein des établissements de santé, pour le diabète et l’insuffisance rénale chronique, mais avec l’objectif de sortir du cadre hospitalier et de couvrir d’autres pathologies dès l’année prochaine.

C’est l’un des objectifs de la mission que j’ai constituée, sous le pilotage de Jean-Marc Aubert, directeur de la DREES, la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du ministère des solidarités et de la santé, pour faire évoluer le système de tarification, à l’hôpital comme en ville. Cette mission me remettra ses préconisations à la fin de l’année.

L’objectif de cette mission est également de mieux prendre en compte la pertinence dans la prise en charge des actes et des séjours. Nous devons aux patients de faire progresser la pertinence des actes et des interventions. C’est une œuvre de longue haleine, qui doit impliquer la communauté des professionnels de santé et les autorités scientifiques.

En première lecture, l’examen du présent projet de loi par l’Assemblée nationale a permis de proposer des mesures qui, je l’espère, auront votre soutien, car elles visent à mettre cet enjeu de la pertinence au cœur des préoccupations du monde soignant.

Le Gouvernement souhaite aller vite dans la mise en œuvre du plan sur le terrain. C’est pourquoi il a prévu l’ouverture de négociations conventionnelles dès le mois de janvier 2019.

La priorité donnée à la transformation du système de santé se traduit également par un effort financier significatif, comme l’a annoncé le Président de la République. En effet, en 2019, l’ONDAM, l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, sera fixé à 2, 5 %, le taux le plus élevé depuis six ans.

Cet effort exceptionnel est destiné à investir dans la transformation. Il sera orienté vers les soins de proximité, notamment la création de communautés professionnelles territoriales de santé ou le recrutement d’assistants médicaux.

Il sera également consacré à la modernisation de notre appareil de soin. Cela concerne l’investissement dans les systèmes d’information, en ville comme à l’hôpital. Cela concerne aussi, au premier chef, les projets de modernisation et de restructuration immobilière.

L’investissement hospitalier s’est réduit au cours des dernières années. Un investissement insuffisant fait courir le risque d’une dégradation à terme des conditions d’accueil et de prise en charge. C’est pourquoi une dotation supplémentaire de 200 millions d’euros sera allouée dès cette année à l’aide aux projets d’investissement.

En quatre ans, ce seront au total 3, 4 milliards d’euros qui seront consacrés à l’accompagnement du plan, dont un peu moins de 1 milliard d’euros destinés à la restructuration et à la modernisation du tissu hospitalier.

Ce projet de loi de financement de la sécurité sociale accorde également une place importante à l’innovation thérapeutique et à ce secteur clé du soin qu’est le médicament, dans la suite de la réunion du Comité stratégique des industries de santé, qui s’est tenue au début du mois de juillet 2018.

La France est d’ores et déjà l’un des pays qui permet l’accès le plus large à l’innovation thérapeutique, à travers notamment le dispositif des ATU, les autorisations temporaires d’utilisation.

Le présent projet de loi propose un certain nombre de dispositions pour aller plus loin, en organisant en particulier l’élargissement du système d’accès précoce à des médicaments innovants. La contrepartie de cette innovation est la bonne utilisation des moyens thérapeutiques existants pris en charge par l’assurance maladie. C’est pourquoi le Gouvernement propose également une disposition en vue de soutenir le développement des génériques.

Le deuxième axe de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale est de mieux protéger. Mieux protéger, c’est d’abord améliorer l’accès aux soins et répondre plus spécifiquement aux besoins des plus fragiles.

Ce projet de loi comporte à cet égard deux avancées sociales majeures.

En premier lieu, il donnera l’assise légale nécessaire au « dispositif 100 % santé », autrement appelé « reste à charge zéro », qui se déploiera dans trois secteurs : les soins dentaires, l’optique et les aides auditives.

Depuis longtemps, depuis toujours en vérité, nos concitoyens se sont habitués à ce que se forment des « angles morts » de la protection sociale, avec un accès aux soins dégradé : 17 % des Français déclarent ainsi avoir renoncé à des soins dentaires pour des raisons financières.

La réforme que nous avons engagée va leur permettre d’avoir accès à des équipements de santé indispensables d’ici à 2021. La sécurité sociale réinvestit ces secteurs du soin en y consacrant plus de 750 millions d’euros au cours des prochaines années, et 220 millions d’euros dès 2019. Elle le fait dans le cadre d’un partenariat avec les professionnels des secteurs concernés et les assureurs complémentaires.

Pour tous nos concitoyens, puisque la réforme bénéficie à tous, et pour les plus âgés d’entre eux notamment, il s’agit d’une avancée considérable. Le reste à charge moyen pour une aide auditive est aujourd’hui de 850 euros par oreille. À compter de 2021, il sera possible d’accéder à une offre sans reste à charge. Dès 2019, c’est d’un gain moyen de 200 euros par oreille que bénéficieront les assurés.

En second lieu, il vous est proposé d’adopter une mesure relative à la transformation de l’aide à la complémentaire santé, l’ACS, en une couverture maladie complémentaire contributive.

La mise en place de la CMU complémentaire il y a près de vingt ans a constitué un progrès social essentiel, qui bénéficie aujourd’hui à cinq millions et demi de Français.

