Intervention de Jean-Marie Vanlerenberghe

Commission mixte paritaire — Réunion du 20 novembre 2018 à 18h00
Commission mixte paritaire sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019

Photo de Jean-Marie VanlerenbergheJean-Marie Vanlerenberghe, sénateur, rapporteur pour le Sénat :

Je suis toujours favorable à la recherche du consensus ou du compromis, qui est l'art même du politique. Si nous pouvions discuter des dispositions envisagées avant le dépôt d'un projet de loi, éventuellement en présence de la ministre, le Parlement se grandirait. Ce serait un utile apport du « Nouveau monde » ! Je n'appartiens certes pas à l'ancien, mais je considère que, sous la Ve République, le Parlement existe et fait la loi. Or j'ai le sentiment que nous sommes des jouets, réduits à opiner du bonnet si l'on siège dans la majorité, ou à s'opposer systématiquement - je n'en blâme pas spécialement le Gouvernement, car cela dure depuis longtemps. Il faut sortir de cette situation, en développant la concertation en amont des arbitrages ministériels. Nous l'avons dit solennellement à la ministre en séance, où le débat a d'ailleurs été très respectueux des positions de chacun. De même, le Parlement doit être respecté par le Gouvernement.

Le Sénat a abordé ce PLFSS de manière constructive, même si nous serons en désaccord sur certains articles, essentiels à l'équilibre budgétaire : en commission, nous nous sommes efforcés de maintenir l'équilibre des comptes de la sécurité sociale, dans le souci de l'intérêt général. Comme l'a indiqué le président Alain Milon, notre assemblée a adopté conformes environ la moitié des articles, parmi lesquels les articles récapitulatifs.

Nous n'avons supprimé que huit articles en provenance de l'Assemblée nationale, parfois d'ailleurs avec l'accord du Gouvernement. Je pense, en particulier, à l'article 7 bis, relatif au régime social de certains avantages accordés par les employeurs ou les comités sociaux d'entreprise, comme les chèques-cadeaux ou les chèques-vacances.

Peu des modifications que nous avons opérées vont frontalement à l'encontre des orientations de l'Assemblée nationale, surtout lorsqu'elles ont reçu l'avis favorable de la commission des affaires sociales et du Gouvernement.

L'une d'elles est essentielle, et me semble compromettre à elle seule la perspective de l'élaboration d'un texte commun par la CMP. Il s'agit du refus très net par le Sénat du choix de limiter à 0,3 % la progression d'un très grand nombre de prestations sociales, notamment les pensions de retraite et les allocations familiales, après une année blanche en 2018 et alors que les mêmes retraités ont déjà subi l'augmentation sans compensation de la CSG de 1,7 point en début d'année. Le Sénat a privilégié un autre levier en repoussant l'âge légal de départ à la retraite de 62 à 63 ans d'ici au 1er mai 2020, avec un premier palier de six mois en 2019. Il s'agissait de signifier, à la suite notamment de notre participation à l'excellent travail de concertation du haut-commissaire Jean-Paul Delevoye, que, avec ou sans réforme structurelle, le critère de l'âge restera incontournable à l'avenir. Les exemples étrangers le montrent très bien, et c'est ainsi qu'a raisonné l'Agirc-Arrco. Il s'agissait aussi de partager l'effort entre générations. Les retraités sont trop sollicités, et il nous semble injuste de « taper toujours sur les mêmes » - pour reprendre leurs mots -, car cela finira, qu'on le veuille ou non, par saper réellement le pouvoir d'achat des intéressés, réduire leur consommation et donc diminuer la croissance.

Par ailleurs, afin de conserver l'équilibre des comptes sociaux en 2019, et vu que la mesure d'âge n'aura alors pas encore produit son effet en année pleine, le Sénat a prévu une contribution exceptionnelle des organismes complémentaires d'assurance maladie l'année prochaine, dont j'ai débattu en amont de cette CMP avec le rapporteur de l'Assemblée nationale. Ce sujet, en effet, reviendra inévitablement dans les prochaines années : il nous faut éviter les postures idéologiques et l'aborder avec pragmatisme.

Au-delà de ce clivage peut-être insurmontable, je tiens à attirer l'attention de l'Assemblée nationale sur les autres mesures que nous avons prises et sur lesquelles, je l'espère, nous pourrons nous retrouver.

Il y a, bien entendu, toutes celles sur lesquelles le Gouvernement a donné un avis favorable ou de sagesse et dont nous espérons qu'elles seront reprises par l'Assemblée nationale en cas d'échec de cette CMP. Il y en a d'autres qui, bien qu'ayant recueilli un avis défavorable du Gouvernement, pourraient peut-être nous réunir et dont nous pouvons d'ailleurs débattre si vous le souhaitez.

Je pense tout d'abord à l'article 8, qui maintient le régime spécifique dont bénéficient les employeurs du secteur agricole pour l'emploi de travailleurs occasionnels et demandeurs d'emploi (TO-DE). Le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale a suscité au Sénat un émoi très compréhensible, tant il frappe des filières déjà fragilisées. Nous espérons que notre texte, qui maintient ce dispositif, pourra être retenu, ou qu'au moins l'Assemblée nationale fera évoluer les paramètres qu'elle a retenus et se rapprochera de la position du Sénat. Cela ne me paraît pas impossible.

Je pense également, à l'article 11, à la mesure de justice et de cohérence que nous avons adoptée en matière de CSG sur les pensions de retraite. Puisqu'il faudra désormais dépasser deux années de suite un certain seuil de revenus pour être frappé par la CSG au taux de 8,3 %, nous avons considéré que ce même critère de dépassement du seuil deux années consécutives devait s'appliquer pour le passage du taux nul au taux de 3,8 %. En effet, les intéressés subissent un effet de seuil presque aussi puissant qu'au niveau supérieur - 4,3 % en incluant la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) - alors qu'ils sont, par définition, plus modestes que les personnes assujetties au taux de 8,3 %. Le coût de cette mesure serait d'environ 90 millions d'euros.

Je pense aussi aux articles 19 et 26 et à la suppression de la trajectoire financière prévoyant des coupes de TVA à hauteur de 3,5 milliards d'euros en 2021 et de 5 milliards d'euros à partir de 2022. Ces coupes qui, au demeurant, ne correspondent à aucune conclusion du rapport du Gouvernement sur les relations financières entre l'État et la sécurité sociale reviennent, pour ainsi dire, à faire les poches de la sécu avant qu'elles ne soient pleines et à modifier sa trajectoire financière. Pire, au vu même des projections - non pessimistes - du Gouvernement figurant en annexe B du PLFSS, ces coupes se traduiraient par la persistance d'une dette de la branche maladie et du Fonds de solidarité vieillesse de 14,5 milliards d'euros fin 2022, ce qui ne serait pas acceptable quand on prétend amortir l'ensemble de la dette sociale. Je défendrai un amendement sur ce sujet à l'article 36 du projet de loi de finances, et j'ai bon espoir que le Sénat se montrera cohérent sur ce sujet. Nous avons donc les moyens d'agir sur un véritable sujet d'intérêt général pour la sécurité sociale.

Si je suis pessimiste sur nos chances d'aboutir aujourd'hui à un texte commun, j'espère que nous nous rejoindrons sur de nombreux articles, notamment sur les points particuliers que je viens de soulever, sans préjudice des sujets que d'autres collègues voudraient mettre en lumière.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion