Intervention de Bernard Cazeau

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 14 novembre 2018 à 9h30
Projet de loi de finances pour 2019 — Mission « action extérieure de l'etat » - programme 105 « action de la france en europe et dans le monde » - examen du rapport pour avis

Photo de Bernard CazeauBernard Cazeau, co-rapporteur :

Monsieur le Président, chers collègues, la sécurisation est l'un des grands axes prioritaires du ministère. En son sein, la coopération de défense et de sécurité, politique au fort effet de levier constitue notre « premier bouclier au loin », illustration parfaite du continuum entre sécurité intérieure et sécurité extérieure.

La coopération de sécurité et de défense est une dépense « pilotable », par opposition aux dépenses « contraintes » que sont les contributions aux organisations internationales et les dépenses de personnel. Ses crédits sont passés de 106 à 63 millions d'euros de 2007 à 2016. Elle a été la variable d'ajustement du programme 105. Nous l'avons regretté et dénoncé. En 2017, enfin, cette politique au fort effet de levier a vu enfin ses crédits augmenter. En 2018, les moyens se sont stabilisés et augmentent en 2019 pour atteindre 104 millions d'euros, retrouvant enfin quasiment le niveau de 2007. Il a fallu 10 ans !

Cette coopération interministérielle est devenue très réactive, loin des actions figées. Elle est orientée par un comité d'orientation stratégique qui peut infléchir à tout moment, en cours d'année, lorsque la situation internationale l'exige, ses priorités géographiques et thématiques. Elle fait preuve de la réactivité attendue, comme en témoigne la liste de ses priorités, décidées au plus haut niveau, qui comprend :

- l'appui à la force conjointe du G5 Sahel qui s'est vu dotée d'un poste de commandement,

- l'anticipation de la sortie de crise au Levant avec le Liban comme point focal,

- et enfin, la dernière priorité est la participation aux feuilles de routes migratoires. Cette action va se renforcer en 2019.

En outre, en 2018 ont été créées trois nouvelles écoles nationales à vocation régionale (ENVR) dans les domaines de la police judiciaire à Djibouti, de la cybersécurité à Dakar et des forces d'intervention à Abidjan. C'est une académie internationale de lutte contre le terrorisme qui a ainsi été créée pour répondre à une demande croissante des partenaires au Sahel comme dans le golfe de Guinée. De même un collège de défense G5 Sahel a été créé à Nouakchott en Mauritanie, prouvant que la coopération structurelle sait s'adapter aux besoins.

J'ai trois recommandations dans ce domaine. Premièrement, il faut veiller à ce que la direction de la coopération de sécurité et de défense soit en mesure de faire face à la montée en puissance de ces écoles. Il ne suffit pas de les créer, il faut pouvoir les gérer.

Deuxièmement, au titre de la réforme des réseaux à l'étranger, la direction devrait perdre 5 ETP en 2019 et 15 de plus de 2020 à 2022. On peut regretter que l'objectif ne soit pas exprimé en masse salariale mais en ETP. La direction aurait pu choisir de remplacer des colonels par des militaires peut-être moins gradés sur certains postes, réduisant ainsi sa masse salariale sans supprimer de nouveaux postes. Le réseau de coopérants français, sans équivalent chez nos alliés, doit être renforcé et nous devons veiller à la préservation des moyens de cet outil, souple, réactif, réorientable, qui a été malheureusement laminé ces dernières années.

Enfin, ma troisième recommandation est de demander la remontée du financement de la coopération structurelle par les crédits de l'aide publique au développement (programme 209). Pourquoi une telle demande ? La coopération structurelle renforce les capacités des États partenaires dans les domaines de la sécurité intérieure et de la protection civile, pour près de 17 millions d'euros, pris sur le programme 105. Ces dépenses sont éligibles à l'aide publique au développement, les crédits prévus pour la coopération structurelle dans ce programme, c'est-à-dire le Fonds de solidarité pour les projets innovants, doivent être augmentés à due concurrence pour atteindre 19,5 millions (au lieu de 2,5 millions actuellement). La loi d'orientation et de programmation de l'aide publique au développement doit prévoir cette évolution et ainsi permettre d'assurer le financement du continuum entre la sécurité et le développement.

Enfin, j'en viens à la sécurité des implantations diplomatiques, consulaires et culturelles. En 2019, les crédits budgétaires diminuent nettement, passant de 75 à 44 millions d'euros. Cette réduction de crédits est compensée par une avance de 100 millions d'euros sur deux ans. Ainsi, le plan de sécurisation sera financé par une avance du compte d'affectation spéciale « gestion du patrimoine immobilier de l'État » 723, qui est géré par le ministère de l'Action et des Comptes publics.

Ce mode de financement pose des questions sur le niveau de dépenses annoncé. Il est prévu de consacrer 100 millions d'euros sur les deux prochaines années aux dépenses de sécurisation alors qu'en 2017 et en 2018 une sous-exécution d'environ 10 millions d'euros a été observée. Il serait souhaitable qu'un programme d'investissement soit rapidement défini afin que les crédits prévus soient utilisés de façon judicieuse.

Cette réforme ne fonctionnera que si la charte de gestion du compte d'affectation spéciale est modifiée. Les dépenses éligibles doivent être étendues, notamment aux systèmes de vidéo-surveillance, outil essentiel de la mise en sécurité des emprises à l'étranger (actuellement non éligible).

Enfin, nous devrons être attentifs aux modalités de remboursement de l'avance. Le remboursement sera financé par la vente des biens immobiliers situés à l'étranger du ministère. Il doit s'échelonner de 2021 à 2025.

Or, la question se pose dans la mesure où le produit des cessions en 2017 et en 2018 était de l'ordre de 30 millions d'euros ce qui correspond d'ailleurs aux prévisions pour 2019. Dans ce contexte, le remboursement de la dépense prendrait plus de trois ans et grèverait totalement la capacité du ministère des affaires étrangères de financer par les produits de cessions d'autres investissements sur cette durée.

Le mécanisme d'avance mis en place ne doit en aucun cas donner au ministère de l'action et des comptes publics la tentation de s'immiscer dans la programmation des cessions du Quai d'Orsay. Celui-ci ne doit pas se trouver contraint de céder certaines emprises à l'étranger pour rembourser l'avance du CAS. En effet, la politique d'implantation à l'étranger de l'État ne doit en aucun cas dépendre d'abord de considérations économiques.

Les enjeux d'influence et de rayonnement ne doivent pas être relégués au second rang, ils doivent au contraire rester l'élément central des décisions prises dans ce domaine.

Mes chers collègues, sous réserves de ces remarques, je vous propose d'adopter les crédits du programme 105.

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