Intervention de Nelly Tocqueville

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 21 novembre 2018 à 9h30
Projet de loi de finances pour 2019 — Mission « écologie développement et mobilité durable » - crédits « biodiversité - transition énergétique » et « prévention des risques » - mission « recherche et enseignement supérieur » - crédits « recherche en matière de développement durable » - examen du rapport pour avis

Photo de Nelly TocquevilleNelly Tocqueville, rapporteure pour avis :

Je vous présente l'avis budgétaire relatif au programme 190 de la mission « Recherche et enseignement supérieur » du projet de loi de finances pour 2019.

Le programme 190 a pour objet de financer la recherche dans les domaines du développement durable, de l'énergie, des risques, des transports, de la construction et de l'aménagement. Il s'agit donc d'un programme stratégique pour l'État, non seulement pour la recherche mais aussi pour le déploiement concret de la transition énergétique de notre pays.

Dans le projet de loi de finances pour 2019, le programme prévoit d'allouer 1,76 milliard d'euros en autorisations d'engagement et 1,73 milliard en crédits de paiement, soit une relative stabilité par rapport à l'année dernière.

Les crédits du programme 190 ont pour objet, plus particulièrement, d'apporter des subventions à sept opérateurs. Trois d'entre eux lui sont rattachés à titre principal : l'IFP Énergies nouvelles, l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux (Ifsttar) et l'Institut de radioprotection et de la sûreté nucléaire (IRSN). Par ailleurs, quatre opérateurs bénéficient de subventions du programme mais sont rattachés, à titre principal, à d'autres programmes : le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris), l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) et le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB).

Comme les années précédentes, le principal bénéficiaire du programme reste de loin le CEA qui reçoit 1,22 milliard d'euros, soit plus de 75 % des subventions pour charge de service public, prévues par le programme. Les autres bénéficiaires sont, dans l'ordre décroissant, l'IRSN, l'IFP Énergies nouvelles, l'Ifsttar et, pour une partie plus marginale du programme, l'Ineris, l'Anses et le CSTB.

Cette année, j'ai souhaité rencontrer les représentants des principaux bénéficiaires des crédits du programme 190, d'une part, pour faire un état des lieux de leurs moyens et de leurs activités, et, d'autre part pour approfondir sur certains projets de recherche ou mesures de soutien à la compétitivité, afin d'avoir une vision plus concrète de l'utilisation des crédits et des résultats obtenus. Dans cette perspective, j'ai également effectué un déplacement sur un site du CEA.

S'agissant de l'IFP Énergies nouvelles, tout d'abord, le projet de loi de finances pour 2019 prévoit une diminution de la subvention pour charges de service public de 4,5 millions d'euros en 2019, soit une baisse de 3,5 % par rapport à 2018. Cette diminution est d'autant plus préoccupante que la tendance est à la baisse depuis une dizaine d'années. L'IFP Énergies nouvelles est le seul opérateur à voir son budget baisser en 2019 au sein du programme 190, malgré son engagement dans les domaines des nouvelles énergies et de la mobilité durable, notamment via le soutien à la compétitivité des entreprises. Lors des débats à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a annoncé qu'un redéploiement de 1 million d'euros serait effectué en gestion au profit de l'IFP Énergies nouvelles, sans toutefois apporter davantage de précisions sur le sujet.

Sur le sujet de la compétitivité, les représentants de l'IFP Énergies nouvelles m'ont notamment présenté leurs modèles de soutien et de partenariats en direction des entreprises innovantes de taille modeste.

Leur premier modèle est une forme de partenariat de recherche et développement couplé à la prise de capital dans des petites et moyennes entreprises liées à la mobilité durable. L'objectif affiché est de se positionner en aval des innovations industrielles. À titre d'exemple, l'IFP Énergies nouvelles intervient sur des projets de transformation de la chaleur perdue dans les gaz d'échappement en électricité, de purification du biogaz ou encore de développement d'objets connectés pour les mobilités alternatives.

L'IFP Énergies nouvelles propose également des interventions directes au moyen de prestations destinées au développement de l'innovation, à destination des PME. Concrètement, il s'agit d'une intervention portant sur l'amélioration technologique des procédés ou sur l'aide à la propriété industrielle. Là aussi, ces interventions peuvent porter sur des sujets très différents, tels que le traitement du phosphore dans les eaux usées ou les centrales solaires flottantes.

J'en viens à l'Ineris, dont la subvention est reconduite en 2019. Cette année, ses représentants m'ont fait part des activités de recherche sur un sujet qui me tient à coeur, la qualité de l'air.

L'Ineris travaille depuis plusieurs années à la modélisation de la qualité de l'air, et de la représentation graphique de l'impact du transport et la transformation dans l'atmosphère des polluants liés aux activités humaines et des composés naturels. Il s'appuie sur des modèles numériques déployés par des super calculateurs. Ces modèles facilitent les prévisions de la qualité de l'air à l'horizon de quelques jours ou de plusieurs décennies, pour des villes spécifiques ou pour l'ensemble du globe. On peut ainsi mieux connaître l'exposition des populations, les impacts sanitaires mais également tester des stratégies de réduction d'émissions polluantes.

