Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie d'avoir bien voulu me convier à ce débat préliminaire aux travaux de la commission spéciale, auxquels participera le ministre lui-même.
Les dispositions relatives à la privatisation du projet de loi PACTE voté en première lecture à l'Assemblée nationale s'inscrivent dans une évolution de la doctrine de l'État actionnaire qui a été validée et rendue publique par le Gouvernement et par M. Le Maire, ministre de l'économie et des finances, lors de la présentation de la loi, au mois de juin, devant le conseil des ministres.
Un mot sur l'histoire de cette doctrine : l'État est aujourd'hui actionnaire d'un portefeuille d'environ 110 milliards d'euros, soit un peu plus de 80 milliards d'euros de participations dans des sociétés cotées et une trentaine de milliards dans des sociétés non cotées, dans lesquelles il est majoritaire ou qu'il détient intégralement.
Ces participations sont le fruit des grandes vagues de nationalisation qui se sont succédées après la seconde guerre mondiale, puis en 1982, 1986 et 1993, et du processus de retrait progressif de l'État d'un certain nombre d'entreprises, notamment de service public, qui intervenaient dans des secteurs qui ont été dérégulés, comme l'énergie, les télécommunications, la poste, etc.
Jusqu'en 2004, l'État actionnaire agissait, investissait, traitait son portefeuille sans doctrine formalisée. Ce sont les décisions successives du Parlement et des gouvernements qui tenaient lieu de doctrine.
En 2014, une doctrine a été établie, fixant quatre lignes directrices et visant à expliquer l'état de détention du portefeuille. Celles-ci comptaient notamment une ligne directrice, où l'État était censé investir ou garder des participations dans des entreprises « participant à la croissance économique française et européenne ». À dire vrai, c'était assez vaste, puisque ceci permettait à l'État d'investir dans n'importe quelle entreprise dès lors qu'elle était en croissance et qu'elle avait un impact important sur l'économie nationale ou européenne.
En réalité, cette doctrine n'avait pas vraiment de portée opérationnelle. C'est la raison pour laquelle, en 2017, le Gouvernement a souhaité la clarifier et la simplifier, avec deux idées très simples. Premièrement, il était absolument nécessaire d'être plus sélectif dans l'utilisation des finances publiques, l'immobilisation d'argent public dans des sociétés en particulier commerciales sans mission de service public ne correspondant plus à la nécessité du moment. En second lieu, il était préférable d'affecter de l'argent public à des investissements du futur, d'où la création du fonds pour l'innovation, qui sera alimenté par le produit des privatisations.
Nous avons formalisé cette doctrine autour de trois lignes directrices. En premier lieu, l'État investit dans les entreprises relevant de la souveraineté nationale, essentiellement celles dépendant du secteur de la défense et du secteur du nucléaire civil ou y intervenant massivement, c'est-à-dire essentiellement EDF et Orano. La deuxième ligne directrice est de rester présent dans les grandes entreprises de service public nationales, pour lesquelles la seule régulation des activités exercées en monopole ne suffit pas à s'assurer du bon exercice du service public, ou bien des entreprises de service public local pour lesquels la régulation n'est pas suffisante. Les grands ports maritimes font partie de ce champ. La troisième ligne directrice reste évidemment valide : ce sont les entreprises dans lesquelles l'État doit intervenir lorsque celles-ci ont une situation financière critique et font peser un risque systémique à un secteur ou à l'économie nationale.
C'est la raison pour laquelle nous sommes intervenus dans Dexia, afin d'éviter une nouvelle crise bancaire majeure, ou bien dans le secteur automobile, comme PSA en 2014, afin de sauver le groupe de la faillite.
Ces trois lignes directrices guident l'action du Gouvernement, et le ministre de l'économie et des finances a clairement rappelé ces trois piliers. Ceci explique les choix qui ont été faits dans le cadre de la loi PACTE concernant la privatisation d'ADP et de la FDJ, et afin de donner plus de flexibilité dans le capital d'Engie, où la législation actuelle oblige l'État à être au minimum à 33 % dans le capital.
Voici le cadre général que fixe la loi PACTE. Le ministre aura l'occasion de le redire : l'objectif est que les ressources de cessions par l'Agence de participation de l'État viennent alimenter le fonds pour l'innovation de rupture, qui est aujourd'hui une poche d'actifs dont les revenus sont consacrés exclusivement à l'innovation de rupture.
Ainsi, les ressources qui seront tirées de la privatisation d'ADP et de la FDJ viendront contribuer au fonds. Pourquoi ces entreprises plutôt que d'autres ? D'abord parce qu'il faut actuellement, dans les entreprises dans lesquelles l'État est majoritaire, l'autorisation du Parlement pour pouvoir passer en dessous du seuil de 50 %. À l'inverse, beaucoup des autres entreprises dans lesquelles l'État est majoritaire ou détient 60 % relèvent de la première catégorie, c'est-à-dire la défense et la souveraineté, ou de la seconde catégorie.
C'est le cas, je le disais, d'entreprises de défense : il n'est pas question de privatiser Naval Group ou de descendre dans le capital de KNDS, nouvelle société créée avec les Allemands dans le domaine de l'armement terrestre. Il n'est pas non plus question de privatiser EDF ou Orano, de même - et votre assemblée y a pris part - pas plus que de privatiser la SNCF ou La Poste qui fait par ailleurs l'objet, dans le cadre de la loi PACTE, d'une disposition particulière permettant la création d'un grand pôle public financier, notamment pour accompagner les territoires.
Le choix des sociétés qui sont aujourd'hui dans le portefeuille s'est porté sur ADP et FDJ. ADP est une entreprise dont le rendement est aujourd'hui l'un des plus faibles du portefeuille. C'est une entreprise déjà cotée, la loi de 2005 ayant transformé l'EPIC en société anonyme et cotée.
La FDJ est quant à elle un projet assez ancien. Elle compte déjà des actionnaires minoritaires. L'État a décidé de rester actionnaire minoritaire à hauteur d'environ 20 %, afin de garder un contrôle étroit au regard de la jurisprudence européenne sur la privatisation de monopoles dans le domaine des jeux.
Telle est la philosophie générale de la loi PACTE et des dispositions relatives aux privatisations. Naturellement, si votre assemblée vote la loi, et si l'Assemblée nationale la confirme, la réalisation de ces opérations, une fois la loi promulguée, dépendra d'un certain nombre de conditions, notamment de marché, puisqu'il va de soi, comme pour chacune de nos opérations de cession, que nous ne réaliserons pas ces opérations si les conditions du marché ne sont pas favorables.