Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le 10 juillet 2018, le Président de la République s’est adressé au Parlement en ces termes : « La priorité de l’année qui vient est simple : nous devons construire l’État providence du XXIe siècle. » Ont été dévoilés, le 13 septembre, la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté et, le 18 septembre, le plan de restructuration de notre système de santé « pour les cinquante années à venir ».
Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, j’ai deux questions : quel État providence ce projet de loi de financement esquisse-t-il ? Comment les orientations annoncées y sont-elles traduites ?
Les fondations, confortées par la perspective d’apurement de la totalité de la dette sociale à l’horizon de 2024, sont bonnes, mais fragiles. Le solde excédentaire prévisionnel pour 2019 est de 200 millions d’euros, pour 509, 6 milliards de dépenses.
En 2019, malgré un déficit de la branche maladie estimé à 500 millions d’euros – encore ! –, la sécurité sociale reviendra dans le vert pour la première fois depuis 2001, sous le gouvernement de Lionel Jospin, avec un excédent du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse de 700 millions d’euros.
Mesurons le chemin parcouru, au prix de plans d’économies parfois draconiens, d’une forte régulation des dépenses, des efforts continus des salariés, des retraités, de tous les personnels des établissements sanitaires et sociaux et des adhérents aux régimes complémentaires.
Hélas, sur ces fondations, les premières pierres du projet sont étrangères aux valeurs de solidarité et de justice sociale : quasi-gel des pensions de retraite et d’invalidité, des prestations de la branche famille comme des prestations médico-sociales. L’augmentation de 0, 3 % est bien au-dessous de l’inflation prévue : l’INSEE annonce 2, 2 % en octobre sur un an.
Le tableau des économies obtenues illustre la violence de ces dispositions. Les retraités, dont 60 % ont déjà subi une hausse non compensée de la CSG, ne sont ni les nantis ni la génération dorée de notre société. Leur stigmatisation est insupportable, quand les premières mesures du quinquennat ont allégé en milliards d’euros la fiscalité des plus aisés.
Hélas encore, ces fondations sont ébranlées, selon un observateur, par « un tsunami politique et social eu égard à nos traditions sociales, celui du financement de la sécurité sociale, du moins celui de ses rapports avec l’État central ».
Ce PLFSS met en œuvre la transformation du CICE et du CITS en baisses pérennes de cotisations sociales patronales, ce qui représente un engagement total de 40 milliards d’euros sur l’année au bénéfice des entreprises. Cette transformation rétablit l’exonération de cotisations salariales vieillesse de base et complémentaire pour les heures supplémentaires.
Elle inscrit surtout la non-compensation par l’État des pertes de recettes pour les mesures nouvelles, à hauteur de 3, 4 milliards d’euros. Certes, le caractère bismarckien et assurantiel, fondé sur le travail, de la sécurité sociale avait déjà évolué, avec la CSG en 1991 ou la protection universelle maladie en 2016, mais la rupture avec la loi Veil de juillet 1994, qui avait instauré la règle d’or selon laquelle « toute mesure d’exonération, totale ou partielle, de cotisations de sécurité sociale donne lieu à compensation intégrale aux régimes concernés par le budget de l’État », déstabilise l’édifice social issu des ordonnances de 1945.
Ainsi, quand la sécurité sociale revient à l’équilibre, l’État fait peu de cas de son autonomie, accroît son emprise politique et prépare la captation des excédents potentiels des années suivantes. Bercy a la main et l’affiche clairement.
En matière de santé, trois sujets retiennent l’attention.
Je souhaite relayer le cri d’alarme des hôpitaux, dont le déficit s’est aggravé en 2017 à un niveau proche du milliard d’euros, ce qui relativise le bilan des comptes de l’assurance maladie. La gradation des soins, la création de 500 à 600 hôpitaux de proximité ou la montée en puissance du paiement au forfait étaient des mesures plutôt bien accueillies. Toutefois, comme l’affirme le président de la Fédération de l’hospitalisation privée, la FHP, dans le budget 2019 de la sécurité sociale, « le compte n’y est pas ».
Tensions financières ou pressions sur les suppressions d’emplois, la réforme ne doit pas occulter le quotidien intenable des personnels hospitaliers en souffrance. C’est aujourd’hui que les établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux ont besoin d’une bouffée d’oxygène, que ne leur apporte pas l’augmentation de l’ONDAM à 2, 5 %.
Surestimation de l’activité, baisse des tarifs et sous-estimation de la progression des charges conduisent à l’absence de lien entre le coût du soin pour une pathologie et la somme versée à l’hôpital. Les économies de 3, 8 milliards d’euros prévues pour l’exercice impacteront les hôpitaux, pour plus de 900 millions d’euros. À l’unisson – il faut le souligner ! –, les quatre grandes fédérations hospitalières demandent, à raison, la création d’une mission sur l’ONDAM.
