Intervention de Vincent Eblé

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 14 novembre 2018 à 8h35
Projet de loi de finances pour 2019 — Mission « culture » et article 74 bis et communication sur le contrôle budgétaire sur la gestion déconcentrée des crédits du ministère - examen du rapport spécial

Photo de Vincent EbléVincent Eblé, président, rapporteur spécial (mission « Culture ») :

Je présenterai seul le rapport spécial, mon collègue Julien Bargeton étant excusé.

Le niveau des crédits de la mission « Culture » sera relativement stable en 2019. Le projet de loi de finances prévoit 3,1 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 2,9 milliards d'euros en crédits de paiement répartis entre les trois programmes de la mission.

Nous avions mis en évidence l'année dernière que la barre symbolique du « 1 % Culture » n'avait pas été atteinte dans le projet de loi de finances pour 2018 malgré des moyens en hausse. C'est à nouveau le cas en 2019, même si nous évoluons en tangentiel vers ce montant : le niveau atteint par les crédits budgétaires en faveur de la culture s'élève à 0,98 % du budget de l'État.

Les crédits de la mission « Culture » ne représentent qu'une partie des financements publics en faveur de la culture : cette année, le ministère de la culture a choisi de communiquer sur le montant total atteint par l'ensemble des modes de financement public en faveur du secteur culturel, qu'il s'agisse de crédits budgétaires ou non. L'ensemble de ces moyens atteint près de 10 milliards d'euros en 2019. C'est un effort bien plus considérable que le montant du budget, mais il cache des situations contrastées.

Parmi les points positifs, on peut souligner le niveau élevé de la fréquentation des établissements culturels en 2018, susceptible de favoriser la dynamique des ressources propres de ces établissements. Autre motif de satisfaction, le loto du patrimoine, porté par la personnalité de Stéphane Bern, a contribué à une prise de conscience de la nécessité de préserver le patrimoine monumental dans sa diversité ; les effets d'image ne sont jamais à négliger.

Mais d'un autre côté, les nombreux projets immobiliers du ministère de la culture et de ses opérateurs ne sont pas tous financés. Quant aux opérateurs du ministère, ils doivent faire face à des dotations stables, ce qui pourrait s'avérer problématique sur le long terme face à l'évolution mécanique de leurs charges.

Le budget de la culture pour l'année 2019 témoigne de la continuité des orientations de la politique culturelle fixées l'année dernière.

L'éducation artistique et culturelle (EAC) et plus généralement l'accès à la culture pour tous demeurent l'objectif prioritaire des politiques conduites par le ministère de la culture.

Environ 110 millions d'euros y sont consacrés, dans le cadre d'un plan « 100 % EAC » qui vise à faire bénéficier l'ensemble des jeunes en âge d'être scolarisé d'au moins une action d'éducation artistique et culturelle subventionnée par le ministère de la culture.

Autre aspect de la politique en faveur de l'éducation artistique et culturelle, le « Pass culture » trouve dans ce projet de loi de finances une véritable traduction budgétaire. Les 5 millions d'euros votés en 2018 avaient permis de réaliser l'outil informatique de pilotage du Pass. Le dispositif entre désormais dans une phase d'expérimentation, et non plus de test, pour un budget de 34 millions d'euros. L'expérimentation va concerner 10 000 jeunes, sélectionnés afin de garantir la représentativité de l'échantillon, dans cinq départements : le Finistère, la Guyane, l'Hérault, le Bas-Rhin et la Seine-Saint-Denis. Le dispositif devrait par la suite monter progressivement en puissance pour toucher jusqu'à 200 000 jeunes de 18 ans.

Selon les estimations du Gouvernement, le Pass pourrait concerner en régime plein jusqu'à 820 000 personnes. Cette estimation porte le coût théorique total du dispositif à plus de 400 millions d'euros chaque année - avec 34 millions d'euros pour 2019, nous en sommes encore loin. La question du financement à l'horizon 2022 n'est pas encore tranchée. Les premières expérimentations donneront des précisions utiles sur les pratiques culturelles ou les taux d'utilisation par exemple, à partir desquelles un scénario réaliste de financement devra être proposé. Nous veillerons par ailleurs à ce que le coût du Pass culture ne conduise pas à une diminution des financements consacrés aux nombreuses autres actions d'éducation artistique et culturelle. La question ne se résume pas à la consommation culturelle.

Autre motif de satisfaction : le montant des crédits dédiés à l'entretien et à la restauration des monuments historiques, hors grands projets, est conforté en 2019. Ils s'élèveront à 297 millions d'euros en crédits de paiement, en augmentation de 4 millions d'euros par rapport à 2018.

