Intervention de Martial Bourquin

Délégation aux entreprises — Réunion du 25 octobre 2018 à 9h00
Communication de m. martial bourquin sur les apports du sénat à la loi elan relatifs aux centres-villes et centres-bourgs

Photo de Martial BourquinMartial Bourquin :

Chers collègues, je remercie vivement notre présidente Élisabeth Lamure de me donner l'occasion de faire le point sur les avancées que nous avons obtenues dans la loi ELAN au profit des centres-villes et centres-bourgs.

Comme vous le savez, notre délégation, associée à la délégation aux collectivités territoriales et aux commissions permanentes, a créé un groupe de travail sur la revitalisation desdits centres. Au terme d'un travail de plusieurs mois, nous avons abouti, de manière transpartisane, avec notre collègue Rémy Pointereau, à une proposition de loi portant Pacte national pour la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs, comportant 30 articles.

Au cours de nos travaux, nous nous sommes aperçus que ce sujet dépassait les clivages politiques, tout le monde s'accorde sur le fait que nos centres-villes sont en grave difficulté et on constate surtout une dégradation plus rapide depuis ces deux dernières années. Peut-être avez-vous entendu que le groupe Casino allait se séparer d'une vingtaine de ses supermarchés ? Plusieurs acteurs de la grande distribution ont également prévu de se séparer de leurs supermarchés. On assiste donc à une profonde évolution avec ces mutations de la grande distribution mais aussi avec l'arrivée du e-commerce. Ces deux facteurs aggravants créent donc de nouvelles friches commerciales que l'on peut mesurer en hectares.

Le Sénat a eu le mérite de prendre le sujet « à bras le corps », et j'ai été enchanté de travailler avec mes collègues dans ce groupe de travail. Sur un dossier d'une telle sensibilité, dans lequel les élus engagent leur responsabilité, je ne peux que me féliciter que la proposition ait été votée à l'unanimité le 14 juin dernier.

Nous nous sommes rapprochés de nos collègues de la commission des Affaires économiques, en particulier de sa présidente, Sophie Primas, et de Dominique Estrosi-Sassone, qui a rapporté le projet de loi. Grâce à ce travail en étroite collaboration, de nombreuses dispositions de la proposition de loi ont été intégrées dans la version du projet de loi ELAN votée par le Sénat le 25 juillet. Les questions financières seront, pour leur part, débattues dans le projet de loi de finances. Ce sont donc 31 articles qui ont donné lieu au dépôt d'amendements.

Les débats furent agités lors de la Commission Mixte Paritaire (CMP), notamment sur les questions de commerce. Le gouvernement était plutôt frileux voire hostile à l'égard de certaines de nos propositions, particulièrement sur la question des Commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC). Peut-être faut-il expliquer cette réticence par l'intérêt tardif de l'Assemblée nationale pour le sujet.

En quelques mots, quelles sont les dispositions sénatoriales qui figureront dans la loi ? Elles sont loin d'être négligeables.

Premier point : contre la volonté du Gouvernement, la composition des CDAC est remaniée pour qu'elles accueillent des représentants du tissu économique et commercial, comme prévu à l'article 13 de la proposition de loi (PPL) portant Pacte national pour la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs. Sont réintégrés des représentants des CCI, des Chambres de Métiers et de l'Artisanat (CMA) et des chambres d'agriculture (en raison de l'occupation des terres agricoles pour la construction de grandes surfaces), sans voix délibérative mais avec leur expertise ce qui est une réelle innovation.

Par ailleurs, les CDAC pourront auditionner les managers du commerce et les associations de commerçants de la commune d'implantation et des communes limitrophes.

Elles seront dans l'obligation d'informer les maires des communes limitrophes des demandes d'autorisation d'exploitation commerciale.

Deuxième point, tout à fait essentiel : le fonctionnement des CDAC est profondément réformé pour mieux tenir compte de la situation des centres, conformément à l'article 15 de la PPL portant Pacte national pour la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs.