Le dispositif « reste à charge zéro » pour l’optique ainsi que pour les prothèses dentaires et auditives débutera en janvier. Il répond à une nécessité, avec un bel objectif, négocié par l’assurance maladie, les complémentaires et les filières professionnelles. L’attention portera toutefois sur le risque d’augmentation des cotisations des mutuelles. Quel devenir attend les titulaires de petits contrats et les personnes sans mutuelle ? En matière d’optique, la baisse du plancher de remboursement des montures dans les contrats responsables entraînera pour beaucoup, paradoxalement, un accroissement du reste à charge et la fragilisation d’une activité économique.
Le 1er novembre 2019, la CMU-C sera étendue aux personnes aujourd’hui éligibles à l’aide à la complémentaire santé, moyennant une participation financière de un euro par jour au maximum. Les taux actuels de non-recours justifient cette simplification.
Une question précise se pose toutefois, madame la ministre : les garanties seront-elles adaptées à la réforme du « 100 % santé » ou subsistera-t-il deux niveaux de qualité d’accès aux soins ?
Le plan Santé, très inspiré des travaux collectifs du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, a recueilli un assez large consensus. Alors que les comptes de la sécurité sociale s’équilibrent, on peut se demander quels moyens sont consacrés à cette grande ambition. Les 400 millions d’euros supplémentaires de l’ONDAM constituent-ils un point de départ solide et crédible de financement ? Quelles seront les perspectives données dans la négociation conventionnelle à venir pour la création des communautés professionnelles territoriales de santé ?
Quel bilan tirera-t-on de l’année de mise en œuvre de l’article 55 du précédent PLFSS visant à promouvoir l’innovation en santé ? Un exemple significatif se trouve dans le développement de la chirurgie ambulatoire, à l’articulation de la réforme de l’hôpital, de la ville, des services de soins à domicile : en 2017, son taux national atteignait 55, 9 %, soit encore loin de l’objectif de 70 % fixé pour 2022, et sa progression, au lieu de s’intensifier, semble ralentir. Parmi les freins à ce processus, on trouve la nécessité de financement pour l’aménagement de locaux dédiés, pour les matériels adaptés, pour la formation des professionnels. L’innovation demande des moyens.
Plusieurs propositions du Conseil stratégique des industries de santé ou issues du rapport de Catherine Deroche, Véronique Guillotin et moi-même relatives à la régulation des innovations sont reprises.
Cependant, Mme la rapporteur l’a dit, la complexité des dispositifs ne diminue pas. Il faut encore trouver le point d’équilibre entre les exigences des laboratoires, le haut niveau scientifique, l’attente des malades, le financement public et solidaire, tandis que la consommation de médicaments en ville s’élevait à 33 milliards d’euros en 2008 et à 32, 5 milliards d’euros en 2017.
Madame la ministre, j’avais souligné l’an passé votre engagement en matière de prévention. Pour 2019, le fonds de lutte contre les addictions liées aux substances psychoactives, la généralisation de la vaccination antigrippale par les pharmaciens, l’intervention précoce pour l’autisme et les troubles du neuro-développement retiennent l’attention, mais l’effort est-il suffisant, quand la prévention est l’un des leviers les plus puissants de refondation du système de santé ?
Dans la suite des débats, nous exprimerons nos interrogations ou notre opposition sur plusieurs sujets, dont la modulation des sanctions applicables en cas de travail dissimulé, le plafonnement des aides des employeurs aux vacances de leurs salariés, le dispositif TO-DE – travailleurs occasionnels, demandeurs d’emploi –, le financement de l’École des hautes études en santé publique ou encore les mesures relatives aux génériques et aux hybrides.
Jean-Pierre Decool et moi-même déposerons deux amendements issus des travaux de la mission sénatoriale d’information sur la pénurie de médicaments et de vaccins, qui ont montré l’importance et la gravité d’une situation certainement mal estimée.
Pour conclure, ce projet de loi de financement de la sécurité sociale présente un paradoxe : quand les comptes redeviennent excédentaires, les prestations sont désindexées. Il marque une rupture : la non-compensation de recettes et la diminution programmée des flux de TVA annoncent une trajectoire incertaine au-delà de 2019. Il suscite donc une grande inquiétude : ces signes posent la question de l’évolution de notre sécurité sociale vers un modèle anglo-saxon, qui limiterait la protection sociale publique à un filet de sécurité pour les plus démunis. Ainsi s’inscrirait la paupérisation des retraités et des familles dans la durée du « nouvel État providence ».
Vous l’aurez compris, cette orientation n’est pas la nôtre.