Intervention de Jean-Hervé Lorenzi

Commission spéciale transformation entreprises — Réunion du 7 novembre 2018 à 14h20
Audition de Mm. Pierre Cahuc professeur d'économie à sciences po christian saint-étienne titulaire de la chaire d'économie industrielle au cnam et jean-hervé lorenzi président du cercle des économistes

Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes :

J'avais peur que nous nous assoupissions tous dans un consensus mou sur ce texte plein de bonne volonté et d'idées assez simples, ressassées depuis de très nombreuses années. Il est évident qu'il faut essayer de renforcer la capacité de développement des PME. Qui pourrait aller contre ces affirmations ? Je craignais dès lors de dire la même chose que mes collègues. Or, je constate que nous avons des désaccords.

Je me suis réjoui un instant de ne pas être sénateur, car je souhaite bonne chance à celui qui va proposer le doublement du seuil de 50 à 100 salariés.

Je vais commencer par quelques remarques rapides sur ce texte qui est en réalité très confus. Les sujets évoqués sont très spécifiques. Christian Saint-Étienne a raison de rappeler qu'il n'y a pas de stratégie claire dans ce dispositif.

Le premier sujet que je souhaite aborder ne concerne pas, pour moi, les petites et moyennes entreprises. J'ai beaucoup entendu Jean-Dominique Senard et Nicole Notat. Ils ont une énergie farouche pour défendre une vision du capitalisme du XXIème siècle. Mais celle-ci est en réalité dédiée aux grandes entreprises. Cette idée de changer les articles 1833 et 1835 du code civil me parait à la fois très sympathique, et inappropriée. Lors des rencontres d'Aix-en-Provence, le seul moment où la salle entière s'est levée et a applaudi d'une seule voix est lors du discours de Jean-Dominique Senard. Certes, c'était un discours formidable, mais qui concernait l'avenir du monde et non le projet de loi PACTE.

Par ailleurs, il s'agit de s'interroger sur les bonnes modalités permettant de favoriser la croissance et le développement des entreprises. Il faut rappeler qu'elles représentent la moitié de l'économie de notre pays. Les propositions sont bonnes. Elles ont été chiffrées par un document du Trésor - qui m'a rendu une fois de plus un peu sceptique sur ma discipline - indiquant que le texte permettra d'avoir une croissance un pourcent plus élevé. Je ne vois pas comment ce chiffre a été calculé. Mais, dans tous les cas, on peut dire que ces mesures sont plutôt positives. Certes, on peut encore rajouter des mesures, celles proposées par mes collègues par exemple, d'autres visant à lutter contre la complexité que rencontrent les entreprises pour se développer.

Mais, il y a un sujet qui n'est pas clairement évoqué dans le texte : pourquoi ne sommes-nous pas capables de faire croitre des entreprises au-delà des 250 millions d'euros ? Pourquoi nos entreprises vont se vendre aux États-Unis, au Japon, en Chine ou en Allemagne ? Cela reste un mystère non élucidé aujourd'hui. Il me semble que ce point pourrait être rajouté à la discussion.

Un troisième volet, auquel nous sommes tous les trois très attentifs, est celui de l'innovation. Le texte raboute ce sujet avec celui des privatisations. Reconnaissez que le lien est un peu ténu ! Les 15 milliards d'euros que l'on espère de ces privatisations paraissent intéressants. Mais quel est le rapport avec les 250 millions d'euros que l'on va sortir pour favoriser l'innovation ? En outre, ce montant de 250 millions d'euros est très en dessous des besoins de l'innovation. Les trois privatisations, qui vont permettre à la France de se désendetter un peu, ne sont pas identiques et l'une d'entre elles me pose problème. Cela ne me paraît pas être une très bonne idée de privatiser la Française des Jeux. La privatisation d'Aéroport de Paris, à condition d'être bien encadrée car on touche au domaine public de la sécurité notamment, a dans les faits déjà été lancée. Près de la majorité d'Aéroport de Paris est déjà privatisée. En revanche, en ce qui concerne Engie, et comme je suis inquiet sur le secteur de l'énergie en France, je trouve que l'idée d'avoir un oeil de l'État - vu négativement jusqu'à maintenant - sur ce secteur me paraît tout à fait défendable.

