Intervention de Jean-Louis Tourenne

Réunion du 12 novembre 2018 à 16h00
Financement de la sécurité sociale pour 2019 — Discussion générale

Photo de Jean-Louis TourenneJean-Louis Tourenne :

Nous aurons l’occasion de revenir sur les prétendus gestes généreux en faveur de la prime d’activité et de l’AAH, gestes derrière lesquels se cache ce qui ressemble à une grande duplicité.

La politique familiale est donc quasiment inexistante.

Aucune réponse, ou si faible, n’est apportée à l’augmentation exponentielle du nombre de mineurs non accompagnés, les MNA, à la charge des départements, qui ne peuvent plus faire face tant leurs finances sont exsangues.

Aucune réponse, ou si peu – sous la forme d’un forfait forcément limité –, n’est apportée à la demande réitérée des parents d’enfants autistes ou victimes de troubles comportementaux ou cognitifs. Ils attendent une prise en charge rapide du diagnostic et du suivi, alors même qu’en ces domaines la précocité est essentielle.

Madame la ministre, dans les centres médico-psychopédagogiques, les CMPP, comme les services d’éducation spéciale et de soins à domicile, les SESSAD, les délais sont parfois de deux ans avant le premier rendez-vous ! Je ne saurais vous reprocher ces manques ; ils ne sont pas seulement de votre fait. Mais entendez, s’il vous plaît, l’inquiétude des parents devant les premiers signes de handicap. Ils sont soucieux que les prises en charge et la coordination se fassent dans les meilleurs délais, en mobilisant le concours de praticiens libéraux, faute de moyens publics, et sans attendre les orientations des CMPP.

Permettez-moi de terminer par un sujet qui m’obsède : l’aggravation du déterminisme social, la montée des violences gratuites, les inégalités d’accès à la formation. Vous savez que les destins se forgent entre 0 et 3 ans. Il faut six générations, selon l’OCDE, pour qu’un enfant pauvre puisse atteindre le revenu moyen.

L’école, à elle seule, ne peut compenser les carences initiales en vocabulaire, en éveil de la curiosité, en outils d’apprentissage, en socialisation fluide. Votre programme d’ouverture de crèches paraît notoirement insuffisant, alors que les enfants modestes y sont quatre fois moins présents et que la densité d’établissements est largement plus faible dans les quartiers difficiles et en milieu rural. Faute de moyens, les communes concernées ne peuvent en assurer le fonctionnement.

Or la crèche est le meilleur outil pour corriger et compenser les lacunes familiales. Nous savons combien l’inégalité des chances et le fait d’être condamné à un destin négatif conduisent à la violence gratuite : celle-ci a augmenté de 6 % au cours de cette année.

L’UNICEF note de son côté que l’inégalité entre les femmes et les hommes s’installe dès l’enfance. Ainsi, dans les quartiers populaires, les filles sont plus largement écartées de l’accès au savoir et à la santé.

Ces exemples ne suffisent-ils pas à démontrer la nécessité d’une grande politique de la petite enfance ? Notre capacité à vivre ensemble de façon sereine et apaisée dépend étroitement du sentiment ressenti par chacun d’avoir reçu de la société les justes moyens de réussir sa vie.

On ne trouve rien de tout cela dans votre projet, madame la ministre, projet qu’on serait tenté, sauf amélioration importante, de rejeter pour cause de vide, voire de régression.

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