Les CDAC devront d'abord tenir compte de nouveaux critères pour délivrer les autorisations d'autorisation commerciale : en particulier, elles devront examiner la contribution du projet à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de la commune et des communes limitrophes.

Avancée considérable, la loi crée l'obligation pour le demandeur de produire une analyse d'impact du projet commercial. Réalisée par un organisme indépendant habilité par le préfet, cette analyse devra évaluer les effets du projet sur l'animation et le développement économique du centre-ville de la commune, des communes limitrophes et de l'EPCI, ainsi que sur l'emploi...

Enfin, le demandeur de surfaces commerciales devra démontrer que son projet ne peut pas s'implanter sur une friche commerciale existante, d'abord en centre-ville puis en dehors.

Troisième point : nous avions constaté la paralysie du dispositif de contrôle du respect de la loi sur les implantations commerciales. Figurez-vous, chers collègues, que lors de nos auditions avec Monsieur Pointereau, nous avons appris que des dizaines de milliers de mètres carrés des surfaces commerciales non autorisées fonctionnent depuis des années. Pire encore, on constate, lorsqu'il y a délivrance d'un permis de construire, qu'une part équivalente à 25 % supplémentaires de la surface accordée est construite illégalement. Le dispositif de contrôle est entièrement refondu selon les propositions du Sénat issues de l'article 16 de la PPL portant Pacte national pour la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs. Dans les cas de constructions supplémentaires non autorisées, le commerçant devra cesser son activité. Auparavant, les commerçants exerçaient un chantage à l'emploi face à la menace de cessation de l'activité.

L'exploitant d'une grande surface devra, un mois avant la date d'ouverture, communiquer au préfet et au maire, un certificat établi à ses frais, par un organisme habilité par le préfet, attestant du respect des dispositions du code de commerce.

Sans ce certificat, l'exploitation des surfaces concernées est réputée illicite. Dans le même sens, la possibilité de constater les infractions au code du commerce est étendue aux agents habilités par la commune ou par l'EPCI.

Désormais, le préfet aura compétence liée pour mettre en demeure de se régulariser les établissements de grande distribution exploitant illicitement des surfaces et, à défaut, pour prendre un arrêté ordonnant une fermeture.

Pour faciliter la prise de décision des préfets mais aussi celle des CDAC, seront insérés dans la base de données dite ICODE, gérée par le Ministère des finances, les divers actes relatifs aux exploitations illicites (rapports de constatation, mises en demeure, arrêtés de fermeture,...). Cela permettra aux services de l'État de disposer des informations sur le comportement d'un exploitant au-delà des limites du département.

Quatrième point : les obligations de remise en état des surfaces commerciales abandonnées sont renforcées pour éviter la prolifération de friches commerciales, conformément à l'article 17 de la PPL portant Pacte national pour la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs.

Le préfet sera, désormais, tenu de s'assurer des dispositions prévues par les propriétaires du site pour mettre en oeuvre les opérations de remise en état des terrains. Si elles sont insuffisantes, le préfet pourra obliger les propriétaires à consigner entre les mains d'un comptable public une somme du montant des travaux à réaliser, somme restituée à mesure de la remise en état. C'est une arme puissante confiée aux services de l'État qui transpose aux friches commerciales le régime existant en matière de démantèlement des installations classées pour la protection de l'environnement.

Cinquième point : nous avons obtenu le renforcement du document d'aménagement artisanal et commercial (DAAC) pour permettre aux collectivités de se doter d'une stratégie de développement commercial (dispositions issues de l'article 22 de la PPL portant Pacte national pour la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs), l'idée étant d'avoir un équilibre entre périphérie et centre-ville.

Non seulement le DAAC devient obligatoire dans un schéma de cohérence territoriale (SCOT), mais il déterminera obligatoirement les conditions d'implantation des équipements commerciaux importants, le type d'activité et la surface de vente maximale des équipements commerciaux par secteurs. En l'absence de SCOT, ce sera au plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi) de fixer ces éléments.