Enfin, il y a un quatrième sujet - que je connais le mieux - concernant l'épargne retraite. C'est un sujet en soi. J'ai été à plusieurs réunions à la fédération française de l'assurance. Cette dernière était inquiète par le fait que l'on soit passé d'un stade où le client pouvait sortir sa rente sans le capital, à pouvoir sortir le capital. Or, à l'idée d'une sortie du capital, tout assureur commence à avoir des sueurs froides, car cela est la négation de son métier. On vous explique en outre que plus l'horizon est lointain, plus on peut prendre de risques. J'ai un argument inverse : si vous expliquez à une personne de 30 ans qui ouvre une épargne retraite pour avoir une rente dans 40-45 ans, qu'elle ne peut pas récupérer son argent assez rapidement, elle renoncera à utiliser ce dispositif. Mais, pour moi, ce sujet est peut-être le plus important de tous. En ce qui concerne les autres thématiques, les privatisations auront lieu, les modifications de seuil se feront, M. Senard et Mme Notat continueront à défendre des positions respectables et intéressantes.

Il faut réfléchir à la réforme des retraites et aux sujets liés, notamment la dépendance. Or, l'enjeu n'est pas les 30 milliards d'euros de dépendance que nous dépensons aujourd'hui, mais les 60 à 70 milliards d'euros que nous dépenserons dans les quinze ans qui viennent. Vous le voyez, nous sommes sur un ordre de grandeur complétement différent des 250 millions d'euros prévus en faveur de l'innovation. À titre d'illustration et pédagogique, si aujourd'hui on payait 9 euros les aidants qui soutiennent gratuitement quelqu'un souffrant d'une maladie neurodégénérative ou incapable de vivre seul, cela coûterait 164 milliards d'euros. Les sujets de retraite, de financement de la dépendance sont majeurs pour la société française. Or, on nous propose de rabouter le PERCO, le PERP, les articles 83 et d'annoncer un plan d'épargne retraite qui aurait deux qualités : on autoriserait les individus à sortir soit en capital, soit en rente, et ils pourraient en sortir plus facilement pour pouvoir acheter leur résidence principale. Ce sont des points intéressants. Mais je suis critique sur la faiblesse de ce dispositif - sans pouvoir cependant proposer de solutions. Au moment où on imagine le rapprochement des régimes de retraite - et je souhaite que la mission confiée à M. Delevoye trouve un aboutissement - on va s'apercevoir que pour de nombreux compatriotes de ma génération, les retraites prévues sur les vingt prochaines années vont diminuer de façon significative. Cela était inscrit dans la réforme Balladur de 1993. C'est un fait inexorable. Aussi, vous ne pouvez pas gérer ce point si vous ne donnez pas aux gens le sentiment qu'il y a des instruments complémentaires. Pour moi, cet instrument complémentaire est l'épargne retraite. Celui-ci ne peut pas être l'assurance vie qui dure quatorze ans en moyenne, mais joue fiscalement sur huit ans.

Si on avait une épargne retraite plus constituée que ce qu'est aujourd'hui l'assurance vie, on aurait la capacité d'utiliser cette épargne pour financer plus favorablement l'économie. Cela rejoint ce que disaient mes camarades sur notre capacité à financer les entreprises qui sont aux alentours de 250-300 millions d'euros.

Je suis admiratif de ce texte, de la proposition de Christian Saint-Etienne qui est courageuse, je suis d'accord avec ce qu'a proposé Pierre Cahuc. Mais cela ne résout pas nos problèmes. J'insiste sur la nécessité de retravailler sur l'épargne retraite qui n'est pas au niveau de nos réflexions et de l'intelligence du Sénat.

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