Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 18 octobre 2007 à 10h00
Contrôleur général des lieux de privation de liberté — Adoption définitive d'un projet de loi en deuxième lecture, amendement 6

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, alors que nous examinons en deuxième lecture le projet de loi instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté, il serait utile de réfléchir aux remarques faites par ceux qui sont les plus impliqués dans la défense de la dignité des détenus et qui demandent l'amélioration de ce texte. La commission des lois dans sa majorité en a décidé autrement puisqu'elle souhaite un vote conforme. Pourtant, même si elle est pressée d'aboutir, elle devrait, au moment où l'on annonce une revalorisation du rôle du Parlement, prêter attention aux amendements qui seront déposés.

J'évoquerai, d'abord, le contexte dans lequel intervient la discussion du présent projet de loi.

Il y a sept ans, au lendemain du rapport Canivet et des deux commissions d'enquête parlementaire, la création d'un contrôleur extérieur des prisons s'imposait compte tenu de notre attachement au respect des droits de l'homme. Des exemples allant dans ce sens existaient dans d'autres pays, notamment en Europe.

Nous aurions pu, dès lors, prendre les choses en main et être en avance en ce domaine. Or la proposition de loi relative aux conditions de détention dans les établissements pénitentiaires et au contrôle général des prisons, déposée par nos collègues Jean-Jacques Hyest et Guy-Pierre Cabanel, pourtant adoptée par le Sénat, est restée lettre morte, n'ayant jamais été inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.

Il est désormais urgent de mettre en place un contrôle extérieur de tous les lieux de privation de liberté, parce que leur nombre a considérablement augmenté, et parce que la politique d'aggravation des sanctions pénales, continue depuis cinq ans, accroît la dégradation des conditions de détention au sein des établissements pénitentiaires.

Actuellement, le nombre de détenus dans les prisons françaises est de 60 677 détenus, contre 49 718 en 2001. Hélas, ce triste bilan ne risque pas de diminuer avec la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, dont les effets sont déjà tangibles. Condamnées à des peines quasiment automatiques, des personnes sont envoyées en prison pour des durées exceptionnellement longues, et ce quelles que soient la personnalité de l'auteur ou la nature de l'infraction commise.

Madame le garde des sceaux, lorsque nous vous avions alertée, en juillet, sur les risques de surpopulation carcérale qu'allait engendrer cette loi, vous aviez rétorqué que celle-ci aurait, au contraire, un effet dissuasif. Les chiffres démentent vos souhaits et confirment, malheureusement, nos prévisions.

Un premier bilan, établi par votre ministère au 1er septembre 2007, fait état du prononcé de 71 peines planchers sur 118 condamnations visant des faits de récidive, soit un taux de 60 %, cela en moins d'un mois d'application !

Or, l'état de nos prisons ne leur permettra pas de supporter, sans risque grave, une nouvelle explosion carcérale. Le taux d'occupation est déjà de 120 %, il est même plus élevé dans les maisons d'arrêt, où il avoisine les 137 %.

Les parlementaires qui vont visiter les prisons - plus ou moins officiellement - connaissent cette situation, que la presse constate et qui nous fait honte ! L'espace de déambulation à Fleury-Mérogis est d'un peu plus de 4 mètres carrés, situation qui s'apparente à celle d'une bête en cage, selon l'Observatoire international des prisons, l'OIP. Cette association rappelle que la surface minimale fixée pour l'enfermement dans les chenils est fixée à 5 mètres carrés par animal. Nous savons établir des constats, mais nous avons du mal à en tenir compte !

Quant aux centres de rétention, ils semblent devoir se multiplier, au regard de la politique menée par votre gouvernement à l'égard des étrangers. On en compte 22 aujourd'hui en France métropolitaine et 3 à l'extérieur. Il faut y ajouter évidemment la multiplication des lieux d'enfermement, qu'ils soient destinés aux mineurs ou aux détenus souffrant de troubles psychiatriques.

Quand bien même nous approuverions que la France se mette - enfin ! - en conformité avec le protocole additionnel à la convention des Nations unies contre la torture et qu'elle puisse ainsi le ratifier prochainement, la création d'un contrôle extérieur des lieux de détention - que je souhaite, avec d'autres, depuis si longtemps - ne saurait servir d'alibi à une politique pénale à laquelle nous sommes totalement opposés.

Le projet de loi initial que vous avez présenté, madame le garde des sceaux, s'inscrivait a minima par rapport au protocole facultatif ou même à la proposition de loi présentée par MM. Jean-Jacques Hyest et Guy-Pierre Cabanel et adoptée par le Sénat en 2001.

Néanmoins, il est indéniable que des améliorations ont été apportées au texte depuis sa présentation au Sénat, en juillet dernier.

Une garantie d'indépendance a été apportée par le Sénat et n'a pas été remise en cause par l'Assemblée nationale : le contrôleur sera nommé par décret du Président de la République, après avis de la commission compétente de chaque assemblée.

Cette nouvelle procédure de nomination, qui associe le Parlement au choix du contrôleur, tend à assurer une plus grande indépendance à celui-ci : nous y sommes évidemment tout à fait favorables. Nos collègues députés ont judicieusement ajouté une garantie concernant ses compétences et connaissances professionnelles ; nous y sommes également très favorables, car elle est expressément prévue par l'article 18, paragraphe 2, du protocole facultatif à la convention contre la torture. Nous ne faisons donc que nous mettre en conformité avec ces dispositions.

Ces modifications étaient essentielles afin que la légitimité du contrôleur ne puisse être contestable ni même contestée.

De même, nous regrettions, en première lecture, que cette future institution soit déconnectée des instances internationales, et plus précisément du Sous-comité de la prévention : la consécration de la coopération entre le contrôleur et les organismes internationaux compétents prévue par la version amendée du projet de loi mérite donc d'être saluée.

Enfin, nous ne pouvons qu'être favorables à la possibilité offerte au contrôleur de saisir la Commission nationale de déontologie de la sécurité, la CNDS, ainsi que le Médiateur de la République, et à l'obligation qui lui est imposée de saisir le procureur de la République, en cas d'infractions pénales, et l'autorité administrative, en cas de fautes disciplinaires.

Néanmoins, malgré ces quelques avancées, le projet de loi ne répond pas à nos exigences en matière de contrôle des lieux de privation de liberté.

La première critique, que nous exprimions déjà en première lecture, concerne le champ de compétence territoriale du contrôleur.

Le préambule du protocole rappelle l'obligation faite à tout État partie de « prendre des mesures efficaces pour empêcher que des actes de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ne soient commis dans tout territoire sous sa juridiction ». Or, le projet de loi maintient, malgré nos observations, le territoire de la République comme seul champ de compétence du contrôleur général.

En première lecture, nous avions déposé un amendement visant à étendre sa compétence à tout territoire placé sous la juridiction de l'État, mais celui-ci a malheureusement été déclaré irrecevable par la commission des finances, en application de l'article 40 de la Constitution. Après discussion avec la commission des finances, nous avons pu redéposer cet amendement en deuxième lecture, car la commission a bien voulu admettre que l'article 40 ne lui était pas opposable. Comme quoi, il vaut la peine de discuter les oukases de la commission des finances quand on est parlementaire !

Si notre amendement n'était pas adopté, le Gouvernement exclurait volontairement de tout contrôle les lieux de privation de liberté situés à l'étranger, alors même qu'ils sont sous la responsabilité de l'État. La définition territorialisée du périmètre d'action du contrôleur des lieux de privation de liberté retenue par l'article 6 du projet de loi est à la fois floue et restrictive. Afin que tous les lieux de privation de liberté dépendants de l'État soient réellement pris en compte dans ce projet de loi, nous demandons que ce périmètre d'application soit défini clairement. Ce ne sera malheureusement pas le cas puisque le Gouvernement s'obstine à borner la compétence du contrôleur au seul territoire de la République.

La deuxième critique concerne les conditions de visite des lieux de privation de liberté par le contrôleur.

Le projet de loi initial ne prévoyait pas que le contrôleur général puisse effectuer des visites inopinées. Or, cette restriction était évidemment incompatible avec un contrôle effectif. Le Sénat, suivi par l'Assemblée nationale, a opportunément supprimé l'obligation de prévenir les autorités responsables des lieux de privation de liberté avant toute visite du contrôleur.

Néanmoins, il convient de relativiser ce qui aurait pu constituer une avancée : il subsiste tellement de restrictions que cette possibilité d'effectuer des visites inopinées n'aura finalement qu'une application partielle. Il est bien regrettable que la liste des motifs autorisant le report d'une visite du contrôleur soit maintenue, alors que des amendements de suppression de cette liste avaient été adoptés. À la suite d'une deuxième délibération, demandée par le Gouvernement, cette liste a été rétablie. Nous avons à nouveau déposé un amendement tendant à la supprimer. C'est le type même de question qui mériterait d'être discuté de manière plus approfondie, si nous avions la volonté d'exercer notre rôle de parlementaires !

Certes, deux modifications ont été apportées : les autorités responsables du lieu de privation de liberté ne pourront s'opposer à la visite du contrôleur que pour des motifs graves et, désormais, « impérieux ». Par ailleurs, ces mêmes autorités devront informer le contrôleur général que les circonstances exceptionnelles ayant motivé le report de sa visite ont cessé.

Sur le fond, ces modifications changent peu de chose : le contrôleur général ne sera pas libre d'effectuer des visites qu'il estimerait pourtant opportunes. Telle est la réalité ; ces exceptions sont plus importantes que ce que les termes mêmes du protocole facultatif ne permettaient de le penser, car elles ne sont pas prévues pour les mécanismes nationaux. Pourtant, les motifs liés à la sécurité publique, à la défense nationale ou à des troubles sérieux dans le lieu visité seraient précisément de nature à justifier une visite du contrôleur général.

La dernière critique que je formulerai, et qui n'est pas la moindre, concerne les moyens alloués à l'institution du contrôleur général. Nous avions déjà soulevé ce problème en première lecture. Malheureusement, nos doutes ne se sont pas dissipés à la suite de l'examen du texte par l'Assemblée nationale. Bien que les crédits du contrôleur soient désormais clairement inscrits au programme intitulé « Coordination du travail gouvernemental » - conformément à ce que nous demandions -, le montant prévu nous inquiète.

Vous annonciez, madame le garde des sceaux, que le contrôleur général disposerait d'une enveloppe de 2, 5 millions d'euros et serait assisté de 18 collaborateurs. Je vous rappelle que l'on dénombre environ 5 788 lieux de privation de liberté : imaginez-vous réalisable de demander à chaque collaborateur - j'ai volontairement omis le contrôleur général de mon calcul - de visiter 321 sites par an ? Il ne me paraît pas exorbitant de prévoir que chaque site soit visité au moins une fois par an.

Or, l'attribution de moyens adéquats est le gage d'un fonctionnement efficace de l'institution. Notre inquiétude grandit en pensant aux difficultés que rencontrent régulièrement la CNDS ou encore la CNIL pour mener à bien leur mission.

Enfin, j'espère que le Gouvernement tiendra son engagement de ratifier avant la fin de l'année le protocole facultatif, comme cela m'a été promis par le ministère des affaires étrangères en réponse à ma question écrite du 28 juin dernier. Cette ratification est vraiment nécessaire pour que la France confirme son engagement international de respect des droits de l'homme, engagement dont on peut penser qu'il n'est pas aujourd'hui obsolète !

Néanmoins, nous persisterons dans notre abstention en deuxième lecture. Je le regrette sincèrement, pour ma part, ...

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