C'est d'abord la conséquence de la mise en oeuvre du fonds partenarial et incitatif en faveur des collectivités à faibles ressources financières créé en 2018, afin d'aider celles-ci à entretenir leurs monuments historiques.

Deux grands projets de restauration de monuments historiques expliquent la hausse des autorisations d'engagement du programme en 2019 : la rénovation du Grand Palais et celle du château de Villers-Cotterêts.

La rénovation du Grand Palais a fait récemment l'objet d'un débat sur la maîtrise des coûts et l'opportunité de ce chantier. Nous avons essayé de montrer dans le rapport que malgré un montant incontestablement élevé, ce projet présente de sérieuses garanties, sans qu'il existe par ailleurs de véritable alternative à la rénovation du site telle qu'elle est proposée par la Réunion des musées nationaux-Grand Palais (Rmn-GP). Le bâtiment pourrait menacer ruine...

Le Grand Palais n'a pas connu depuis sa construction en 1900 de véritable rénovation d'ampleur, à l'exception des travaux réalisés sur la verrière au début des années 2000. Le projet actuel vise à remettre le bâtiment aux normes techniques, d'importantes surfaces n'étant actuellement pas ouvertes au public en raison des carences en termes de normes de sécurité - notamment les galeries supérieures de la grande nef, qui couvrent plusieurs milliers de mètres carrés. Il permettra de mieux accueillir le public en créant une zone logistique sous le Grand Palais pour permettre l'installation des événements qui s'y déroulent. La jauge d'accueil sera doublée grâce à la création de nouvelles issues de secours, car les 13 000 mètres carrés de la nef ne peuvent accueillir actuellement que 5 000 visiteurs à cause de l'insuffisance de celles-ci. Enfin, ce projet permettra d'élargir l'offre culturelle, en réunissant le Grand Palais et le Palais de la découverte, qui disposeront à l'avenir d'une entrée commune.

Le chiffrage du projet s'élève à 466 millions d'euros, dont 137 millions d'euros au titre de la restauration du monument historique ; il est constant depuis la présentation du projet actuel. Le budget se décompose ainsi : 150 millions d'euros d'emprunt, 25 millions d'euros de mécénat de Chanel, 8 millions d'euros de partenariats d'Universcience, 160 millions d'euros au titre des investissements d'avenir et, enfin, 118 millions d'euros de crédits budgétaires. Ces crédits sont répartis sur neuf ans, ce qui permet de ne pas remettre en cause l'effort consacré par la mission « Culture » à l'entretien et à la restauration des autres monuments historiques.

D'importantes contraintes de calendrier pèsent sur le projet, qui doit être achevé pour accueillir les Jeux olympiques de 2024. Le Grand Palais devra être fermé au public à compter de décembre 2020, tandis qu'un Grand Palais éphémère sera implanté sur le Champ de mars. Ce projet a été réalisé en partenariat avec Paris 2024, pour en partager les coûts. La structure sera donc reprise en 2023 par le comité d'organisation. Elle aura ainsi un double usage : le remplacement du monument pendant les travaux puis l'accueil de manifestations olympiques.

Les terrains aux abords du Grand Palais seront cédés par la Ville de Paris à l'État, qui en affectera l'utilisation à la Réunion des musées nationaux-Grand Palais (Rmn-GP). À cette fin, deux amendements ont été présentés par le Gouvernement à l'Assemblée nationale lors de l'examen du présent projet de loi de finances. Le premier crée un article 74 bis rattaché à la mission et autorise cette cession. Le second tire les conséquences de l'opération sur le budget de la mission « Culture ». Nous sommes favorables à cette opération, c'est pourquoi je donnerai un avis favorable à l'adoption de l'article 74 bis.

Autre grand projet : la rénovation du Château de Villers-Cotterêts, le Président de la République l'ayant choisi pour héberger un lieu dédié à la francophonie. Restauré et revalorisé, il aura vocation à devenir à la fois un site patrimonial attractif ouvert à la visite et un laboratoire de rencontre, d'expression et d'expérimentation autour de la francophonie et de l'avenir de la langue française.

Le coût de la première tranche du projet est évalué à 110 millions d'euros, dont 55 millions d'euros de crédits budgétaires, 30 millions d'euros au titre du grand emprunt et 25 millions d'euros de mécénat, avec un objectif de réalisation pour le printemps 2022. Le monument a été mis à la disposition du Centre des monuments nationaux (CMN) pour la mise en oeuvre du projet.

Le maintien du niveau des crédits de la mission en faveur de l'entretien et de la restauration des monuments historiques ne doit pas occulter le fait que de nombreux projets restent à ce jour en attente d'un financement, comme le schéma directeur du centre Pompidou, l'extension du site des archives à Pierrefitte, la rénovation des toitures du Mont Saint-Michel ou encore de la façade du Panthéon.

Dans ce contexte, le loto du patrimoine qui s'est tenu pour la première fois en septembre dernier, dans le prolongement de la mission confiée par le Président de la République à Stéphane Bern, constitue un outil utile de sensibilisation du public à la nécessité de préserver et sauvegarder le patrimoine.

Nous souhaitons donc que le loto du patrimoine soit pérennisé, de même que l'affectation des recettes fiscales afférentes, conformément à la solution trouvée le 25 octobre 2018 par les ministres de l'action et des comptes publics et de la culture consistant à accorder 21 millions d'euros supplémentaires en faveur du patrimoine pris sur les recettes fiscales du loto. Il est important d'obtenir cette pérennisation quel que soit le futur statut de la Française des Jeux.

Les crédits de paiement du programme « Création » seront, en 2019, d'un niveau globalement équivalent à celui de 2018, qui permet de poursuivre l'aide au réseau de structures labellisées. Les financements en matière de spectacle vivant sont particulièrement fléchés en raison des nombreuses labellisations et conventionnements dans ce secteur.

Le soutien de l'État à la création se conjugue avec les aides et subventions apportées par les collectivités territoriales. Il représente ainsi environ 30 % de l'aide totale apportée par les collectivités publiques.

Deux projets immobiliers d'envergure sont également portés par le programme : la Cité du théâtre aux ateliers Berthier, à Paris, et la relocalisation du Centre national des arts plastiques (CNAP) à Pantin.

Dans le cadre des travaux du comité interministériel Action publique 2022, le ministère de la culture a décidé de renforcer la responsabilisation des établissements publics administratifs possédant la taille critique nécessaire sur la gestion de leurs emplois et de leur masse salariale. Trois établissements seront concernés par cette réforme en 2019 : le Centre des monuments nationaux, le Château de Versailles et le musée d'Orsay.

Des amendements présentés par le Gouvernement ont été adoptés lors de la discussion, en première lecture, du projet de loi de finances à l'Assemblée nationale pour réaliser ce transfert.

En conclusion, compte tenu de la continuité des grandes orientations de la politique culturelle et du maintien, pour l'essentiel, des financements portés par la mission « Culture », nous vous invitons à adopter les crédits de la mission et l'article 74 bis.

J'en arrive au deuxième volet de ma présentation. Dans le cadre du programme de contrôle de la commission des finances, nous nous sommes intéressés à la gestion déconcentrée des crédits du ministère de la culture et aux directions régionales des affaires culturelles (DRAC). 38 % du montant total des crédits de la mission, hors dépenses de personnel, sont déconcentrés. Cette déconcentration est renforcée en 2019, conformément à la volonté du Gouvernement.

Dans ce contexte, il nous a semblé utile d'étudier l'organisation et les moyens des treize DRAC de France métropolitaine et des cinq directions des affaires culturelles en outre-mer, afin d'évaluer si celles-ci sont en mesure de mettre en oeuvre les politiques publiques sur le territoire régional.

Comme vous le savez, une majorité des DRAC de France métropolitaine a dû faire face à une réorganisation à la suite de la fusion des régions issue de la réforme territoriale de 2014. Ces fusions ont constitué pour les administrations territoriales un véritable défi, qu'elles semblent en passe de relever.

Le principal défi pour les DRAC fusionnées a consisté à absorber une réorganisation des services guidée par la volonté du Gouvernement de ne pas recréer des services « miroirs » dans chacune des anciennes capitales régionales supprimées. C'est la raison de l'organisation retenue en pôles multi-sites, qui correspondent aux grands axes de la politique culturelle.

La principale difficulté soulevée par cette organisation était de nature managériale : les directeurs de pôles présents sur des sites dits distants n'étaient pas pour autant chargés de l'encadrement des agents relevant des autres pôles. D'où les critiques formulées par le rapport inter-inspections sur les missions, l'organisation et les moyens déconcentrés du ministère de la culture, qui recommandait une révision de l'organisation des DRAC avec la nomination d'un directeur adjoint couvrant la totalité des domaines d'intervention des DRAC dans chaque site distant.

De notre point de vue, la nouvelle organisation a commencé à produire des effets positifs et les agents ne souhaitent plus un retour en arrière - même si certains ont changé d'avis. Certes, l'accompagnement des DRAC a été insuffisant, comme l'ont reconnu tous les agents que nous avons rencontrés. Malgré le temps réduit pour procéder aux adaptations nécessaires, il y a eu peu de conséquences sur le niveau de consommation des crédits, un indicateur utile pour notre commission.

La réorganisation a cependant été source de pertes de compétences et de ressources humaines selon les personnels d'encadrement rencontrés. De nombreux agents ont vécu la réorganisation comme un déclassement dans les sites maintenus dans les anciennes capitales de région. Pour autant, l'ensemble de ces personnels a eu à coeur de minimiser les effets des fusions sur l'action des DRAC et sur la consommation des crédits déconcentrés.

Néanmoins, des effets positifs ont également été relevés. La taille des nouvelles directions régionales a par exemple permis en Nouvelle Aquitaine de créer un poste de conseiller « architecture » qui n'existait dans aucune des trois anciennes DRAC fusionnées. Par ailleurs, un véritable travail de mise en réseau des équipes s'est développé pour « faire région », selon les termes d'un directeur régional des affaires culturelles que nous avons rencontré.

Les agents ayant participé à ces fusions ont eu le sentiment que le rapport inter-inspections n'avait relevé que les difficultés nées de la réforme et non les efforts et les progrès réalisés, qui ont sans doute tardé à produire leurs effets. Cela a provoqué une certaine frustration.

Quelques difficultés persistent néanmoins. La première inquiétude exprimée par les personnes des directions régionales concerne les déplacements, nombreux et parfois longs, que doivent effectuer ceux-ci pour exercer leur mission. Les agents des DRAC ont exprimé la crainte d'une diminution des montants accordés pour les déplacements. Ces dépenses sont en effet mutualisées et gérées directement par les secrétariats généraux pour les affaires régionales (SGAR) qui gèrent les directions de façon homogène sous l'autorité des préfets de région, alors que certains services restent départementalisés et n'ont donc pas les mêmes besoins de mobilité que les agents des DRAC.

Dans l'ensemble, une opération de regroupements de régions comme celle qui a été décidée en 2015 n'a de sens que si elle permet une amélioration de la productivité des directions régionales. Le détail du fonctionnement des services et de la gestion des crédits ne met pas en évidence une réalisation des gains escomptés : il n'a pas été dégagé de moyens supplémentaires, aucun local affecté au travail des DRAC n'a été cédé ou rendu et le niveau des emplois est resté équivalent. Beaucoup d'énergie ayant été consacrée à la réalisation de ces fusions, il faut donc se convaincre que les bénéfices de ces réorganisations se manifesteront à long terme. En somme, ces fusions ont d'abord répondu à une exigence de réformes administratives correspondant à l'état de l'opinion.

La gestion des crédits par l'ensemble des DRAC, et non seulement celles qui ont été fusionnées, appelle quelques remarques.

Les agents rencontrés ont exprimé le besoin d'une responsabilisation renforcée des gestionnaires en région. Le constat d'un interventionnisme trop poussé des directions générales métiers a été formulé à de nombreuses reprises par les agents des directions régionales et admis par les responsables d'administration centrale.

La difficulté est bien souvent celle de la coexistence d'instructions formulées par différents acteurs : secrétariat général du ministère, directions métiers et DRAC elles-mêmes. La frontière entre les domaines d'intervention de chacun de ces niveaux de pilotage de l'action territoriale du ministère de la culture apparaît floue. La gestion du programme « Création », en particulier, a été décrite comme très contrainte et faisant l'objet d'un interventionnisme marqué de l'administration centrale. Certains crédits dits déconcentrés, comme ceux des monuments historiques, le sont réellement et les enveloppes sont réparties au niveau de la région ; mais pour la mission « Création », les montants sont en quelque sorte pré-affectés depuis Paris. Dans ces conditions, est-il utile que les crédits transitent par la région ?

Des initiatives sont prises pour répondre à ces critiques et renforcer la liberté de gestion des DRAC. C'est le cas avec l'expérimentation en Bretagne et Nouvelle-Aquitaine d'une enveloppe mutualisée entre les programmes « Création » et « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », dont la fongibilité est évidente.

Pour conclure, je formulerai une proposition qui permettrait d'améliorer le pilotage par les DRAC de l'intervention de l'État en matière culturelle sur le territoire régional : créer un instrument de suivi cartographié de l'ensemble des moyens consacrés au secteur de la culture au niveau de chaque territoire, non seulement d'un point de vue budgétaire, mais également au travers les dépenses fiscales, toujours importantes en matière culturelle - aides à l'entretien des monuments historiques ou incitations fiscales au mécénat.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion