Intervention de Jean-Paul Delevoye

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 25 octobre 2018 à 8h30
Audition de M. Jean-Paul deleVoye haut-commissaire à la réforme des retraites

Jean-Paul Delevoye, Haut-commissaire à la réforme des retraites :

S'agissant de la reconnaissance du bénévolat, il faut être au clair sur les missions du système de retraite. Il n'est pas là pour corriger les dysfonctionnements du monde du travail. Les inégalités de carrière, par exemple les inégalités salariales entre hommes et femmes, se retrouvent au bout du compte dans les inégalités de pension. Le fait qu'il y ait des points accordés sans revenus pose un débat. Je crois que le vrai enjeu n'est pas de créer des droits à la retraite déconnectés d'un revenu, mais plutôt de faire en sorte que les jeunes puissent commencer à accumuler assez tôt des points retraite. Cela pose par exemple la question des stages non rémunérés. Est-il normal qu'un jeune effectue un stage non rémunéré d'un an et qu'il ne puisse pas bénéficier de points ? Je crois aussi qu'il y a une méconnaissance de notre système de protection sociale. Dès le collège et le lycée, il devrait y avoir une éducation à ce qu'est la protection sociale. Beaucoup de salariés, y compris des diplômés, ne comprennent pas pourquoi ils payent des cotisations sociales. Il faut faire comprendre à chacun quel est le prix de la solidarité.

Nous menons dans cette perspective une réflexion sur le fait de savoir si, sur le relevé des points retraite, il ne faudrait pas distinguer clairement le point issu du travail de celui issu de la solidarité. Il y a une phrase du général de Gaulle très marquante : quand les peuples défendent des intérêts, ils se déchirent ; quand ils défendent des causes, ils se transcendent. Les débats politiques aujourd'hui se font sur les conséquences et pas sur les objectifs ; ils se font sur la défense des intérêts et pas sur la défense des causes. Je sais comment va se passer le débat sur les retraites quand il viendra au Parlement : tous les parlementaires auront des amendements pour défendre le système de retraite spécifique de chaque catégorie. Mais il faut être capable de dire aux uns et aux autres : vos intérêts seront défendus mais dans le cadre d'un projet collectif. Aujourd'hui, nous sommes dans un jeu politique qui correspond à ce que disait Frédéric Bastiat : l'État, c'est la grande fiction à travers laquelle tout le monde s'efforce de vivre aux dépens de tout le monde.

Vous m'interrogez sur les enjeux éducatifs... Regardez les actualités. Les gros titres se font sur le dernier album de Johnny et l'héritage de Laetitia, alors qu'il y a une catastrophe au Yémen, une catastrophe climatique, etc. Je suis frappé par la superficialité médiatique de notre époque. Une étude récente a montré les liens entre nouvelles technologies et baisse du quotient intellectuel. Nous sommes peut-être en train de perdre la capacité à réfléchir et le sens critique. Les informations ne sont plus digérées, assimilées ; elles sont transmises. Et cette transmission est biaisée parce qu'on ne va pas sur les réseaux sociaux pour apprendre et réfléchir, mais pour entendre ce qu'on a envie d'entendre. Les voix dissonantes ne sont pas prises en compte. La notion de vérité scientifique s'estompe dans l'esprit de nos contemporains. Paradoxalement, les débats d'experts, qui portent sur des questions complexes, contribuent à entretenir le doute et la confusion dans l'esprit de nos concitoyens dans la mesure où ils n'aboutissent pas à des conclusions simples. Il est donc essentiel que, dès le plus jeune âge, l'école s'emploie à renforcer cette notion du sens critique. C'est un enjeu éducatif majeur.

Un autre enjeu est de faire de l'école un lieu de découverte de l'altérité. Prenez l'exemple de la laïcité. Aux États-Unis, on y apprend dès le plus jeune âge ce qu'est un juif ou un musulman et ce pays n'a pas de problème avec la religion. En France, la laïcité entretient la méconnaissance des religions.

Je constate également que nos jeunes ont deux difficultés à la sortie de l'école : le mépris d'eux-mêmes et leur quête d'identité. C'est aussi un enjeu. On a par exemple des étudiants brillantissimes qui n'osent pas s'exprimer en public. J'ai vu aux États-Unis une étudiante qui se présentait face à un jury en s'excusant d'être dyslexique. Le président du jury lui a répondu : « félicitations, madame, Einstein l'était aussi ». C'est inimaginable en France où l'école a plus de mal à faire une place aux cas individuels.

Enfin, je note que l'éducation nationale fonctionne sur un travail individuel et une évaluation des performances individuelles, alors que le travail professionnel aujourd'hui est un travail collectif sur des objectifs.

Concernant la question du rapport à l'écran, elle est fondamentale. Je rappellerai simplement que le patron de Facebook donne trois conseils aux utilisateurs de son réseau. Premier conseil : une fois par jour, ne faites qu'une seule chose à la fois. Regardez nos jeunes : ils font en permanence plusieurs choses à la fois. Le cerveau n'est pas fait pour cela. Deuxièmement : retrouver le sens de la récréation. Je demande par exemple aux membres de mes équipes, une fois par jour, de faire un pas de côté, de faire complètement autre chose, de respirer. Enfin, troisième conseil : il faut réconcilier le corps et le mental, retrouver le sens de la méditation et de l'équilibre.

Pour terminer, j'évoquerai le sujet du transhumanisme. Le transhumanisme pose quatre grands défis. Premièrement, comment faire en sorte que l'homme reste libre et responsable de ses choix même s'ils ne nous conviennent pas. La France a du mal à accepter la diversité. Nos politiques publiques ont du mal à lui faire une place. Deuxièmement, comment faire en sorte que l'homme garde sa dimension transcendantale ? Quel est le sens que je donne à ma vie ? Quelle relation à la mort ? Troisièmement, garder à l'homme sa dimension relationnelle dans un monde qui tend à l'isoler. Paradoxalement, le vrai défi du XXIe siècle, c'est l'isolement. Enfin, comment sauvegarder la vraie richesse d'une société, qui est de savoir s'occuper des plus faibles ? Le transhumanisme peut nous amener à des projets de société où les plus faibles et les plus vulnérables n'ont pas leur place. Pour relever ces défis, il faut retrouver le sens critique, le sens de la contradiction, de la controverse. L'éducation doit éveiller les consciences.

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