Intervention de Yves Crozet

Commission spéciale transformation entreprises — Réunion du 7 novembre 2018 à 14h20
Table ronde consacrée aux privatisations réunissant mm. martin vial commissaire aux participations de l'état emmanuel de rohan chabot président de l'association française des jeux en ligne fjel françois ecalle président de fipeco et yves crozet économiste des transports

Yves Crozet, économiste des transports :

Merci de votre invitation. En tant qu'universitaire, j'étudie ces questions sous l'angle du monopole - le mot a été prononcé. Un aéroport est un monopole naturel. Le monopole doit, par définition, être contrôlé pour éviter qu'il n'abuse de sa situation.

ADP a été géré depuis très longtemps comme une activité de rente, exactement comme les autoroutes ou comme le ferait un ménage qui serait propriétaire de logements. La première question qui se pose est de savoir comment réaliser un choix de portefeuille qui va substituer une somme à une rente. Le choix est un choix d'actualisation, cela a été indiqué. Il est évident que, dans beaucoup de pays, par exemple les États-Unis, on ne privatise pas les aéroports, considérés comme des biens publics qui engagent le développement des activités futures des zones urbaines.

Il est vrai que la façon dont la rente a été gérée par l'État, par ADP et par la tutelle depuis une dizaine d'années n'était pas très satisfaisante. François Ecalle a indiqué qu'il fallait absolument une régulation très ferme du futur actionnaire privé, s'il y en a un, mais il faut bien dire que la régulation d'ADP, acteur public depuis vingt ans, a été extrêmement lâche. On a laissé ADP augmenter ses redevances aéroportuaires assez sensiblement. Ceci était nécessaire étant donné les investissements, mais les efforts de productivité n'ont pas été demandés comme ils auraient dû. J'ai siégé pendant plusieurs années à la commission consultative aéroportuaire : on était très surpris de la faiblesse du ministre des transports face à son ancien directeur de cabinet devenu président d'ADP, il y a un peu moins d'une dizaine d'années.

Il faut bien comprendre que la question de la régulation des monopoles existe, qu'ils soient publics ou privés. Il faut donc bien distinguer deux questions. La première est celle du choix de portefeuille. Il faut que le rendement de l'opération soit correct une fois qu'on a actualisé les rendements potentiels.

Vous avez raison de dire que la rentabilité n'est pas extraordinaire - inférieure à 2 % actuellement -, mais les gains potentiels en plus-values seront assez importants si le trafic continue à augmenter comme c'est le cas depuis quelques années. C'est un calcul assez compliqué à réaliser. Il faut qu'un calcul financier démontre que cette opération se fait au bon moment. Il faudra donc étudier de près la fenêtre de tir en termes de rentabilité s'agissant de l'aspect financier.

La deuxième question est bien celle de la régulation. J'ai tendance à croire qu'il vaut peut-être mieux, comme c'est inscrit dans le projet de loi actuel, avoir un régulateur relativement indépendant. Ce sera bon pour la plateforme. Actuellement, les trafics d'ADP augmentent moins que les trafics des aéroports concurrents en Europe. Il y a quinze ans, on nous expliquait qu'ADP était le seul aéroport qui avait des capacités de développement, alors que Francfort, Schiphol et Londres étaient soi-disant saturés. Or tous, plus ou moins, ont développé des capacités nouvelles.

On a donc un aéroport qui a sans doute les plus grosses capacités européennes, mais c'est l'un de ceux qui se développent le moins rapidement. Ceci est entre autres lié à une qualité qui n'est pas toujours irréprochable d'une part et, d'autre part, aux redevances qui sont relativement élevées.

Si la nouvelle régulation est capable de traiter ces questions et que l'État joue son rôle de stratège grâce à un régulateur indépendant au lieu de demeurer un actionnaire rentier, l'opération peut avoir du sens.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion