Intervention de Sylvie Vermeillet

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 13 novembre 2018 à 14h35
Proposition de loi contre la désertification bancaire dans les territoires ruraux — Examen du rapport

Photo de Sylvie VermeilletSylvie Vermeillet, rapporteure :

Au Sénat, nous sommes particulièrement familiers du phénomène de dévitalisation progressive de nos territoires. Qu'ils soient ruraux ou urbains, nous sommes tous confrontés à des difficultés similaires tenant à la disparition de commerces de proximité au profit des centres périphériques de consommation et au commerce en ligne. Pour autant, nous sommes convaincus qu'il n'y a pas de fatalité et qu'une action résolue et conjointe permettra d'enrayer les problèmes.

Tel était d'ailleurs l'objet de la proposition de loi portant Pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs adoptée par le Sénat en juin dernier, sur l'initiative de nos collègues Martial Bourquin et Rémy Pointereau. Notre commission s'était alors prononcée sur le rapport pour avis de notre collègue Arnaud Bazin. Nos travaux de commission relatifs à l'essor du commerce en ligne ainsi qu'aux nouveaux moyens de paiement concernent aussi directement ces thématiques.

C'est d'ailleurs sous l'angle de l'accès aux espèces que la proposition de loi visant à lutter contre la désertification bancaire dans les territoires ruraux de notre collègue Éric Gold aborde la question.

Faisant le constat d'un accès parfois difficile aux espèces dans les territoires ruraux, ce texte souligne les conséquences en chaîne qui pourraient en résulter pour l'activité commerciale locale. En réponse, deux solutions complémentaires sont proposées dans chacun des deux articles qui la composent, le troisième étant classiquement dévolu au gage relatif au tabac. L'article 1er prévoit la création d'un fonds dédié au maintien et à la création de distributeurs automatiques de billets dans les communes rurales. L'article 2 étend la mission d'aménagement du territoire confiée à La Poste, en prévoyant que chacun des 17 000 points de contact sur le territoire doit comprendre un distributeur automatique de billets.

Cette proposition de loi se distingue donc par une double singularité : géographique, d'une part, puisque seuls les territoires ruraux sont visés ; thématique, d'autre part, puisque l'accès aux espèces est envisagé par le seul recours aux distributeurs automatiques de billets. J'y vois à la fois un atout et une limite.

Un atout, car la proposition de loi se concentre sur des cas précis confrontés à un cumul de difficultés : des territoires mal couverts par les réseaux de télécommunication, dans l'incapacité de faire fonctionner des terminaux de paiement par cartes bancaires, souvent géographiquement enclavés et délaissés par les établissements bancaires.

Un inconvénient, car, pour des situations précises, est envisagée une réponse globale, qui me paraît peu adaptée à deux égards.

D'abord, le fonds dont il est proposé la création prévoit d'apporter une réponse nationale, qui s'accompagnera nécessairement d'une rigidité. Or c'est une réponse immédiate, souple et laissant la mainmise à l'initiative locale qui est nécessaire. Je relève que l'essentiel des modalités du fonds est renvoyé à un décret en Conseil d'État, ce qui n'est pas la meilleure méthode.

Ensuite, le fonds comme la présence obligatoire d'un distributeur automatique de billets dans un point de contact sous-tendent une même évolution, à savoir la mise en oeuvre d'un filet de sécurité public pour l'accès aux espèces. À l'heure où les établissements bancaires s'interrogent sur le redimensionnement de leur réseau - l'investissement est de 90 000 euros et les frais liés au fonctionnement et à l'entretien d'un distributeur automatique de billets s'élèvent à 14 000 euros par an, je crains un effet d'engrenage. En voulant traiter des défaillances ponctuelles, nous pourrions déplacer la charge sur les établissements bancaires. Or je ne pense pas que telle soit notre volonté. C'est pourquoi il ne m'a pas paru opportun de préciser le champ du fonds.

Concernant les ressources prévues pour alimenter le fonds, l'affectation d'une fraction du produit de la taxe pour le financement du Fonds de soutien aux collectivités territoriales ayant souscrit des emprunts à risque n'est pas possible, car il s'agirait d'un changement d'affectation : en vertu de l'article 36 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), seule une loi de finances peut y procéder. D'ailleurs, je rappelle que ce fonds a été créé pour résorber les emprunts toxiques.

