Certes, le Sénat a déjà proposé le doublement du seuil de 50 salariés et il y a eu des tentatives sur les 25 dernières années à l'Assemblée nationale. Il faut s'interroger sur la raison pour laquelle toutes ces tentatives échouent, et anticiper les obstacles. C'est une science difficile car très politique et médiatique. Je pense que l'obstacle principal qui va se dresser est celui des syndicats. Ces derniers vont dire que l'on souhaite les sortir des entreprises. Il faut anticiper cette critique. Tout d'abord, les syndicats sont très peu présents dans les entreprises de moins de 250 personnes. Passer le seuil de 50 à 100 salariés ne touchera quasiment pas le fait syndical, auquel je suis par ailleurs très favorable. Le problème de nos entreprises dans le contexte social n'est pas la force des syndicats mais au contraire leur extrême faiblesse. Si nous avions des grands syndicats gestionnaires à l'allemande, nous aurions certainement évité beaucoup de problèmes. Or, en France, nous avons de petits syndicats, ultrapolitisés, et qui ne sont pas là pour faire grandir les entreprises, mais pour tenir un discours politique - à l'exception de la CFDT. Les syndicats Sud et la CGT sont dans la situation que je viens de décrire. Je rappelle que la CGT a liquidé l'imprimerie française sur les trente dernières années par son action dans ce domaine. D'autres secteurs ont connu la même évolution. Si nous avions des syndicats plus forts, nous aurions une économie plus forte, grâce à des syndicats conscients des contraintes sur le développement économique. Les ordonnances de l'automne dernier ont encouragé la discussion au sein des entreprises en dessous de 49 salariés. On peut envisager de favoriser davantage encore la discussion au sein des entreprises. On pourrait imaginer de compenser le doublement du seuil de 50 salariés par une obligation de discussion sur la stratégie de l'entreprise, afin que la discussion à l'intérieur de l'entreprise ne concerne pas que les salaires et les conditions de travail, mais qu'il y ait une vraie réflexion collective sur l'évolution à long terme de l'entreprise. Cela obligerait les représentants du personnel à entrer dans une démarche stratégique.
Si on veut réussir cette opération, il faut clairement dire que cela ne va pas affaiblir les syndicats. L'éclosion d'une réflexion sur la stratégie et le devenir des entreprises leur sera, au contraire, favorable.
En outre, il est absolument crucial d'expliquer que, de même que l'on ne demande pas les mêmes choses à un enfant de huit ans, à un adolescent et à un adulte, de même on ne peut pas avoir les mêmes obligations pour une entreprise de trente, de soixante-dix ou de deux cents salariés. On commet la même erreur que celle commise au moment des 35 heures. La seule expérience du marché du travail de Martine Aubry était l'entreprise Péchiney, qui était à la fois une grande entreprise et une entreprise industrielle. Les 35 heures n'ont eu aucun impact sur les grandes entreprises industrielles. Mais elles ont dévasté le secteur des services, qui représente 80 % de notre économie. Les services les plus touchés ont été les services publics. D'ailleurs, l'hôpital public ne s'est pas encore remis des 35 heures. Tout cela n'a pas été vu au moment du vote de la loi, qui a été faite pour les grandes entreprises très capitalistiques. La part de la masse salariale dans la valeur ajoutée dans les grandes entreprises est autour de 10 à 15%. Dans les services, on est à 60%. Quand on manipule les règles sociales, cela n'a pas les mêmes impacts dans les grandes entreprises industrielles et internationalisées que dans les petites. Ce seuil de 70 salariés est central. Je le répète : à partir de 70 salariés, une entreprise est obligée de se doter d'un comité de direction, le chef d'entreprise est obligé de se doter d'un certain nombre de collaborateurs qui vont l'aider à traiter les questions de personnel, commerciales et de production. Les obligations sociales supplémentaires, si elles viennent au-delà de ce seuil, ont un impact très limité. Mais, si vous les mettez à 50 salariés, cela a un effet dévastateur. Le législateur devrait tenir compte des contraintes du monde réel lorsqu'il vote la loi.
En ce qui concerne l'audit, la solution n'est pas de le supprimer, mais d'aller vers un véritable audit simplifié pour les petites PME. La science comptable est encore plus malléable que la science économique. Je me rappellerai toujours des résultats des banques aux États-Unis pour le troisième trimestre 2008. Les banques ont annoncé dans les huit jours de la fin du trimestre - vers le 8 octobre - des pertes colossales. Le régulateur américain a modifié la règle en disant qu'il faut revenir aux coûts historiques. Une banque, à trois jours d'intervalle a annoncé pour le troisième trimestre 2008 trois milliards de dollars de perte dans le premier cas et trois milliards de dollars de gain dans le second cas. La comptabilité est une science des normes qui sont malléables. Avoir un regard extérieur sur le fonctionnement de l'entreprise par un auditeur me semble une bonne chose. En revanche, laisser une entreprise de 80 personnes face à un auditeur avec une obligation d'audit peut la mettre dans une situation financière difficile, si elle doit régler des honoraires de 7 000 à 8 000 euros. On peut imaginer avoir un audit simplifié et réglementé à 2 000 ou 3 000, qui ne coûterait pas trop cher à l'entreprise, et en même temps fiabiliserait ses chiffres.
L'économie n'est pas le seul domaine où les « experts » ne sont pas entendus. Il y a un rejet des experts de manière générale depuis une vingtaine d'années qui traduit l'impossibilité de discuter rationnellement des sujets. Le problème politique central, pour moi, est l'absence de diagnostic partagé. Paradoxalement, en 1945, il y avait un diagnostic partagé. Le patron du parti communiste en 1945 a fait le tour des carreaux de mines afin d'enjoindre les mineurs à travailler 48 voire 50 heures par semaine, car il fallait réapprovisionner la France en énergie. On a reconstruit la France pendant les Trente Glorieuses. Aujourd'hui, sur beaucoup de sujets, il n'y a pas de diagnostic partagé. Surtout, il y a une incompréhension générale du monde politique, médiatique et du monde enseignant des contraintes économiques. C'est un triple déficit qui n'existe pas ailleurs.