Comme vous le savez, le bureau de notre commission a souhaité cette année, pour des raisons de cohérence et de lisibilité, regrouper les trois avis de Nelly Tocqueville, de Pierre Médevielle et de moi-même au sein d'un même rapport portant plus largement sur les crédits relatifs à l'environnement. Ce que nous appellerons crédits relatifs à l'environnement dans ce rapport devra donc s'entendre des crédits dédiés aux politiques de l'eau et de la biodiversité, de l'énergie, du climat et de l'après-mines, de l'expertise, de l'information géographique et de la météorologie, de la prévention des risques et de la recherche en matière de développement durable. Ils sont regroupés au sein des programmes 113, 159, 174, 181 et 217 de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » et du programme 190 de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».
Je commencerai par quelques mots plus généraux sur ces crédits avant d'en venir au détail des programmes que j'ai moi-même analysés.
Les crédits demandés dans la loi de finances initiale pour 2019 au titre de l'ensemble de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » sont en hausse de 2,4 % en autorisations d'engagement dans le projet de loi de finances initial, s'élevant à 11,62 milliards d'euros.
Concernant les crédits relatifs à l'environnement au sens du présent rapport, ils passent de 6,69 milliards d'euros votés dans la loi de finances pour 2018 (AE = CP) à 6,67 milliards d'euros demandés au titre du PLF 2019 en AE (et 6,66 en CP) à périmètre constant, soit une très légère diminution de - 0,75 %.
Cette quasi-stagnation masque en réalité des déceptions et quelques points d'inquiétude, sur lesquels nous aurons l'occasion de revenir.
Autre élément de contexte général, vous savez également que le bureau de notre commission a chargé les rapporteurs budgétaires de s'interroger dès cette année dans le cadre de leur avis, sur les modalités possibles d'intégration des objectifs de développement durable (ODD) dans les processus budgétaires nationaux.
En effet, le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid) du 8 février dernier mentionne explicitement dans ses conclusions un engagement du Gouvernement à rendre les indicateurs de performance budgétaire cohérents avec les ODD. Cette intégration n'étant programmée que pour le PLF de l'année prochaine, nous avons décidé d'anticiper ce mouvement en essayant de comparer, au sein de chaque programme, les indicateurs de performance budgétaire avec les indicateurs des ODD tels que compilés par l'Insee. L'idée étant d'en tirer des enseignements et des recommandations en vue de faire évoluer la maquette de performance budgétaire.
J'ai ainsi par exemple rapproché la maquette budgétaire du programme 113 « Paysages, Eau et Biodiversité » des ODD n° 14 et n° 15 « Vie aquatique et marine » et « Vie terrestre » et de l'ODD n°6 « Gestion durable de l'eau pour tous » et de leurs indicateurs associés.
Il m'est rapidement apparu que les 28 indicateurs définis pour ces ODD étaient souvent trop précis ou peu pertinents dans le cadre d'une analyse budgétaire. Néanmoins, j'ai pu identifier certaines lacunes, comme par exemple l'absence d'indicateur relatif à l'assainissement. Un indicateur construit sur le modèle de l'indicateur n° 3 de l'ODD n° 6 « Taux de conformité des dispositifs d'assainissement » pourrait ainsi utilement compléter les indicateurs budgétaires du programme. En outre, l'indicateur ODD relatif aux prélèvements en eau selon les grands usages permettrait également de disposer de données utiles, manquantes à ce jour dans le contexte de l'exercice budgétaire.
Il semble qu'il pourrait être également utile de distinguer, au sein de la maquette budgétaire, des indicateurs relatifs à la vie terrestre et des indicateurs relatifs à la vie aquatique, comme le font les indicateurs ODD, ou encore d'intégrer des indicateurs sur l'évolution de l'état des récifs coralliens outre-mer ainsi que du nombre d'espèces exotiques envahissantes, qui constituent des priorités d'actions importantes. Enfin, il pourrait être utile de réfléchir à un indicateur permettant de mettre en évidence le sujet de l'artificialisation des sols.
J'ai mené le même exercice de comparaison avec le programme 174, de même que mes collègues dans le cadre de leurs programmes respectifs. J'espère que ces éléments pourront alimenter les réflexions en cours pour une meilleure appropriation des ODD par la France, en vue du Forum politique de haut niveau de septembre 2019, qui se déroulera au niveau des chefs d'État et de gouvernement devant l'Assemblée générale des Nations unies.
