Nous y reviendrons aussi, madame Cohen.
En 2016, nous avions même écrit que c’était un impératif. Par conséquent, on ne peut que se féliciter de la présentation par le Gouvernement, pour la première fois depuis le début du XXIe siècle, d’un budget de la sécurité sociale en équilibre.
Nous plaidons aussi régulièrement pour que les déficits cumulés financés par l’ACOSS soient repris par la CADES, dont c’est le rôle, et ce sans que l’horizon de 2024 pour l’amortissement soit remis en cause. À cet égard, le projet de loi de financement de la sécurité sociale que vous nous présentez, tel qu’adopté par le conseil des ministres, puis voté par l’Assemblée nationale, est satisfaisant. Non seulement il prévoit un léger excédent, tant des comptes du régime général que de l’ensemble des régimes obligatoires de base, cumulés avec ceux du FSV, le Fonds de solidarité vieillesse, mais il procède également au transfert à la CADES d’une partie de la dette portée par l’ACOSS.
De prime abord, il semble que le Sénat et, au premier chef, sa commission des affaires sociales ont tout lieu d’être satisfaits. Néanmoins, comme nous allons le voir, je risque de devoir nuancer cette satisfaction.
Les chiffres ayant été rappelés, il n’est pas nécessaire que j’y revienne. Néanmoins, pour bien rappeler les ordres d’idées, je soulignerai qu’à l’issue des travaux de l’Assemblée nationale, sur le périmètre du PLFSS, pour l’ensemble des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale et du FSV, l’excédent atteint 0, 2 milliard d’euros, et non 0, 4 milliard d’euros, comme indiqué dans l’article d’équilibre, qui, curieusement, ne tient pas compte des modifications et des votes des députés. Cet excédent doit être rapporté à un niveau de dépenses de 509, 6 milliards d’euros… Autant reconnaître que, s’il est éminemment symbolique, il est aussi très fragile ! Sa réalisation concrète dépendra en outre de nombreux aléas, notamment en gestion.
Notre commission a souhaité préserver cet équilibre. Elle tentera de maintenir cette position en séance publique – mais je ne garantis rien, car cela dépend de chacun d’entre nous et des votes du Sénat.
D’où vient, mes chers collègues, ce léger excédent constaté dans le texte qui nous est soumis ?
Il provient tout d’abord de la progression des recettes, dans la continuité de la tendance observée depuis plusieurs années. Même s’il se pourrait qu’elle ralentisse l’an prochain, cette hausse devrait tout de même atteindre 2, 6 %, notamment sous l’effet de la croissance attendue de la masse salariale du secteur privé.
L’excédent est ensuite lié à plusieurs mesures ponctuelles, que l’on pourrait considérer comme des « recettes de poche », non renouvelables. Je pense au décalage, au 1er septembre, de l’entrée en vigueur de l’exonération des cotisations salariales sur les heures supplémentaires, soit une économie de 1, 3 milliard d’euros pour la sécurité sociale en 2019 par rapport à une entrée en vigueur au 1er janvier. Je pense, dans le même ordre d’idée, au décalage au 1er octobre de l’intégration des contributions patronales d’assurance chômage dans les allégements généraux, ce qui représente une économie de 2, 5 milliards d’euros.
Enfin, ce très léger excédent trouve sa source dans le quasi-gel – leur croissance ne dépasse pas 0, 3 % – d’un très grand nombre de prestations sociales, en particulier les pensions de retraite et les allocations familiales, alors même que l’inflation est désormais sensiblement supérieure à ce niveau.
Sur ce point essentiel, la commission des affaires sociales ne peut pas partager la logique du Gouvernement. De nombreux collègues, notamment René-Paul Savary, rapporteur de la commission des affaires sociales pour l’assurance vieillesse, reviendront sans doute plus en détail sur ce sujet, d’autant que ce sévère coup de frein, qui devrait durer deux ans, fait suite à une augmentation de la CSG, non compensée pour les retraités de l’année dernière. Ceux-ci voient donc leur pouvoir d’achat significativement s’éroder. Nous proposerons donc un système fondé sur une autre approche, plus structurelle, privilégiant le levier de l’âge de départ à la retraite, plutôt que l’érosion du niveau de vie des retraités.
