Je commenterai, pour ma part, le volet « Numérique et postes » de la mission « Économie », en commençant par les crédits « Numérique et postes » du programme 134.
Comme l'année dernière, les modalités de définition de la dotation versée par l'État à la Poste pour compenser sa mission de transport de la presse restent discutables. L'État et la Poste ont défini une trajectoire d'évolution de cette dotation à la baisse dans le contrat d'entreprise de la Poste pour la période 2018 à 2022 sans associer les représentants de la presse, contrairement à la méthode adoptée entre 2008 et 2015. Par ailleurs, cette dotation de compensation trouverait davantage sa place au sein du programme 180, qui traite des aides à la presse. C'est, au demeurant, ce que souhaitent les professionnels.
La subvention versée à l'Agence nationale des fréquences (ANFr) augmente pour absorber une nouvelle mission et compenser la suppression d'une taxe affectée. A champ constant, elle augmente légèrement pour atteindre 32,2 millions d'euros. A ce montant s'ajoutent d'abord 5 millions d'euros de crédits de paiement en vue d'assurer sa nouvelle mission de gestion de la diffusion du temps légal français à partir du site d'Allouis, mission qui lui est confiée par le projet de loi dite ELAN.
S'y ajoutent également 2,5 millions d'euros qui viennent compenser la suppression de la taxe additionnelle à l'IFER « mobile » par le présent projet de loi de finances. Cette recette était affectée au financement du dispositif national de surveillance et de mesure de l'exposition aux ondes créé par la loi « Grenelle » de 2009. Le remplacement de cette recette fiscale dynamique par des crédits budgétaires induit des risques pour le financement de ce dispositif, qui permet à chacun d'obtenir une mesure des ondes auxquelles chaque demandeur est exposé. Si, à ce jour, ce dispositif est très largement financé, on ne peut totalement écarter l'hypothèse d'une hausse du nombre de saisines, avec le déploiement du compteur Linky et de la 5G. Il conviendra donc d'être vigilant à l'avenir.
Plus globalement, sur le sujet de l'exposition aux ondes, il me semble qu'un travail renforcé de pédagogie à destination du grand public serait utile, au-delà des six bonnes pratiques déjà identifiées par l'État dans le cadre d'une campagne de sensibilisation effectuée en novembre 2017.
Le financement de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), à hauteur de 22,6 millions d'euros en crédits de paiement, apparaît satisfaisant, mais celle-ci se voit régulièrement confier de nouvelles missions. Il convient de souligner que les efforts effectués par l'Autorité pour contenir l'évolution de sa masse salariale ont été salués par la Cour des comptes en décembre dernier.
J'en viens maintenant au programme 343, qui est depuis 2015 le véhicule budgétaire du plan « France très haut débit ». L'année 2018 se distingue par une accélération des déploiements en fibre optique sur l'ensemble du territoire, de l'ordre de 50 % d'augmentation pour les réseaux d'initiative publique. En conséquence, le budget 2019 prévoit, pour la première fois, l'ouverture de crédits de paiement pour financer les engagements de financement pris par l'État auprès des collectivités locales.
En zone moins dense d'initiative privée, l'État est parvenu cette année à obtenir de nouveaux engagements de déploiement de la part d'Orange et de SFR. Ce sont de bonnes nouvelles. Il convient néanmoins de ne pas s'en satisfaire car, afin d'atteindre l'objectif de 80 % de la population éligibles à la fibre optique en 2022, il faudra accélérer le rythme des déploiements : celui-ci serait d'environ 3 millions de prises en 2018, il devra être de l'ordre de 3,5 à 4 millions pour atteindre les objectifs. Ces futures prises étant principalement situées dans les zones à moindre densité de population, il convient de ne pas sous-estimer le défi à relever.
