Intervention de Corinne Imbert

Réunion du 12 novembre 2018 à 16h00
Financement de la sécurité sociale pour 2019 — Discussion générale

Photo de Corinne ImbertCorinne Imbert :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, voici que nous entamons l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019.

Bien qu’il s’agisse d’un projet de loi de financement, je n’entrerai pas dans le détail des équilibres financiers ; mes collègues se sont déjà largement exprimés à ce sujet. Une question, cependant : le projet de loi de financement de la sécurité sociale affiche un retour à l’équilibre, oui, mais à quel prix ?

J’aborderai les mesures qui touchent à la santé, leurs atouts et leurs limites.

Comme il l’a annoncé voilà plusieurs semaines dans le cadre du plan « Ma santé 2022 », le Gouvernement a décidé de créer la profession d’assistant médical, aujourd’hui mal définie.

En apparence, cette mesure paraissait novatrice et susceptible de répondre à certaines difficultés rencontrées sur le terrain : pour une fois, on parle non pas uniquement de maisons de santé pluridisciplinaires, de murs qui ne soignent pas, mais d’hommes et de femmes travaillant au côté des médecins.

Avec le recul, toutefois, il m’apparaît que c’est une fausse bonne idée. Les médecins généralistes en milieu rural le disent eux-mêmes. Ce que les assistants médicaux pourraient faire demain, ce n’est pas du temps médical en plus pour les médecins, c’est du temps de réflexion et d’écoute de leurs patients en moins. Et si c’est une bonne idée, pourquoi un médecin exerçant seul ne pourrait-il pas avoir un assistant médical, comme les médecins regroupés ? Serait-ce un aveu dissimulé des effets limités que pourrait avoir la création de cette profession ?

Autre fausse bonne idée : à l’Assemblée nationale, il a été décidé d’introduire une prime pour les hôpitaux qui redirigeront certains patients vers des médecins libéraux. Je ne rappellerai pas la stupeur et l’incompréhension engendrées par cette annonce inattendue dans le milieu médical. Si la volonté est de désengorger les urgences, au moins pendant le week-end, pourquoi ne pas généraliser la création de maisons médicales de garde dans les locaux de l’hôpital, à proximité des urgences ?

Prenons l’exemple d’un hôpital de proximité. Les médecins généralistes participant à la permanence des soins le week-end utilisent le bureau des médecins anesthésistes, qui, eux, ne consultent pas ; ils sont rémunérés à l’acte, comme lorsqu’ils assuraient la garde dans leur cabinet médical, et le patient qui arrive aux urgences est orienté soit vers le médecin urgentiste, soit vers le médecin généraliste de garde. Cette solution n’est pas coûteuse et elle s’est construite avec les acteurs locaux. Résultat : bon sens, pragmatisme et urgences désengorgées à moindres frais.

Mais aujourd’hui, paradoxe : l’hôpital informe les médecins que le service d’urgence est passé au-dessous du seuil de 9 000 actes et qu’il va perdre une dotation. Est-ce pour cette raison que l’idée d’une prime est née ?

Coup de rabot après coup de rabot, la situation des établissements hospitaliers demeure inquiétante. Elle ne date pas d’hier, nous en convenons, mais le Gouvernement ne peut plus rester aveugle face un état de fait qui n’est pas digne de la place importante occupée par l’hôpital dans notre pays !

Quand des établissements ou des services ferment pour des raisons budgétaires, les premiers pénalisés sont les patients, qui souffrent d’une régression de leur accès à un système de soins efficient.

Je mentionnerai l’exemple d’un établissement hospitalier indigne de notre République, un établissement que vous connaissez bien, madame la ministre : le CHU de Pointe-à-Pitre. Cet hôpital illustre à lui seul le mal-être et l’extrême urgence de notre système de santé : chaque jour, des dizaines de patients font le choix de ne pas s’y rendre, par crainte d’en sortir plus malades qu’ils n’y seraient entrés… Comment a-t-on pu laisser la situation se détériorer à ce point ?

Malheureusement, les urgences n’ont jamais aussi bien porté leur nom : ce ne sont pas 200 millions d’euros d’investissements qui suffiront, je le crains !

Je ne décèle aucune solution dans ce projet de loi de financement de la sécurité sociale, aucune volonté d’améliorer les conditions de travail des professionnels de santé et les conditions d’hospitalisation des patients. Quelle déception pour les acteurs de la santé, qui attendent depuis trop longtemps une réforme structurelle du système de santé français !

Avec ce PLFSS, une fois de plus, les intérêts budgétaires priment l’intérêt de santé publique.

L’hospitalisation à domicile et la médecine ambulatoire se sont fortement développées ces dernières années. Il existe aujourd’hui un consensus pour affirmer que ces solutions sont source d’économies pour l’hôpital et pour l’assurance maladie. Soit, mais il manque un effort envers les prestataires à domicile. La prise en charge à domicile nécessite un matériel particulier et adapté. C’est pourquoi il est fondamental que les prix soient compatibles avec un effort supportable pour les professionnels de santé et, surtout, pour les patients.

Comme vous l’avez souligné, madame la ministre, il faut parfois savoir investir pour réaliser, à terme, des économies.

Les acteurs de la santé attendent également que vous leur fassiez confiance : eux qui sont au contact des patients, ils demeurent les plus à même de juger de l’efficience d’un dispositif.

Du côté du médicament, il paraît fondamental de supprimer la restriction du recours par les prescripteurs à la mention « non substituable », prévue par l’article 43. L’objectif affiché de ce dispositif était d’encourager la dispensation du médicament générique. Dans les faits, il ne sera source que de tensions entre patients et médecins. Le taux de substitution atteint est aujourd’hui proche de l’objectif fixé par l’assurance maladie. Faites confiance aux professionnels de santé, ne les empêchez pas d’être à l’écoute de leurs patients !

Même avec un ONDAM en hausse de 2, 5 %, ce que je salue, le médicament continue de servir de variable d’ajustement. En effet, il représente environ 50 % des 3, 8 milliards d’euros d’économies attendus dans le cadre de ce PLFSS.

En juillet dernier, le Sénat a conduit une mission d’information sur la pénurie de médicaments et de vaccins ; notre collègue Yves Daudigny vient de l’évoquer. Les travaux menés par l’ensemble des membres de cette mission ont permis de dresser un état des lieux objectif de la situation.

Madame la ministre, vous le savez au moins aussi bien que nous : la France est aujourd’hui confrontée à une perte d’indépendance sanitaire. Les facteurs en sont multiples, mais essentiellement liés à la délocalisation en Asie des usines de fabrication des principes actifs comme des médicaments eux-mêmes. Ce phénomène contribue à augmenter les ruptures de stock et d’approvisionnement de nombreux médicaments. Les conséquences d’une telle situation peuvent être dramatiques pour les patients et sont insupportables pour les professionnels de santé au quotidien.

Nous attendons donc des actes forts pour faire face à ce phénomène, qui connaît une évolution exponentielle. Garantir un accès pour tous aux médicaments courants et innovants n’est pas une option : c’est une nécessité et un devoir que nous avons envers l’ensemble de nos concitoyens !

S’agissant justement de l’innovation, lors du Conseil stratégique des industries de santé de 2018, le Premier ministre a semblé avoir pris la mesure des grands enjeux de ce siècle en matière d’innovation, de médicaments et, plus généralement, de développement économique de la filière. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 n’est pas à la hauteur de ces annonces, qui avaient trouvé un écho favorable chez les professionnels du secteur. Pis, on note une tendance globale à vouloir imposer des efforts financiers supplémentaires aux industriels.

L’innovation a un prix, le made in France aussi. Si tant est que vous doutiez de l’importance de cette filière, mes chers collègues, soyez attentifs à l’énergie et aux moyens que lui consacrent nos voisins européens et l’ensemble des pays asiatiques. Si, aujourd’hui, nous n’accrochons pas le bon wagon, nous serons, demain, réduits au rang de simple pays acheteur, incapable de produire des médicaments, innovants ou non.

Quant au « reste à charge zéro », il fait parler de lui depuis des mois. Annoncée comme révolutionnaire, cette mesure serait, rêvait-on, le symbole de la gratuité du système de santé français. Dans les faits, qu’en est-il ?

Les conséquences, nous pouvons déjà les anticiper : les tarifs des complémentaires risquent d’augmenter, confirmant le vieil adage selon lequel « la gratuité, c’est l’argent des autres ». Que se passera-t-il pour ceux qui ne choisiront pas les dispositifs fléchés « RAC 0 » ? Je puis vous le dire avec certitude : ils paieront plus qu’aujourd’hui. Enfin, tous les spécialistes s’accordent à dire que cette réforme provoquera une baisse de qualité en matière d’optique et de prothèses dentaires ; le nivellement par le bas n’a jamais été une réussite pour un pays.

S’agissant de la prévention, je tiens à saluer les efforts du Gouvernement. Il en est de même pour l’amélioration de la prise en charge de l’intervention précoce en matière d’autisme et de troubles du neuro-développement : c’est une avancée indéniable et attendue.

Toutefois, madame la ministre, il y a une ombre à ce tableau : côté recherche – même si cela ne relève pas de votre ministère sur le plan budgétaire –, les plans sur l’autisme et la maladie de Lyme attendent toujours leur financement. Il faudra veiller à ce que le Gouvernement les dote de moyens à la hauteur des enjeux.

L’INSERM, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, bien que mondialement reconnu pour la qualité et la pertinence de son travail, manque cruellement de moyens pour conduire ses travaux. Nous en reparlerons lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2019.

Cette année encore, le Sénat saura démontrer sa qualité de travail et son souci de l’intérêt général au-delà des intérêts particuliers. Mon groupe aborde l’examen de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale avec la même exigence que lors des précédents textes de même nature : ne jamais dire non par dogmatisme, ni oui par discipline, comme aime à le rappeler inlassablement le président du Sénat, Gérard Larcher.

Madame la ministre, je suis tout à fait consciente que ce projet de loi de financement de la sécurité sociale ne peut pas, à lui seul, être la solution à tout ; mais force est de constater qu’il aurait pu être plus ambitieux et plus à la hauteur des enjeux de notre temps.

J’ai noté votre volonté d’aborder certaines de ces problématiques dans les projets de loi à venir. Le groupe Les Républicains s’inscrira dans le processus législatif qui doit nous permettre de répondre aux enjeux actuels en matière de santé, mais avec toute l’attention et la vigilance exprimées avec une grande pertinence par le président de la commission des affaires sociales, Alain Milon.

Comme le disait Thomas Sankara, « la maladie ne se guérit point en prononçant le nom du médicament, mais en prenant le médicament » !

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