Monsieur le président, mes chers collègues, j'ai l'honneur de vous présenter mon rapport sur la proposition de loi déposée le 9 octobre 2018 par notre collègue Françoise Cartron, prévoyant la remise d'un rapport au Parlement, avant le 1er janvier 2020, sur la mise en oeuvre des préconisations formulées par l'ANSES dans une note publiée le 18 septembre sur d'éventuels risques liés à l'utilisation de granulats de pneus usagés dans les terrains synthétiques et autres usages similaires, en particulier les aires de jeux présentes dans de nombreuses communes.
Malgré un calendrier d'examen très resserré, j'ai souhaité procéder à plusieurs auditions pour disposer d'une vision d'ensemble sur un sujet aussi précis et technique. J'ai ainsi rencontré des représentants de l'ANSES, du ministère de la transition écologique et solidaire, ainsi que d'Aliapur, au titre des acteurs du secteur industriel, et de l'association Robin des Bois, principale association engagée sur ce sujet.
Actuellement, les pneus usagés sont collectés dans le cadre d'une filière à responsabilité élargie du producteur (REP), une partie de cette collecte étant valorisée sous forme de granulats de pneus pour la réalisation de terrains synthétiques et d'aires de jeux, soit en couche d'amortissement, soit en sous couche. Aliapur, qui collecte 370 000 tonnes de pneus par an, soit 90 % de la collecte totale, nous a indiqué qu'un peu moins de 10 % de ces pneus servent à la granulation pour les terrains synthétiques.
À la suite d'inquiétudes relayées par les médias et certaines associations sur l'impact sanitaire et environnemental éventuel de l'utilisation de ces granulats dans les terrains de sport et les aires de jeux, six ministères ont décidé de saisir conjointement l'ANSES le 21 février 2018. L'objectif était d'apporter un éclairage technique sur la caractérisation des dangers liés à l'emploi de ces matériaux et sur l'identification des risques pour la population. Cette note d'appui scientifique et technique a été publiée le 18 septembre dernier et procède en trois temps.
Dans un premier temps, l'ANSES a analysé une cinquantaine d'études et expertises publiées au niveau international sur les risques liés aux terrains synthétiques, notamment par l'Agence européenne des risques chimiques (ECHA) et l'Institut néerlandais pour la santé et l'environnement (RIVM).
En matière de santé, l'agence constate que la majorité de ces études concluent à « un risque négligeable pour la santé », en ne mettant pas en évidence d'augmentation du risque cancérogène associée à la fréquentation ou à la mise en place de terrains de sport synthétiques.
En matière d'environnement, l'agence constate que les données disponibles évoquent « l'existence de risques potentiels pour l'environnement », liés au transfert de substances chimiques - notamment le zinc et les phénols - via les sols et les systèmes de drainage des eaux de pluie.
J'attire à ce stade votre attention sur le fait que la note de l'ANSES ne constitue pas une étude nouvelle mais procède à une revue des travaux disponibles. En d'autres termes, elle ne modifie pas l'état des connaissances scientifiques sur le sujet.
Dans un deuxième temps, l'ANSES indique avoir relevé « des incertitudes et des limites méthodologiques » dans certaines publications, en particulier un manque de prise en compte de la variabilité de la composition des terrains synthétiques. Elle relève également un manque de données concernant les utilisations spécifiques des granulats de pneus dans les aires de jeux, les niveaux d'exposition aux terrains synthétiques à l'intérieur des bâtiments, et le risque d'accumulation de chaleur de ces revêtements en milieu urbain.
Dans un troisième temps, l'agence propose donc des axes de recherche prioritaires afin de consolider les données et de compléter ainsi les évaluations de risques déjà disponibles. Elle vise en particulier l'acquisition de données concernant les aires de jeux, qui impliquent des populations sensibles et concernent d'autres produits (colles, colorants, liants, agents lissants) et l'approfondissement des connaissances concernant les terrains en intérieur et le risque thermique liés aux revêtements synthétiques.
Lors de leur audition, les représentants de l'ANSES nous ont confirmé que ces sujets de recherche ont été intégrés au programme de travail de l'agence pour 2019. J'ajoute que d'autres études sont en cours au niveau international, en particulier une étude menée par l'agence sanitaire américaine - l'USEPA - et une autre étude menée par le secteur industriel au niveau européen. Les premières conclusions de ces études devraient être publiées en fin d'année et permettront de compléter les connaissances en matière de risques.
Dans sa note, l'ANSES recommande également une évolution de la réglementation REACH, afin d'abaisser la teneur de certaines substances préoccupantes dans les granulats de pneus.