Je rejoins toutefois l'auteur de cette proposition de loi, les défaillances ne sont pas acceptables et un égal accès aux espèces doit être assuré pour tous. Pour ce faire, il me semble préférable de recourir au Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac), qui doit jouer un rôle dans l'accompagnement des commerçants volontaires pour accueillir en leur sein un distributeur automatique de billets. Pour certains territoires non couverts par les réseaux de communication, c'est l'unique recours envisageable. Un tel soutien du Fisac est possible aux termes des missions que lui confère le code de commerce ; je vous proposerai un amendement pour le préciser expressément. La semaine dernière, notre commission a adopté un amendement visant à conforter l'existence de ce fonds, menacé par le projet de loi de finances pour 2019 ; cet amendement me paraît plus que jamais indispensable.

Concernant l'extension de la mission d'aménagement du territoire de La Poste, cette évolution ne me paraît pas souhaitable. Je ne suis pas certaine que tous les maires se réjouissent à l'idée d'installer un distributeur automatique de billets dans leur agence postale communale. De surcroît, le jeu de la libre concurrence pourrait paradoxalement conduire La Poste à héberger des distributeurs automatiques de billets d'un établissement bancaire concurrent de La Banque postale ! Je vous proposerai donc de supprimer l'article 2.

Lors des auditions que j'ai conduites, il m'a été indiqué qu'un groupe de travail sur l'accessibilité aux espèces avait récemment été mandaté par la Banque de France : celui-ci doit recenser l'offre d'accès aux espèces, tous canaux confondus, et définir les scénarios d'organisation de la distribution permettant de garantir l'accessibilité des espèces. Ce travail est complexe, compte tenu de la multiplicité des modes d'accès aux espèces. Aux côtés des distributeurs automatiques de billets des établissements bancaires il y a également des distributeurs dans des commerces (les 4 000 points relais), les services postaux ainsi que, dès la fin d'année sans doute, le « cashback ».

C'est à partir de ces différents outils que le groupe de travail doit remettre une cartographie en janvier prochain, qui mettra en évidence les situations de défaillance. Il sera alors indispensable de définir, entre acteurs publics et privés locaux, une solution à partir de la palette d'outils que j'ai mentionnée. J'ai rencontré Philippe Wahl et Rémy Weber, présidents de La Poste et de La Banque postale, qui m'ont assuré de leur entière coopération en la matière. Je vous mets en garde sur l'effet pervers à constituer un fonds pour maintenir les distributeurs automatiques de billets. Il ne faudrait pas que les banques se mettent à exiger le recours à ce fonds pour rester sur le territoire.

Enfin, je voudrais mentionner quelques éléments chiffrés. En France, il existe 56 000 distributeurs automatiques de billets dans 14 400 communes. Depuis 2011, la baisse du nombre de retraits en espèces, de 6 %, est supérieure à la baisse du nombre de distributeurs automatiques de billets, de 4,1 %, tandis que les paiements par carte bancaire ont augmenté de 43 %, s'élevant à 10,5 milliards d'euros en 2017. Le plafond de paiements en espèces est passé de 3 000 euros à 1 000 euros. Dans 17 000 points de contact, 6 305 agences postales communales peuvent délivrer jusqu'à 350 euros en espèces par semaine et 2 746 relais postes peuvent délivrer jusqu'à 150 euros. Le paiement par carte bancaire est aujourd'hui possible à partir d'un euro. Le paiement sans contact a été multiplié par cinq entre 2015 et 2017 et atteint 1,2 milliard d'euros. L'installation d'un distributeur automatique de billets n'est pas seulement liée à son coût ; les questions de lutte contre la fraude et le blanchiment, la sécurité des agents et du transport de fonds ainsi que le contrôle des billets sont soumis à des règles exigeantes.

Dans ces conditions, je vous propose d'adopter les amendements que je vous présenterai et d'adopter la proposition de loi ainsi réécrite.

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