À l'occasion de l'examen de cet article, nous souhaitons poser la question de l'extension des compétences du contrôleur général. Je laisse à M. Robert Badinter le soin d'expliquer pourquoi nous souhaitons que le contrôleur général puisse intervenir en dehors du territoire national, dans des lieux qui sont entre les mains des forces armées ou de toute force relevant de la République française.
Cet article est central, notamment en son deuxième alinéa, qui précise les restrictions au droit de visite du contrôleur général : « Les autorités responsables du lieu de privation de liberté ne peuvent s'opposer à la visite du Contrôleur général des lieux de privation de liberté que pour des motifs graves et impérieux liés à la défense nationale, à la sécurité publique, à des catastrophes naturelles ou à des troubles sérieux dans le lieu visité, sous réserve de fournir au Contrôleur général des lieux de privation de liberté les justifications de leur opposition. » Nous avons une façon merveilleuse de rédiger nos textes ! Pourquoi ne pas dire de manière plus directe que les autorités responsables du lieu de privation de liberté « peuvent s'opposer à la visite du Contrôleur général des lieux de privation de liberté pour des motifs graves et impérieux... » ? Mais non, on recourt à un « ne...que » qui est une manière très pudique de dissimuler la réalité des choses. Il est vrai que les juristes ont l'habitude de manier la nuance à l'extrême !
La liste est bien longue des « motifs graves et impérieux » - l'Assemblée nationale a ajouté ce dernier adjectif par scrupule - qui peuvent être invoqués pour empêcher la visite du contrôleur général : défense nationale, sécurité publique, catastrophes naturelles, troubles sérieux dans le lieu visité. Que reste-t-il au contrôleur général s'il ne peut jamais choisir ni le moment ni les modalités de ses visites ? Car c'est bien à cela qu'une telle rédaction aboutira et je vois mal comment on pourra y échapper.
Voilà donc un premier risque, et d'importance. Mais il y a plus grave, et je reviens sur le protocole facultatif.
Le rapport présenté par la commission des lois en première lecture précisait que « les raisons ainsi énumérées par le projet de loi reproduisent pour l'essentiel les stipulations de l'article 14-2 du protocole facultatif des Nations unies. En outre, dans ces hypothèses, le principe de la visite ne serait pas remis en cause et il appartiendrait aux autorités responsables d'en proposer le report ». Or ces dispositions concernent le sous-comité de la prévention, qui n'a pas compétence pour agir à l'intérieur de la République française ou de tout autre État.
En effet, l'article 2 du protocole facultatif prévoit que ce sous-comité, qui ne peut comprendre plus d'un ressortissant d'un même État, coopère avec les États parties en vue de l'application du protocole. En revanche, l'article 3 précise que chaque État met en place, à l'échelon national, « un ou plusieurs organes de visite chargés de prévenir la torture et autres peines ou traitement cruels, inhumains ou dégradants ».
Or c'est cette dernière disposition que le projet de loi met en oeuvre, et les articles 19 et 20 du protocole facultatif ne font aucune réserve à la liberté d'action des mécanismes nationaux de prévention, monsieur le rapporteur, bien au contraire : le c) de l'article 20 pose même le principe d'un « accès à tous les lieux de détention et à leurs installations et équipements », sans restriction.
S'il est tout à fait envisageable de prévoir des restrictions pour un organe international comme le sous-comité où - je le rappelle - un seul Français siégera, ce n'est pas concevable pour un organe national comme celui dont il est question ici. Ce sont deux problématiques différentes avec, d'un côté, le respect dû à la souveraineté d'un État, de l'autre, la libre circulation du contrôleur général dans l'exercice de sa mission.
Les conclusions de la commission Canivet ne prévoyaient pas de réserve à ce libre accès, pas plus que la proposition de loi Hyest-Cabanel ou, à l'Assemblée nationale, celle de Mme Lebranchu. Ce changement de pied est donc étonnant, même si cela fait partie des aléas de la vie parlementaire...