Pour revenir un instant sur les recettes, l’exercice 2019 sera celui de la « grande bascule » du CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, vers des allégements de cotisations et de contributions sociales massifs, compensés par des affectations de TVA. En conséquence, les cotisations ne devraient plus représenter que 52, 2 % – c’est un chiffre important à retenir – des recettes du régime général et du FSV en 2019.
Cette évolution concerne même des organismes actuellement situés en dehors du champ des lois de financement de la sécurité sociale. Ainsi, les contributions salariales d’assurance chômage ne sont plus payées par les intéressés et devraient donc disparaître en droit en 2019. Par ailleurs, les contributions patronales d’assurance chômage et aux retraites complémentaires devraient être intégrées dans les allégements généraux dès l’année prochaine. En année pleine, dès 2020, un organisme comme l’UNEDIC, qui, jusqu’en 2017, était presque entièrement financé par des contributions, verra environ 45 % de ses recettes provenir directement ou indirectement de l’impôt. Nous verrons s’il y a des conséquences à en tirer en matière d’évolution du périmètre du PLFSS au moment du débat à venir sur la réforme des institutions.
Au-delà, le remplacement de plus en plus prononcé de la cotisation par des impositions pose des questions de principe, qu’un amendement à l’article 19 nous permettra d’aborder franchement.
Enfin, ce projet de loi de financement de la sécurité sociale porte en plusieurs endroits les premières traductions des principes définis par le Gouvernement dans le rapport qu’il nous a récemment remis sur la rénovation des relations financières entre l’État et la sécurité sociale. Ce rapport préconise qu’à l’avenir la sphère État et la sphère sécurité sociale prennent chacune en charge leurs baisses de prélèvements obligatoires. De fait, on constate que, dès cette année, de nombreuses mesures nouvelles figurant dans ce texte, à commencer par l’exonération des heures supplémentaires et les baisses de forfait social, ne seront pas compensées. En comptant les votes de l’Assemblée nationale, le montant de ces non-compensations devrait atteindre 2, 3 milliards d’euros en 2019 et 3, 6 milliards d’euros, en année pleine, à compter de 2020.
De plus, sans que le lien avec une quelconque préconisation du rapport soit évident, le PLFSS propose de tirer les conséquences des baisses de flux de TVA en provenance de l’État programmées à partir de 2020, baisses qui deviendront très importantes en 2021, en 2022 et au-delà : 1, 5 milliard d’euros en 2020 ; 3, 5 milliards d’euros en 2021 ; 5 milliards d’euros à partir de 2022. Nous aurons l’occasion d’y revenir lorsque je présenterai l’un de mes amendements à l’article 19.
Cela étant – je réponds là à votre interrogation, monsieur le secrétaire d’État –, s’il est certes normal que l’État, qui a su se montrer solidaire pendant les années difficiles, bénéficie lui aussi de l’amélioration des comptes sociaux, avant de pratiquer des ponctions aveugles, il est nécessaire que le Parlement et le Gouvernement se mettent d’accord sur les principes de la rénovation des relations entre l’État et la sécurité sociale.
Je considère que le principe de compensation doit être conservé, quitte à ce qu’on y fasse, à l’avenir, des exceptions plus nombreuses que par le passé, car le principe de compensation est aussi un principe de responsabilité pour les autorités de l’État.
En somme, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, notre commission est ouverte à la discussion, mais elle considère qu’il ne faut pas faire les poches de la sécurité sociale avant même que celles-ci ne soient pleines et, au moins, tant que subsiste une dette sociale. Ensuite, nous aurons à trouver un accord sur des conditions de l’équilibre à moyen terme, afin qu’un trou ne se creuse pas à nouveau, une fois la CADES disparue.
Mon tout dernier mot…