La philosophie générale de ce texte me semble bonne. C'est un ensemble de mesures qui sont les bienvenues, dans la mesure où les faiblesses des entreprises françaises sont bien connues. Elles ont été bien listées dans le projet de loi. Les outils proposés sont intéressants en matière de simplification, de création d'entreprises, de seuils d'effectifs, de soutien à l'épargne, de représentation des salariés dans l'entreprise.
Étant donné l'ampleur de ce texte, je me contenterai de faire deux remarques. La première est plutôt une suggestion visant à ajouter un élément dans un texte certes déjà bien fourni. Il me semble qu'un des freins très importants à la croissance des entreprises n'est pas pris en compte dans ce projet de loi. Ce qui conditionne beaucoup cette croissance et leurs créations est l'adaptation du coût du travail à la conjoncture, à la situation particulière de chaque entreprise. Or, la France est caractérisée par un ensemble réglementaire très particulier, reposant sur l'extension systématique des conventions collectives. Les ordonnances de septembre 2017 ont certes introduit la possibilité pour le ministre de faire appel à une commission pour limiter cette extension. Mais, cette possibilité reste pour l'instant très peu exploitée. Or, plusieurs travaux, portant sur des exemples étrangers, montrent que ces extensions ont un impact très important, notamment sur les petites entreprises et sur l'emploi. Lors de la récession de 2008, la très forte rigidité de la structure des salaires a contribué à l'inadaptation des entreprises. Une suggestion - que j'ai déjà faite au ministre - consisterait à adopter un dispositif qui soit proche de celui existant pour les seuils d'effectifs : donner aux entreprises pendant un certain délai - par exemple les entreprises de moins de cinq ans d'âge - la possibilité de pouvoir être exonérées de l'application des conventions collectives, lorsque celles-ci sont étendues. En principe, les entreprises qui adhèrent à une organisation patronale ayant signé une convention collective sont nécessairement couvertes. Mais, elles sont également couvertes, si la convention est étendue bien qu'elles ne fassent pas partie d'une organisation patronale qui ait signé cette dernière. Ce serait un point important pour permettre la création d'entreprises. En effet, il y a une forte hétérogénéité des conventions collectives, avec des dispositions qui sont souvent assez complexes, et qui sont beaucoup plus adaptées aux grandes qu'aux petites entreprises.
Ma deuxième remarque est une critique et porte sur la modification de l'article 1833 du code civil. Il est proposé d'ajouter à cet article le fait que la société soit gérée dans son intérêt social et en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. Les débats parlementaires à l'Assemblée nationale montrent que cet article suscite beaucoup d'inquiétude. Je pense que cette dernière est fondée. Le texte est flou, les notions d'enjeux sociaux et environnementaux peuvent être interprétées très différemment. Une fois encore, la stratégie choisie par le texte consiste à laisser à la jurisprudence le soin de définir les termes et la portée de cet article. Or, les magistrats français ont une connaissance assez limitée de la situation des entreprises. Les expériences précédentes qui ont été menées, dans des domaines que je connais mieux, en matière de licenciement par exemple, ont apporté des résultats peu satisfaisants. On a laissé à la jurisprudence le soin de définir la notion de « cause réelle et sérieuse » en matière de licenciement. Cela a abouti à la quasi-disparition des licenciements économiques. Licencier est toujours une mauvaise affaire - évidemment - mais la disparition des licenciements économiques a pour contrepartie une très forte dualisation du marché du travail, des inégalités très importantes. Je pense que nous faisons face au même risque. Il serait important de préciser la portée de ces termes et de ne pas laisser la main à la jurisprudence qui va, au fil du temps, donner un contenu à cette notion de manière assez anarchique et sans fil directeur.