Intervention de Rachida Dati

Réunion du 18 octobre 2007 à 10h00
Contrôleur général des lieux de privation de liberté — Adoption définitive d'un projet de loi en deuxième lecture

Rachida Dati, garde des sceaux :

Vous allez permettre à notre pays de mettre en oeuvre un contrôle indépendant des lieux de privation de liberté avant la ratification du protocole facultatif à la convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Si cette grande idée a pu devenir un projet de loi, si le contrôleur général des lieux de privation de liberté va bientôt devenir une réalité, c'est aussi grâce à la volonté du Gouvernement de donner une orientation claire à la politique pénale dans notre pays.

Nous voulons affronter le défi de la délinquance. Nous nous donnons les moyens de lutter contre la récidive. C'est cette même démarche qui nous conduit à poser un regard franc sur nos lieux de privation de liberté.

La légitimité de la politique pénale du Gouvernement, qu'approuve une majorité de Français, repose sur une exigence impérieuse : le strict respect de la personne humaine dans les lieux de détention.

En ce sens, le projet de loi qui nous réunit aujourd'hui annonce le futur projet de loi pénitentiaire qui sera présenté dans les prochaines semaines.

Ce projet de loi dépasse, vous le savez, les frontières du monde carcéral. Le contrôleur, dans l'exercice de ses missions, sera conduit à visiter tous les lieux d'enfermement, y compris les secteurs psychiatriques des hôpitaux. Les hommes et les femmes privés de liberté, s'ils n'ont pas tous la même histoire, gardent pourtant les mêmes droits fondamentaux. La République se doit de les respecter.

Je veux sans plus attendre adresser mes remerciements sincères à la commission des lois, tout particulièrement à son président, M. Jean-Jacques Hyest, qui est aussi le rapporteur de ce projet de loi. Il m'a accompagnée en Grande-Bretagne, afin d'y rencontrer Mme Ann Owers, inspectrice en chef des prisons britanniques. Depuis longtemps sensible à la question des droits de l'homme dans les lieux d'enfermement, il a été un rapporteur exigeant, pugnace et clairvoyant.

Je tiens aussi à vous remercier, mesdames, messieurs les sénateurs, de votre forte implication dans l'élaboration de ce projet de loi. Le programme de la session extraordinaire était dense.

La première lecture de ce projet de loi devant la Haute Assemblée a donné lieu à des débats dont je tiens à souligner la grande richesse.

La qualité de votre travail et de votre réflexion se mesure aux vingt-six amendements que vous avez apportés au texte initial. Vos contributions, auxquelles sont venus s'ajouter vingt-sept amendements de l'Assemblée nationale, en ont conforté les dispositions novatrices. Elles les ont enrichies, complétées, clarifiées.

Grâce à vous, le contrôle général des lieux de privation de liberté a pris une nouvelle dimension : le contrôleur général disposera de plus d'indépendance, ses pouvoirs seront élargis, sa mission gagnera en cohérence. Je vais développer ces trois points successivement.

L'indépendance du contrôleur général est renforcée, car vous avez prévu que ses fonctions « sont incompatibles avec tout autre emploi public, toute activité professionnelle et tout mandat électif ».

Dans le même esprit, et conformément aux dispositions du protocole facultatif des Nations unies, vous avez également garanti au contrôleur général des lieux de privation de liberté une immunité pénale.

Ces deux dispositions le mettent ainsi à l'abri des pressions qui pourraient s'exercer sur lui.

Vous avez étendu cette exigence d'indépendance aux contrôleurs qui le seconderont dans ses missions.

Ces hommes et ces femmes ne recevront leurs instructions que du contrôleur général. Grâce à eux, il pourra s'appuyer sur une grande variété de talents et de compétences.

Enfin, vous avez souhaité donner au contrôleur général une garantie politique d'indépendance, en le faisant nommer « par décret du Président de la République, après avis de la commission compétente de chaque assemblée ».

L'Assemblée nationale a approuvé ce dispositif, en reprenant dans ses amendements les termes du protocole facultatif : le contrôleur sera désigné « en raison de ses compétences et connaissances professionnelles ».

L'homme ou la femme qui exercera la fonction de contrôleur général devra être ainsi une personnalité incontestée.

Je me réjouis de votre volonté de renforcer l'indépendance du contrôleur général. Comme je vous l'ai dit lors de la première lecture, cette indépendance est pour moi la clef du succès de sa mission.

Le contrôleur général des lieux de privation de liberté aura de plus grands pouvoirs : le travail parlementaire a permis des avancées importantes sur les modalités de son action.

Ainsi, vous avez souhaité lui donner la possibilité d'effectuer des visites inopinées.