Outre plusieurs métaux lourds, les granulats de pneus contiennent en effet plusieurs hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), en particulier le benzoapyrène, qui est un produit cancérogène avéré.
La teneur maximale fixée en annexe du règlement REACH varie actuellement entre 1 000 et 100 milligrammes par kilogramme de mélange, selon le HAP considéré. Cette teneur est bien supérieure à celle prévue pour les articles de consommation en contact prolongé ou régulier avec la peau - 1 milligramme - ou pour les jouets - 0,5 milligramme.
Indépendamment des risques identifiés, il semble donc indispensable de faire évoluer la réglementation en tenant compte davantage des usages, dès lors que sur un terrain synthétique ou une aire de jeux, le contact direct du corps avec ces granulats peut également être régulier ou prolongé, en particulier pour les enfants, de la même façon que pour les articles de consommation ou les jouets.
Les autorités néerlandaises ont présenté un projet de restriction au titre de la réglementation REACH fixant une teneur maximale pour la somme des 8 HAP avec deux options : 17 milligrammes ou 6,5 milligrammes par kilogramme de mélange. La seconde est évidemment plus protectrice, mais pourrait avoir des conséquences économiques selon les industriels.
La procédure n'en est encore qu'au début, mais le ministère nous a indiqué être a priori favorable à ce projet de restriction. La consultation sur la proposition des Pays-Bas s'achèvera en mars 2019, pour une adoption d'ici la fin de l'année 2019, sauf difficultés politiques au sein du comité chargé d'examiner les propositions de modification.
Enfin, l'ANSES recommande dans sa note l'élaboration d'éléments de méthode pour mener localement des évaluations d'impact environnemental avant la création de nouveaux terrains. Ce travail devra être mené conjointement avec le ministère, et il nous a été indiqué qu'il pourrait aboutir au cours de l'année 2019. Je pense qu'il pourrait être utilement complété par la production d'un guide de bonnes pratiques ou de recommandations concrètes à destination des collectivités territoriales, pour limiter l'impact environnemental mais également sanitaire.
En effet, les élus locaux sont souvent en première ligne, face aux inquiétudes exprimées par leurs concitoyens, tout en ayant à assumer leurs responsabilités en tant que gestionnaire d'installations ou maître d'ouvrage de nouveaux projets. Il me semble donc indispensable, aussi bien en termes de connaissance des risques, que de mesures à mettre en oeuvre, que l'État leur apporte des éléments de réponse et des outils.
Il existe un grand décalage entre, d'une part, les inquiétudes relayées par les médias et certaines associations, et d'autre part, l'état des connaissances scientifiques. À ce stade, il me semble que l'absence de risques majeur identifié pour la santé et l'absence de signalement épidémiologique notable ne suggèrent pas une application stricte du principe de précaution, qui conduirait à renoncer complètement à la création de nouvelles installations, ou à interdire l'utilisation de terrains existants.
Selon les spécificités locales, la sensibilité de la population à ces questions et la volonté des élus, des solutions intermédiaires existent. Je pense notamment à l'exemple de la région Ile-de-France - que nous avons interrogée -, qui, après avoir établi un moratoire sur le soutien financier à des projets de terrains synthétiques, a rétabli ce soutien tout en l'assortissant de critères exigeants, notamment en termes d'origine des granulats et de conception des terrains : ces derniers doivent faire l'objet d'un encaissement et disposer d'un système de drainage adapté. En outre, des mesures devront régulièrement être effectuées. En s'inspirant de cette mesure, une collectivité pourrait introduire des clauses guidées par des considérations sanitaires ou environnementales dans les marchés passés pour la réalisation de terrains ou d'aires de jeux. Les suites données à la note de l'ANSES pourront utilement éclairer les élus quant aux différentes options dont ils disposent.
Pour finir, je connais les réticences de notre assemblée à soutenir les demandes de rapports, mais la présente proposition de loi me semble utile, pour informer le public et aiguillonner les pouvoirs publics, afin de nous assurer que des suites seront effectivement données aux propositions de l'ANSES. Les éléments que nous avons pu recueillir suggèrent que la question est bien prise en charge, mais il me semble utile de prévoir une sorte de clause de revoyure, en l'espèce via la remise d'un rapport au Parlement d'ici le 1er janvier 2020.
Enfin, je précise que la question pourrait être évoquée à nouveau lors de l'examen du futur projet de loi sur l'économie circulaire, qui devrait comporter des dispositions relatives à la filière REP mise en place pour les pneumatiques usagés. Je vous remercie.