Outre ses activités de recherche, je rappelle également que l'Ineris contribue à cette politique publique à travers les audits techniques qu'il mène auprès des associations agréées de surveillance de la qualité de l'air (AASQA).

Enfin, s'agissant du CEA, dont la subvention au titre du programme 190 est reconduite en 2019, j'ai souhaité mieux connaître ses activités de recherche en lien avec les nouvelles technologies de l'énergie. Comme vous le savez, le CEA a pour mission historique de développer les applications de l'énergie nucléaire dans les domaines civils et militaires, mais il contribue également à la recherche en matière d'énergies alternatives.

Pour préparer mon avis, j'ai donc souhaité visiter le site de son Laboratoire d'innovation pour les technologies des énergies nouvelles et les nanomatériaux (Liten) situé à Grenoble. Le laboratoire mène des projets de recherche stratégiques dans différents domaines, notamment les énergies renouvelables, le stockage, l'efficacité énergétique et la limitation des émissions de CO2. Via ce laboratoire, le CEA procure à ses partenaires industriels un avantage concurrentiel crucial, en élaborant des technologies de pointe dans les énergies renouvelables, l'efficacité énergétique et les matériaux innovants. Ce sont près de 400 contrats de recherche et 200 dépôts de brevets qui découlent chaque année de ce lien privilégié avec l'industrie.

Cette visite de site a porté tout particulièrement sur deux axes de recherches complémentaires portés par le Liten : la production d'hydrogène décarboné via la montée en maturité de la technologie de production d'hydrogène par électrolyse à haute température de l'eau, d'une part, et l'amélioration du rendement de piles à combustible utilisant l'hydrogène, d'autre part.

L'hydrogène a cet avantage qu'il permet à la fois de favoriser l'intégration des énergies renouvelables et de décarboner les usages. En conséquence, il joue un rôle central dans le processus de transition énergétique, avec un potentiel d'utilisation qui dépasse très largement la voiture.

L'hydrogène permet tout d'abord de favoriser l'intégration des énergies renouvelables. Par le procédé dit du « power to gas », il peut être produit par les surplus d'électricité non stockables et permet ainsi de régler partiellement le problème de l'intermittence de la production d'énergie électrique, en particulier pour les sources d'énergie renouvelables. Il est d'autant plus pratique et vertueux que son transport et son stockage sont simples et peu coûteux, notamment par rapport à d'autres sources d'énergie.

L'hydrogène contribue par ailleurs à décarboner les usages. Il permet de transporter des charges lourdes sur une longue distance sans émission de carbone, tout en gardant la flexibilité de recharge des carburants conventionnels. Il permet aussi de produire de la chaleur en réseau dans l'industrie et les logements d'habitation. Mais surtout, il permet de valoriser et d'utiliser le CO2 produit par les industries. En le couplant à l'hydrogène, il est possible de fabriquer du méthane et du méthanol de synthèse, et de nombreux autres composés chimiques à plus forte valeur ajoutée.

Aussi, je dirais que l'hydrogène constitue un véritable facilitateur vers une société à zéro émission, dont il est l'une des clés.

À ce jour, la recherche française bénéficie d'une certaine avance sur nos concurrents américains et chinois. Le principal atout dont nous bénéficions grâce au CEA est notre avance en matière de production décarbonée d'hydrogène via la technologie particulièrement performante dite « électrolyse à haute température de l'eau ». Mais pour combien de temps ? Il est plus que jamais nécessaire d'accélérer l'expérimentation et l'amélioration de la performance des infrastructures de production, mais aussi de stockage et de transport. Cette accélération est d'autant plus nécessaire que, depuis plusieurs années, nous constatons un regain d'acteurs industriels nationaux forts et bien positionnés. Il s'agit de grandes entreprises industrielles mais aussi de nombreuses PME qui forment ensemble un tissu industriel spécifique qu'il conviendrait de soutenir davantage.

D'autres pays ont récemment accéléré le déploiement de cette technologie, je pense en particulier à l'Allemagne, qui a lancé il y a quelques semaines son premier train à hydrogène en Basse-Saxe.

Récemment, l'une des réalisations concrètes du CEA a été l'appui au prototypage et à la mise au point par SYMBIO, une entreprise française, d'un véhicule à hydrogène bénéficiant d'une autonomie de 370 km et désormais commercialisé.

En conclusion, je voudrais insister sur le caractère stratégique des fonds alloués au programme 190. Ces fonds, à travers les nombreuses actions menées par les différents opérateurs, contribuent non seulement à la décarbonation de notre modèle économique, mais également à sa compétitivité, face à une concurrence internationale de plus en plus rude, notamment sur les questions d'énergies renouvelables et de transition écologique.

Si l'on peut s'interroger sur l'adéquation entre les enjeux de la transition énergétique et les moyens mis à sa disposition en matière de recherche, nous pouvons néanmoins nous féliciter de la préservation des crédits dédiés à la recherche en 2019, dans un contexte budgétaire globalement contraint.

Je vous proposerai donc de donner un avis favorable à l'adoption des crédits.

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