J'en viens maintenant à la présentation des crédits des programmes pour lesquels j'ai été nommé rapporteur pour avis, à savoir :
- les crédits du programme 113 « Paysages, Eau et Biodiversité » ;
- les crédits du programme 159 « Expertise, information géographique et météorologie » ;
- les crédits du programme 174 « Énergie, climat et après-mines ».
Ces trois programmes concentrent 1,1 milliard d'euros (en AE), soit environ 22 % des crédits dédiés à l'environnement retracés dans le cadre du présent avis.
Après une rapide analyse budgétaire de ces programmes, j'en viendrai aux quatre points de vigilance sur lesquels je souhaite ce matin attirer votre attention.
Le programme 113 constitue le support de trois politiques publiques.
Premièrement, la politique de l'eau, qui vise à atteindre les objectifs fixés par la directive cadre sur l'eau du 23 octobre 2000. J'ouvre une très courte parenthèse sur ce sujet pour signaler l'importance de la question de la gestion quantitative de l'eau pour faire face aux épisodes de sécheresse, sur laquelle le préfet Bisch a remis un rapport en mai dernier préconisant notamment que la France puisse porter, au sein des négociations de la future PAC, les évolutions souhaitées du futur programme de développement rural en faveur d'un volet « investissements pour l'irrigation ».
Deuxièmement, la politique relative à la biodiversité. Je rappelle sur ce point que nous avons devant nous des échéances importantes avec la 7ème session plénière de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), qui aura lieu en France du 29 avril au 4 mai 2019 ; le Congrès mondial de la nature de l'UICN de 2020, qui aura lieu à Marseille en 2020 ; et enfin la COP 15 qui aura lieu à Pékin en 2020.
Troisième politique, la politique relative au littoral et au milieu marin.
Les crédits demandés au titre du PLF 2019 pour le programme 113 augmentent de 19,2 millions d'euros en autorisations d'engagement (soit +13 %) et de 15 millions d'euros en crédits de paiement (+10 %).
Cette hausse traduit exclusivement l'augmentation des moyens alloués à l'action n° 7 « Gestion des milieux et biodiversité » due à :
- 10 millions d'euros supplémentaires prévus pour la mise en oeuvre du plan biodiversité ;
- le reste pour la préparation du Congrès mondial de la nature de l'UICN en 2020.
Les crédits alloués à la mise en oeuvre du plan biodiversité se répartissent sur des actions jugées prioritaires que vous trouverez détaillées dans mon rapport. Je souligne néanmoins dans le cadre de cette enveloppe, les 300 000 euros alloués à la lutte contre les pollutions plastique en mer, les 300 000 euros pour le soutien et l'accompagnement au déploiement du parc naturel de la mer de corail en Nouvelle-Calédonie, les 2,5 millions d'euros consacrés à la création du parc national des feuillus en plaine ou encore les 2 millions d'euros consacrés à des campagnes de communication en faveur de la biodiversité.
Malgré ce soutien au programme 113, dix millions d'euros semblent trop peu au regard de l'ambition affichée par le plan biodiversité. Ce, d'autant que les opérateurs de la biodiversité connaissent d'importantes baisses de moyens, notamment humains, avec 92 ETP en moins par rapport à l'année dernière. En outre, le budget de l'Agence française pour la biodiversité semble sous-dimensionné pour l'ampleur de ses missions. Comme a pu me le confier le directeur adjoint de l'établissement, les 30 millions d'euros de dépenses non-fléchées de l'établissement gagneraient à augmenter d'une vingtaine de millions d'euros.
Le programme 159 regroupe les crédits dédiés à l'expertise relative à la transition écologique vers un développement durable et au soutien au développement de l'économie sociale et solidaire et comprennent notamment les subventions pour charges de service public du Cerema, de l'IGN, de Météo-France.
Ces crédits, quasi-stables par rapport à l'année dernière avec environ 514 millions d'euros, sont en réalité en baisse pour toutes les actions à l'exception de ceux dédiés à l'économie sociale et solidaire au sein de l'action n°14, qui augmentent de 36 % grâce à 5 millions d'euros supplémentaires prévus pour le financement du programme French Impact.
Il est à noter que l'Assemblée nationale a fait évoluer la maquette budgétaire de ce programme en le vidant des crédits dédiés à l'économie sociale et solidaire, reversés au sein d'un nouveau programme dédié créé au sein de la mission.