L’aide à la complémentaire santé, déployée quelques années plus tard, et qui s’en voulait le prolongement, n’a pas eu le même impact. En effet, le taux de recours effectif à cette aide ne dépasse pas 35 % aujourd’hui.

Nous faisons donc le choix d’un dispositif plus complet dans la protection qu’il offre, et plus favorable aux personnes pour lesquelles le coût des soins est le plus élevé, notamment les personnes âgées : aux mêmes conditions de ressources que pour l’ACS, ces personnes pourront bénéficier de la couverture qu’offre la CMU complémentaire pour moins de un euro par jour.

Là encore, il s’agit d’un progrès considérable, qui bénéficiera potentiellement à plus de 3 millions de personnes.

Avec ces deux réformes, le 100 % santé et la transformation de l’aide à la complémentaire santé, nous contribuons à renforcer encore ce qui constitue une particularité affirmée de notre système social, le haut niveau de prise en charge collective des dépenses de santé.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale que nous vous proposons d’adopter renforce également les moyens à disposition des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD, ainsi que la prise en charge des personnes en perte d’autonomie. Il s’agit de mettre en œuvre la feuille de route que j’ai présentée le 30 mai dernier.

Ainsi, la convergence tarifaire sera accélérée pour renforcer les moyens en personnels soignants : ce sont 360 millions d’euros supplémentaires qui seront engagés sur la période 2019-2021, et 125 millions d’euros dès 2019.

De même, des moyens supplémentaires seront consacrés à la permanence des soins, avec la généralisation des astreintes infirmières partagées, et à la continuité des prises en charge, avec le développement de places d’accueil temporaire.

Cette feuille de route s’inscrit dans une perspective plus large : vous le savez, j’ai lancé le 1er octobre dernier les travaux de la mission de concertation sur le grand âge et l’autonomie.

Le nombre des personnes de plus de 85 ans va être multiplié par trois d’ici trente ans. Il s’agit d’un défi sociétal majeur et c’est maintenant que notre pays doit s’y préparer, en réfléchissant aux organisations à mettre en place et aux conditions de leur financement. Les travaux engagés permettront au Gouvernement de préparer dès l’année prochaine le projet de loi qu’il soumettra aux assemblées.

Enfin, je souhaitais mentionner l’attention toute particulière portée aux personnes et aux familles des personnes autistes et atteintes de troubles du neuro-développement. Ce projet de loi met en œuvre les dispositions arrêtées dans le cadre du quatrième plan Autisme présenté au début du mois d’avril.

Dans son article 40, il consacre la création du forfait d’intervention précoce, qui va permettre, en dépassant le périmètre habituel des prestations prises en charge par la sécurité sociale, de combler une réelle carence dans la détection et l’intervention précoce auprès des enfants atteints.

Mieux protéger, c’est aussi construire un système de retraite universel et équitable qui rétablira la confiance des Français dans la pérennité de leur système de retraite.

Ce projet de loi de financement de la sécurité sociale ne comporte aucune disposition relative aux pensions, puisque la refonte du système de retraite donnera lieu à un projet de loi ad hoc l’année prochaine.

La réunion de concertation multilatérale organisée le 10 octobre dernier a été l’occasion de préciser les principes sur lesquels devra s’appuyer le système universel. Nous construirons un nouveau système de retraite plus juste et plus simple, reposant sur le principe d’universalité des droits : un euro cotisé ouvre les mêmes droits pour tous.

Nous ferons de cette réforme une réforme emblématique pour nos enfants, afin que les jeunes générations bénéficient d’un système de retraite plus solide et plus solidaire.

Le temps de la retraite étant un temps long, nous avons précisé que la transition serait très progressive, pour tenir compte de la diversité des situations, et s’étalerait sur plusieurs années. Sur ces bases, les concertations que mène le haut-commissaire à la réforme des retraites, Jean Paul Delevoye, vont se poursuivre jusqu’à la finalisation du projet de loi.

Mieux protéger, enfin, c’est vouloir donner la priorité aux plus fragiles.

Toutes les prestations évolueront en 2019 et en 2020 d’au moins 0, 3 %. Les minima sociaux évolueront pour leur part au rythme de l’inflation. Certains minima, comme le minimum vieillesse et l’allocation aux adultes handicapés, l’AAH, bénéficieront de revalorisations exceptionnelles : au 1er janvier 2020, le minimum vieillesse aura ainsi été revalorisé de 100 euros, conformément aux engagements du Président de la République.

Aider les plus fragiles, c’est aussi le sens de la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté présentée le 13 septembre dernier par le Président de la République, qui donne la priorité aux enfants des familles les plus pauvres et qui entend répondre de façon concrète et pragmatique aux besoins de ces familles.

C’est un choix qui irrigue la politique familiale que je conduis, et je l’assume pleinement.

J’assume de consacrer les moyens de notre solidarité nationale d’abord à ceux qui en ont le plus besoin. J’assume qu’il est prioritaire pour notre pays d’agir pour dépasser les formes d’assignation sociale que subissent ces familles et ces enfants.

Dans le cadre de la convention d’objectifs et de gestion 2018-2022 signée avec la Caisse nationale des allocations familiales, les moyens du Fonds national d’action sociale augmenteront de 10 %. Ces moyens supplémentaires serviront d’abord à créer 30 000 places de crèches, qui seront orientées prioritairement, par des bonifications particulières, vers les territoires et les familles les plus vulnérables.

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