Dans le même temps, la question de l'après 2022 se pose d'ores et déjà, alors que l'Europe a fixé un objectif commun aux États membres de « société du gigabit » d'ici 2025. À ce jour, le guichet « France très haut débit » est suspendu, dans l'attente des résultats des appels à manifestation d'engagement locaux (Amel). Cette dernière initiative lancée par le Gouvernement fin 2017 afin de confier aux opérateurs privés la charge de déployer sur leurs fonds propres dans des zones d'initiative publique est mitigée, et traîne en longueur. Afin de donner de la visibilité à l'ensemble des acteurs des infrastructures numériques, il convient de solder ce processus dès 2019 pour de premières orientations sur le financement des réseaux d'initiative publique après 2022.
Parallèlement au déploiement de la fibre, le réseau en cuivre de l'opérateur historique ne doit pas être oublié. C'est pourquoi la mise en demeure adressée par l'Arcep à l'opérateur historique afin qu'il respecte ses obligations de qualité de service en tant qu'opérateur du service universel est bienvenue.
Désormais, les technologies alternatives à la fibre seront accompagnées par l'État selon des modalités améliorées dans le cadre du « guichet cohésion numérique » en cours de mise en place. Ce guichet vise à permettre à deux millions de locaux de bénéficier d'un « bon haut débit » (8 mégabits par seconde) en 2020. Au-delà de 2020, ces technologies alternatives, c'est-à-dire le hertzien terrestre et spatial, devraient être mobilisées sur 15 % des locaux de la zone moins dense d'initiative publique en 2022 (30 mégabits par seconde).
Ayant plaidé pour une prise en compte améliorée de ces solutions, et notamment du satellite, je me réjouis de la mise en place de ce guichet. Afin de renforcer son efficacité, il conviendrait que l'aide financière de 150 euros soit articulée avec les aides octroyées par les collectivités territoriales et que ces dernières fassent l'objet d'une forme d'harmonisation au niveau national.
Après ce bref exposé d'analyse des crédits, je vous proposerai d'émettre un avis favorable sur le volet « Numérique et postes » des crédits de la mission économie pour 2019.
J'en viens maintenant aux considérations d'ordre fiscal, qui me permettront d'évoquer avec vous le New Deal mobile conclu entre l'État et les opérateurs au début de cette année, qui vise à accélérer substantiellement le déploiement des infrastructures de téléphonie et d'internet mobiles sur le territoire. Dans ce cadre, l'État renonce à percevoir des ressources financières importantes lors de l'attribution des ressources rares que constituent les fréquences et, en contrepartie, les opérateurs voient leurs obligations de déploiement substantiellement renforcées. Ces derniers se sont ainsi engagés à déployer 5 000 nouveaux sites 4G dans le cadre d'un dispositif de couverture ciblée, sur des zones identifiées au niveau local en lien avec les collectivités, à généraliser la couverture en 4G en équipant tous leurs sites existants et tous les nouveaux sites, et à renforcer la couverture des axes routiers et ferroviaires et, enfin, à généraliser la couverture téléphonique à l'intérieur des bâtiments, à travers la voix sur wifi.
En contrepartie, le Gouvernement s'était engagé à procéder à des simplifications normatives. Le volet législatif de cet engagement a été mis en oeuvre dans la loi dite ELAN et substantiellement renforcé par le Sénat. Le Gouvernement se serait également engagé à mettre en place une fiscalité incitative aux déploiements, en exonérant d'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau (IFER) mobile les déploiements mis en place dans le cadre du New Deal. C'est finalement à travers un amendement du rapporteur général que l'Assemblée nationale devrait exonérer d'IFER mobile les déploiements effectués dans le cadre du dispositif de couverture ciblée, qui concerne les 5 000 nouveaux sites par opérateur. Cette disposition paraît bienvenue car de nature à accompagner l'accélération des déploiements à laquelle les opérateurs se sont engagés.
Il m'a paru intéressant de procéder à un rapide zoom sur l'agence du numérique, qui doit être absorbée par la nouvelle agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) - puisque le Gouvernement n'a pas jugé utile de procéder à une évaluation. Créée en 2015, elle réunit trois services créés entre 2003 et 2013, avec trois missions différentes. Il s'agit d'abord de son coeur de métier, c'est-à-dire la gestion du plan France Très haut débit, ensuite, de la coordination des divers dispositifs de soutien aux jeunes pousses rassemblés derrière la marque « la French Tech », enfin, d'une mission « société numérique » qui oeuvre pour l'inclusion numérique en France.
