Intervention de Christian Saint-Etienne

Commission spéciale transformation entreprises — Réunion du 7 novembre 2018 à 14h20
Audition de Mm. Pierre Cahuc professeur d'économie à sciences po christian saint-étienne titulaire de la chaire d'économie industrielle au cnam et jean-hervé lorenzi président du cercle des économistes

Christian Saint-Etienne, titulaire de la chaire d'économie industrielle au CNAM :

Comme cela vient d'être dit, le débat sur les retraites entre répartition et capitalisation est piégé depuis 40 ans, car les syndicats cogèrent le système des retraites. Cela influe sur les décisions. Un jour, il faudra opérer vis-à-vis des syndicats la même transformation que l'on a opérée vis-à-vis des partis politiques : on a donné 600 ou 700 millions d'euros aux partis politiques pour financer leurs activités. Il faudra faire de même pour les syndicats, et mettre fin à la cogestion d'un ensemble de systèmes, car nous n'arrivons pas à les faire évoluer à la vitesse souhaitable. Les points de blocage de ce type sont très puissants.

Sur le financement des entreprises, les fonds de pension sont le seul moyen de financer l'essor des entreprises, surtout dans un moment très particulier que nous connaissons depuis 20 ans : celui de la révolution numérique. Pendant les Trente Glorieuses, les entreprises françaises se sont bien développées. On était dans la deuxième révolution industrielle et l'économie de rattrapage. On se finançait beaucoup par le crédit bancaire. Dans une économie en mutation, avec les particularités de la nouvelle révolution industrielle faisant notamment que « le gagnant gagne tout », les banques sont très prudentes en matière de financement. Notre système de financement reposant principalement sur les banques est en difficulté pour financer des entreprises qui veulent croitre rapidement, dans des activités en forte évolution.

Si on veut éviter le débat idéologique sur les retraites, on peut facilement montrer que le système optimal, pour beaucoup de raisons, notamment mathématique et statistique, est un système qui est à moitié en répartition et à moitié en capitalisation. Aucun système unique n'est bon. On observe d'ailleurs que dans aucun pays du monde, c'est tout en répartition ou tout en capitalisation. En outre, si on prend en compte un élément sociologique - à savoir que très peu d'individus sont capables de se projeter à 40 ans -, il est souhaitable de mettre en place des systèmes institutionnels qui font que les gens épargnent malgré eux. En prenant en compte cette contrainte sociologique, l'optimum est certainement un système de transfert de revenu de l'activité vers l'inactivité. Lorsque l'on parle d'un système de retraite, on est toujours dans un schéma de transfert de revenus d'activité vers l'inactivité, probablement avec un ratio deux tiers en répartition, un tiers en capitalisation. Or, la France est aujourd'hui autour de 96-97 % en répartition et 3 ou 4 % en capitalisation. De plus, cette capitalisation est essentiellement versée à 2 ou 3 % de la population. Cela signifie que 97 % de la population est à 100 % en répartition. Comme il se trouve que l'on vient de vivre une période de vingt ans au cours de laquelle les taux d'intérêt réels étaient supérieurs aux taux de croissance, on s'est privé de l'enrichissement collectif qu'aurait permis la création de fonds de pension. Si en 1982, au lieu de ramener la retraite de 65 ans à 60 ans on avait mis en place des fonds de pension, le niveau de vie en France serait peut-être de 15 à 20 % supérieur à ce qu'il est actuellement. Dans la situation actuelle, une première idée est d'allonger la durée de l'assurance vie. Jean-Hervé Lorenzi a expliqué la résistance des Français sur ce point. On pourrait imaginer de mettre en place un compartiment d'assurance vie à quinze ans, avec des avantages fiscaux un peu plus significatifs, pour ceux qui laisseraient leur fonds au-delà de quinze ans.

Les directives Bâle 3 et Solvabilité 2 qui sont des réglementations européennes ont massivement contribué à l'effondrement des investissements de long terme en actions. Cela a fortement favorisé les investissements des Américains, des Japonais et des Chinois en Europe. On se retrouve dans la situation où le capital européen, notamment le plus stratégique, que ce soit en France, en Allemagne ou au Royaume-Uni, est en train de passer dans des mains non-européennes. On est déjà en difficulté en Europe et on donne tous les instruments pour se faire battre.

Je ne sais pas de quelle marge de manoeuvre vous disposez dans le cadre des débats sur ce projet de loi, mais il serait intéressant de proposer la création d'un instrument unique pour essayer d'augmenter l'importance des fonds actuellement investis - qui sont de l'ordre de 200 milliards d'euros, face au 1 700 milliards de l'assurance vie. Certes on peut faire grandir les 200 milliards de 10 %, mais on ne sera toujours qu'à 220 milliards d'euros. Si on peut faire basculer 100, 200 ou 300 milliards d'euros de l'assurance vie dans des compartiments à plus de quinze ans, on aura progressé dans le financement des entreprises. Il est utile d'ouvrir une négociation avec le gouvernement sur ce point.

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