Sixième point : la loi reprend la proposition du Sénat d'instituer un droit à l'information des élus locaux sur les transferts de services publics hors des centres-villes, issue de l'article 5 de la PPL portant Pacte national pour la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs. Vous comme moi, chers collègues, avez été élus locaux et confrontés à la fermeture du bureau de poste de votre ville.

Dans les communes signataires d'une convention d'opération de revitalisation de territoire (ORT), l'autorité responsable d'un projet de fermeture ou de déplacement hors du périmètre de l'ORT d'un service de l'État, d'une collectivité territoriale, d'un EPCI ou d'un organisme chargé d'une mission de service public devra obligatoirement communiquer, au moins six mois à l'avance, au maire de la commune et au président de l'EPCI toutes les informations justifiant cette évolution. L'autorité responsable devra aussi indiquer les mesures envisagées pour permettre localement le maintien de ce service sous une autre forme.

Septième point : les dispositions défendues par le Sénat pour pousser à la remise sur le marché des hauts d'immeubles en centres-villes ont été reprises de l'article 4 de la PPL.

Vous savez que l'enjeu est la remise sur le marché de dizaines de milliers de logements en centre-ville, situés au-dessus de commerces et actuellement inhabités.

Dans un périmètre d'ORT, on ne pourra plus imposer un bail unique pour un commerce en rez-de-chaussée et les étages supérieurs, sauf pour réserver l'habitation du commerçant ou de l'artisan qui exerce son activité professionnelle en rez-de-chaussée. Par ailleurs, seront interdits les travaux qui, dans un même immeuble, condamnent l'accès aux étages.

Enfin, mesure qui devrait aider de nombreux maires, dans le périmètre d'une ORT, l'abandon manifeste d'une partie d'immeuble est constaté automatiquement dès lors que des travaux ont condamné l'accès à cette partie.

Huitième point : le principe d'exonération de CDAC dans les centres-villes dans les périmètres d'ORT, que le Gouvernement souhaitait total, a été encadré.

La convention ORT pourra ainsi prévoir un seuil haut à cette exonération (5 000 m², ou 2 500 m² pour les magasins alimentaires). Disons-le, sur ce sujet, nous ne sommes pas vraiment satisfaits. Nous voulions que le Maire puisse garder un contrôle sur les implantations, qui peuvent parfois déstabiliser les commerces alentours. Pour sa part, le Gouvernement, actionné par le Conseil national des centres commerciaux, voulait au départ un blanc-seing pour toute implantation commerciale en centre-ville. Non seulement les élus perdaient tout droit de regard sur ces implantations exonérées de CDAC, mais il est clair qu'une ouverture totale des centres-villes aux centres commerciaux et à la grande distribution risquait de provoquer énormément de casse parmi les commerçants indépendants. Nous avons évité le pire. Mais il faudra sans doute un jour y revenir.

Preuve que nous ne sommes pas hostiles à d'importantes implantations commerciales en centre-ville, dès lors qu'elles sont absorbables par le chaland, la CMP a repris notre proposition visant à exonérer de CDAC les opérations immobilières combinant un projet d'implantation commerciale et des logements.

Neuvième et dernier point : alors qu'on nous avait expliqué que des moratoires sur les implantations de grande surface étaient impossibles, le Gouvernement, sous la pression du Sénat, en a admis le principe. La CMP en a consolidé et étendu les modalités.

En conclusion, le Sénat n'a pas obtenu gain de cause sur tous les points, mais les avancées obtenues sont très significatives. La CMP a permis de faire avancer le sujet auprès des députés.

Ce résultat démontre qu'un travail commun, ici entre notre délégation, la délégation aux collectivités, et les commissions concernées, permet d'aboutir dès lors qu'il est marqué par une démarche de co-construction et la volonté de coopération.

Le combat pour les centres-villes et centres-bourgs ne s'arrête bien sûr pas là, notamment parce que le volet fiscal avait été exclu de nos débats sur ELAN, mais c'est une étape décisive qui est franchie.

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