Enfin, le programme 174, qui poursuit trois objectifs - la mise en oeuvre de la politique énergétique, la lutte contre le changement climatique et la gestion de l'après-mines - voit ses crédits diminuer mécaniquement de 6 % - soit 426,5 millions d'euros - en raison de la diminution du nombre d'ayants-droits anciens mineurs. En revanche, les crédits des actions 1 et 5, dédiées à la politique énergétique et à la lutte contre le changement climatique, augmentent respectivement de 22 % et de 11,5 % en crédits de paiement. Mais cette année encore, les crédits affectés à la transition énergétique sont éparpillés au sein de programmes différents.
J'en viens rapidement aux quatre points de vigilance sur lesquels je souhaite vous alerter ce matin.
Le premier concerne les moyens de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, directement impactés par la baisse des redevances cynégétiques prévue par l'article 75 du projet de loi. Cette baisse se traduit par un manque à gagner d'environ 21 millions d'euros pour l'établissement, sur un total de 115 millions d'euros de recettes. Or, le projet de loi de finances ne prévoit aucune mesure permettant de compenser cette perte de moyens. Cette difficulté est d'autant plus importante que le budget de l'ONCFS est quasi-intégralement constitué de dépenses de fonctionnement. La structure de financement décalée de l'établissement (les permis de chasse étant pris en août-septembre et les redevances perçues au 2ème semestre) lui permettra de fonctionner malgré cette diminution en puisant dans son fonds de roulement, mais jusqu'en février 2020 seulement. À partir de là, nous sommes dans l'incertitude dans la mesure où rien ne garantit que la fusion AFB-ONCFS aura eu lieu et en tout état de cause, c'est la politique de la biodiversité qui sera amputée dans ses moyens.
Mon deuxième point de vigilance concerne, cette année encore, les moyens des agences de l'eau. La baisse du plafonnement de leurs redevances voté l'année dernière s'appliquera en 2019 alors même que leurs missions ne cessent de s'étendre. Les 11èmes programmes que les agences ont toutes adoptés en cette fin d'année invitent ainsi à cibler leurs aides au détriment par exemple de l'entretien des cours d'eau ou encore de l'assainissement non-collectif.
En outre, un 4ème plan national d'action en faveur des zones humides devra être adopté en 2019. Sur ce point, les résultats obtenus avec les derniers plans ne sont guère encourageants. Les parlementaires en mission sur le sujet - dont notre collègue Jérôme Bignon que j'ai entendu sur le sujet - doivent rendre des préconisations d'ici la fin de l'année. Ils mettent notamment en avant l'importance d'une meilleure cartographie préalable de ces zones et d'une territorialisation des plans nationaux.
Je n'y insiste pas devant vous mais mon rapport y revient en détail : nous avons tous été sensibles, lors de l'audition de son PDG Jean-Marc Lacave, à la baisse drastique des moyens de Météo-France, dont notamment 40 % des effectifs territoriaux auront disparu d'ici 2022.
Enfin, j'attire votre attention sur la récente adoption en Conseil des ministres d'un projet de loi visant à fusionner l'Agence française pour la biodiversité et l'ONCFS, deux ans à peine après la création de l'AFB. On peut se demander si cette instabilité de la gouvernance de la nature n'est pas préjudiciable, d'une part aux agents concernés, et d'autre part à la mise en oeuvre des politiques de biodiversité. Nous aurons l'occasion d'en débattre mais cette « fusion » annoncée pose la question du positionnement du futur établissement et de sa gouvernance.
Pour votre parfaite information, deux articles sont rattachés à la mission « Écologie, mobilité et développement durables » :
- l'article 75 - que j'ai évoqué tout à l'heure - qui réduit le montant des redevances cynégétiques, pérennise le financement, par les agences de l'eau, du programme « Ecophyto » et modifie les modalités de répartition des contributions des agences de l'eau aux opérateurs de la biodiversité terrestre et aquatique afin d'assurer une plus grande solidarité interbassins ;
- l'article 76 qui modifie le régime de la redevance pour pollutions diffuses, perçue par les agences de l'eau sur les ventes de produits phytosanitaires, afin de limiter l'usage des pesticides et la contamination associée des milieux.
Voici mes chers collègues, ce que je tenais à vous dire sur ces crédits, ainsi que les inquiétudes qu'ils soulèvent, qui m'amènent à vous proposer d'adopter un avis défavorable à l'adoption des crédits des programmes 113, 159 et 174.
Je vous remercie.