Globalement, on peut estimer que l'agence a su mener à bien des missions très diverses et particulièrement évolutives. Si les synergies entre les missions sont difficiles à estimer, les méthodes de chaque pôle sont proches : il s'agit de missions à dominante opérationnelle en soutien à des écosystèmes locaux.
J'insisterai ici plus particulièrement sur les actions de l'agence en matière d'inclusion numérique. Le pôle de l'agence en charge de l'inclusion numérique vise à développer la culture numérique de tous les citoyens et leur capacité d'agir dans la société numérique. Malheureusement, il ne dispose pas des moyens de ses ambitions. Constitué de cinq personnes, il est doté de crédits budgétaires de l'ordre de 400 000 euros chaque année. Créé en novembre 2016, ce pôle a d'abord connu une activité relativement modeste. Il est dorénavant en charge du pilotage opérationnel du plan national pour un numérique inclusif présenté en septembre dernier, et qui résulte très largement des constats d'une phase de réflexion organisée depuis décembre 2017 par le pôle.
Ce plan peu ambitieux comprend des mesures disparates et, pour l'essentiel, déjà mises en oeuvre. Deux mesures apparaissent plus significatives et tendent à démontrer que l'État s'intéresse à ce sujet et est prêt à y attribuer des moyens plus substantiels.
Ces deux mesures se situent dans la lignée des actions amorcées par l'Agence du numérique depuis deux ans. Il s'agit, d'abord, de généraliser le « pass numérique », en mobilisant 10 millions d'euros de financements publics. Ce « pass », expérimenté depuis plusieurs années avec l'aide de l'Agence du numérique, est un instrument permettant de financer des actions d'accompagnement et de formation de la population au numérique dans des lieux labellisés. Les 10 millions d'euros en provenance de l'État ont vocation à mobiliser 40 millions d'euros complémentaires.
La deuxième mesure consiste à tenter de structurer les instances de la médiation numérique en région en une dizaine de hubs, en s'appuyant sur cinq millions d'euros mobilisés par la Caisse des dépôts et consignations. Il s'agit d'une énième tentative de structuration du secteur depuis les années 2000. Rappelez-vous les « espaces publics numériques », qui se sont développés à partir de 1999 !
Malgré ces financements supplémentaires, qui démontrent que le Gouvernement fait un effort en matière d'inclusion numérique, je reste dubitative quant à la capacité de ces dispositifs à véritablement sensibiliser au numérique les personnes qui en sont éloignées et ne ressentent pas la nécessité de s'y intéresser.
S'agissant de l'intégration de l'agence du numérique à l'ANCT, je rappelle le schéma retenu : les pôles en charge de la gestion du plan France Très haut débit et de l'inclusion numérique seraient transférés, avec le personnel, à l'ANCT. Seul le pôle « French Tech » resterait à Bercy. La plus-value à attendre de cette intégration reste à démontrer. On peut imaginer que l'ANCT pourra donner plus de visibilité et permettra d'affecter davantage de moyens humains au plan France Très haut débit et à l'inclusion numérique.
Néanmoins, j'identifie plusieurs points de vigilance : l'agence du numérique disposait de très petites équipes (35 personnes en tout), ce qui permettait une certaine agilité et une grande réactivité - il conviendra de préserver ces qualités à l'avenir ; une cotutelle devra être organisée entre le ministère de la cohésion des territoires et les ministères économiques et financiers ; il conviendra également d'apporter le plus grand soin à la mise en oeuvre de l'intégration des équipes de l'agence à l'ANCT, afin de ne pas ralentir les actions en cours concernant le déploiement des infrastructures numériques et l'inclusion numérique. Deux écueils sont à éviter : les pertes de connaissances et la démobilisation des agents, qui seraient fort dommageables au vu de l'importance du sujet.