Je sais que ce choix ne représente pas, pour vous, une motion de défiance à l'égard des personnels en charge des lieux d'enfermement. Vous avez conscience, comme moi, de la difficulté de leurs missions et du dévouement avec lequel ils s'en acquittent.

Permettez-moi ici de leur rendre une nouvelle fois hommage, et de les assurer que, loin d'avoir à redouter les interventions du contrôleur général, ils ont au contraire tout à y gagner.

Ces visites inopinées renforcent la transparence du contrôle. Cette capacité à entrer où il le veut, et quand il le veut, donnera tout leur poids aux recommandations du contrôleur général.

Les autorités responsables du lieu de privation de liberté devront justifier le motif qui les contraint de reporter la venue du contrôleur général. L'Assemblée nationale a ajouté que ces motifs devraient être « graves et impérieux ».

Le contrôleur général aura aussi la possibilité d'obtenir les informations qui lui seront nécessaires. Les autorités responsables des lieux qu'il aura visités devront répondre à ses observations. Il ne se verra opposer aucun verrou. Ses observations seront entendues et comprises.

L'Assemblée nationale a renforcé ces dispositions en attribuant au contrôleur général un pouvoir d'urgence. Ce dernier pourra fixer le délai dans lequel l'autorité compétente devra répondre à ses observations. Ce pouvoir d'urgence garantit le suivi et l'efficacité des recommandations du contrôleur général. Son regard sur les lieux de privation de liberté sera actif. Il aura le pouvoir de changer la condition des personnes privées de liberté.

Enfin, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez renforcé la cohérence de la mission du contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Sa saisine est désormais expressément élargie au médiateur de la République, au défenseur des enfants, au président de la Commission nationale de déontologie de la sécurité, la CNDS, au président de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, la HALDE.

En mentionnant explicitement ces institutions, vous renforcez les possibilités de contrôle, vous encouragez l'indispensable coopération entre toutes les institutions chargées de veiller au respect des droits des personnes privées de liberté.

Je veux insister sur ce point. Le contrôleur général pourra, à son tour, saisir directement le médiateur ou la CNDS. Il ne se substituera pas aux institutions qui exercent déjà un droit de visite ou de contrôle dans les lieux de privation de liberté.

En articulant efficacement son action avec ces institutions, il donnera une plus grande visibilité à leur cause commune. Il prêtera sa voix et son autorité à leurs recommandations.

Nous n'avons pas cherché, par ce projet de loi, à superposer les contrôles. Nous avons cherché à en démultiplier l'efficacité.

À côté des autorités indépendantes s'est posée la question de l'avenir de la Commission nationale de contrôle des centres et locaux de rétention administrative et des zones d'attente, la CRAZA, qui a fait un travail remarquable et qui n'aura pas vocation à perdurer lorsque le contrôleur général aura repris ses attributions.

Vous avez également souligné la nature des missions du contrôleur général en inscrivant ses crédits au programme « coordination du travail gouvernemental ».

Cette disposition met en lumière le caractère interministériel de l'effort qui devra lui être consacré. Comme vous le savez, le contrôleur général devra visiter près de 6 000 lieux de privation de liberté, dont 219 seulement relèvent du ministère de la justice.

Je ne doute pas que tous les ministères concernés lui apporteront le concours qui lui sera nécessaire.

Enfin, vous avez ajouté que le contrôleur général aurait à coopérer avec les organismes internationaux compétents. Il développera ses liens avec, notamment, le sous-comité de la prévention institué par l'ONU dans le cadre du protocole facultatif.

Votre initiative vient rappeler que la lutte pour le respect des droits de l'homme est une lutte collective et qu'elle nous engage tous.

Le texte qui vous est soumis permet d'assurer tous ceux qui sont responsables des lieux de privation de liberté, ainsi que tout citoyen français, de la volonté active du Gouvernement de veiller au respect des droits fondamentaux dans les lieux de privation de liberté.

Vos débats ont été l'occasion de soulever bien des questions liées aux droits et à la condition des personnes privées de liberté. Nous les aborderons plus avant lors de la discussion du projet de loi pénitentiaire.

D'ores et déjà, l'institution d'un contrôleur général des lieux de privation de liberté marque une grande avancée. Ainsi, la France se montrera digne de son histoire et de ses valeurs.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le savez, ce projet de loi doit beaucoup à votre initiative. Vous avez compris l'esprit de transparence, d'efficacité et de détermination dans lequel il a été préparé.

Les travaux parlementaires l'ont considérablement enrichi, grâce aux cinquante-trois amendements adoptés par les deux assemblées.

Je vous propose de l'approuver aujourd'hui, afin que le contrôleur général des lieux de privation de liberté puisse devenir une réalité dès 2008.

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