Intervention de Catherine Di Folco

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 20 novembre 2018 à 9h00
Projet de loi de finances pour 2019 — Mission « gestion des finances publiques et des ressources humaines » - programme « fonction publique » - examen du rapport pour avis

Photo de Catherine Di FolcoCatherine Di Folco, rapporteur pour avis :

La fonction publique compte 5,48 millions d'agents, répartis ainsi : 44 % pour l'État, 35 % pour les collectivités territoriales et 21 % pour la fonction publique hospitalière.

L'avis budgétaire « Fonction publique » porte prioritairement sur la fonction publique d'État, dont les plafonds d'emplois sont fixés par le projet de loi de finances.

De manière plus spécifique, le programme 148 intitulé « Fonction publique » concerne les actions interministérielles de gestion des ressources humaines. Piloté par la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP), il est intégré à la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines ».

Comme chaque année, j'ai souhaité approfondir deux sujets d'actualité : le régime des primes des fonctionnaires et la gestion des emplois de direction dans la fonction publique territoriale.

Concernant les effectifs, je rappelle que le Gouvernement s'est engagé à supprimer 120 000 équivalents temps plein (ETP) pendant le quinquennat, dont 70 000 dans la fonction publique territoriale et 50 000 dans la fonction publique d'État. L'année dernière, j'avais déjà pointé les efforts insuffisants du Gouvernement, puisque seulement 1 660 équivalents temps plein (ETP) ont été supprimés en 2018. J'ai les mêmes réserves pour l'exercice 2019, puisque le projet de loi de finances (PLF) ne prévoit de supprimer que 4 164 ETP. Comme en 2018, ce sont surtout les opérateurs de l'État qui sont mis à contribution, non les ministères.

Deux ans après le début du quinquennat, ces efforts restent insuffisants, au point que l'on peut douter que le Gouvernement atteigne ses objectifs, car il faudrait pour cela supprimer 44 176 ETP d'ici à 2022, soit environ 14 725 ETP par an...

La masse salariale de l'État s'établit à 88,3 milliards d'euros hors pensions dans le PLF pour 2019, soit une hausse de 4,26 % par rapport à 2017. Pour la seule année 2019, la masse salariale progresse de 1,35 milliard d'euros, malgré le gel du point d'indice de la fonction publique. Cette évolution s'explique notamment par l'effet mécanique du glissement vieillesse-technicité (GVT), mais aussi par des choix politiques comme l'accord « Parcours professionnels, carrières et rémunération » (PPCR). La mise en oeuvre de cet accord devait s'étaler sur quatre ans, entre 2016 et 2020, mais le Gouvernement l'a reportée d'un an : l'année 2018 a donc constitué une année blanche et son application a été étendue jusqu'en 2021. Son coût total pour les trois versants de la fonction publique est estimé à 3,75 milliards d'euros.

Cette difficile maîtrise des effectifs et de la masse salariale de l'État s'accompagne d'incertitudes concernant la stratégie du Gouvernement pour moderniser l'action publique.

En octobre 2017, le Gouvernement a installé le Comité action publique 2022 (CAP 22). Le Premier ministre avait fixé un objectif ambitieux : « réfléchir sans totems, sans tabous au rôle de l'État et de la sphère publique dans la France du XXIe siècle, pour repenser les politiques publiques ». Force est de constater que ces ambitions ont été revues à la baisse, tant pour des maladresses de forme que pour des difficultés de fond.

Sur la forme, le Comité action publique 2022 a rendu ses conclusions en juin 2018, avec quatre mois de retard par rapport au calendrier initial. Pire, le Gouvernement n'a pas rendu publics ses travaux, qui ont finalement « fuité » dans la presse en juillet dernier. En outre, ce comité n'a reçu que huit employeurs territoriaux, ce qui paraît assez « léger » pour définir des préconisations plus proches des enjeux des élus locaux.

Sur le fond, le rapport du comité affiche un triple objectif : conforter la qualité du service public, améliorer les conditions de travail des agents et réduire la dépense publique. Ses propositions permettraient « d'améliorer les comptes publics d'une trentaine de milliards d'euros à l'horizon 2022 », sans précision sur les économies ainsi générées.

Au cours de la réunion du Comité interministériel de la transformation publique (CITP) du 29 octobre dernier, le Premier ministre a déclaré que le Gouvernement reprendrait entre 60 % et 75 % des propositions du Comité action publique 2022. Il n'a toutefois pas détaillé la liste des préconisations retenues. Si le Gouvernement a annoncé des mesures nouvelles pour moderniser le service public, d'autres ne font que reprendre d'anciens engagements de l'État. Les perspectives de réforme des ministères et secrétariats d'État ont été fixées par les « plans de transformation ministériels ». Ces feuilles de route sont toutefois peu précises et ne comportent aucun élément chiffré ni aucun objectif calendaire.

Sur le plan budgétaire, le programme 148 ne couvre que les actions interministérielles de gestion des ressources humaines. Il comprend trois actions : la formation des fonctionnaires (40 % des crédits du programme), l'action sociale interministérielle (58 % des crédits), et l'appui et l'innovation des ressources humaines (2 % des crédits). Cette année, les fonds consacrés à l'apprentissage ne sont plus centralisés dans le programme 148, mais sont redéployés vers le budget de chaque ministère.

Ce programme appuie et complète les initiatives ministérielles, sans s'y substituer. À titre d'exemple, il ne représente que 15 % des crédits de l'action sociale, dont le financement relève principalement des ministères.

Doté de 206,91 millions d'euros dans le PLF pour 2019, le programme 148 est en baisse de 0,91 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2018. Cette tendance s'explique par les réformes envisagées pour les Instituts régionaux d'administration (IRA) et l'École nationale d'administration (ENA).

Entre 2016 et 2018, le programme 148 intégrait une enveloppe d'environ 30 millions d'euros pour développer l'apprentissage dans la fonction publique de l'État. Si l'objectif initial - atteindre les 10 000 apprentis en 2016 - n'a pas été atteint, les efforts consentis doivent être soulignés : l'État emploie 9 841 apprentis en 2018 contre 740 en 2012.

Dans le PLF pour 2019, les aides pour le recrutement des apprentis ne figurent plus dans le programme 148, mais sont réparties dans les budgets de chaque ministère. La direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) n'a pas été en mesure de préciser l'enveloppe consacrée à l'apprentissage pour l'exercice 2019. On perd donc la visibilité concernant les objectifs de l'État, ce que je regrette.

Près de 90 % des crédits de la formation interministérielle sont destinés aux IRA et à l'ENA. La formation interministérielle est dotée de 82,48 millions d'euros dans le PLF pour 2019. Des projets de réforme permettent de dégager une économie de 1,92 million d'euros par rapport à l'exercice 2018.

La subvention pour charges de service public des IRA diminue de 2,70 % pour s'établir à 44,01 millions d'euros, grâce à une réforme de la scolarité qui sera mise en oeuvre en septembre 2019. Chaque année, les IRA accueilleront deux promotions d'élèves, pour un total de 820 étudiants, contre une promotion de 730 étudiants actuellement. La durée de la scolarité passera de douze à six mois ; elle sera suivie d'un stage de six mois, dont le coût sera pris en charge par l'administration d'accueil, et non par le programme 148.

Je me suis rendue dans les locaux strasbourgeois de l'ENA pour mieux apprécier la situation financière de l'école et ses projets de développement. J'ai rencontré le nouveau directeur, M. Patrick Gérard, très dynamique et qui a une grande ambition pour l'école.

Depuis 2013, l'ENA présente un déficit annuel compris entre 3,57 millions et 1,14 million d'euros, sur un budget total d'environ 40 millions d'euros. Pour la seule année 2017, son déficit s'est élevé à 2,84 millions d'euros. Deux facteurs expliquent ces difficultés financières : la réduction de la subvention de l'État et un développement insuffisant des ressources propres de l'ENA.

La subvention pour charges de service public constitue la principale source de financement de l'ENA : elle représente près de 80 % de ses recettes. Depuis 2010, cette subvention a été réduite de 19 %, pour s'établir à 30,17 millions d'euros en 2019. Le budget de l'ENA est particulièrement rigide : la rémunération de ses personnels et étudiants représente 74 % de ses dépenses. Il a donc subi un « effet ciseau », d'autant que l'État lui a confié de nouvelles missions de l'ENA et a augmenté le nombre d'élèves devant être accueillis, sans accroître sa subvention.

Pour compenser, l'ENA a multiplié ses actions de formation continue et de coopération européenne et internationale. Cette stratégie a permis à l'école d'augmenter ses ressources propres, qui atteignent 7,18 millions d'euros en 2018, en augmentation de 18,6 % par rapport à 2013. Elle a toutefois conduit à un éclatement de l'offre de formation de l'ENA et à la multiplication d'actions non rentables ou à faible valeur ajoutée.

L'ENA a financé ses déficits en puisant dans ses réserves. Sa structure financière reste saine, notamment parce que l'école n'a pas recouru à l'emprunt. De même, l'école a réalisé des efforts en matière de gestion en supprimant 42 emplois entre 2009 et 2018 et en réduisant ses dépenses de fonctionnement de 20 % depuis 2012.

Le nouveau directeur de l'ENA porte un plan de transformation pour concilier la maîtrise des dépenses et une stratégie ambitieuse de développement de l'école. Financièrement, l'ENA prévoit de revenir à l'équilibre budgétaire en 2020, sans qu'il soit besoin d'augmenter sa subvention pour charges de service public.

De même, l'ENA ouvrirait une seconde classe préparatoire intégrée (CPI) et un concours ad hoc serait organisé à titre expérimental pour que les scientifiques accèdent à la formation initiale de l'école.

Le programme 148 finance neuf prestations d'action sociale interministérielles, qui tendent à améliorer les conditions de vie des agents en matière de restauration, de logement, de loisirs et de prise en charge de la petite enfance. Dans le PLF pour 2019, les crédits consacrés à ces prestations sont stabilisés à 119,85 millions d'euros.

Le PLF pour 2019 maintient les trois outils d'appui aux ressources humaines du programme 148 pour un montant total de 4,58 millions d'euros : le fonds d'innovation RH, le fonds interministériel d'amélioration des conditions de travail et le fonds des systèmes d'information RH.

Je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 148.

Je souhaitais également aborder les primes dans la fonction publique, en particulier le régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEEP). Cet instrument, qui a vocation à se substituer à l'ensemble des primes et indemnités versées aux agents, a trois objectifs : harmoniser et simplifier le régime indemnitaire des agents, rendre le versement des primes plus transparent et valoriser leur engagement individuel et leur manière de servir.

Le RIFSEEP comprend deux composantes : l'indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise (IFSE) et le complément indemnitaire annuel (CIA).

L'IFSE est fixée selon la nature des fonctions exercées par l'agent. Son montant est réexaminé au moins tous les quatre ans ou lorsque l'agent change de poste.

Le CIA valorise l'engagement professionnel de l'agent et sa manière de servir. Son montant est réexaminé chaque année, après l'entretien d'évaluation. Le CIA est une composante facultative du RIFSEEP : l'employeur décide, ou non, de le mettre en oeuvre en fonction de sa stratégie en matière de ressources humaines. Dans la fonction publique d'État, son montant est plafonné entre 10 % et 15 % du montant total du RIFSEEP ; ce plafond ne s'applique pas à la fonction publique territoriale.

Initialement, le RIFSEEP devait être généralisé dans la fonction publique d'État entre mai 2014 et janvier 2017. Actuellement, il ne couvre que 360 000 agents d'État, soit 23 % de l'effectif total, répartis dans 265 corps ou emplois. En moyenne, ce régime indemnitaire représente une prime annuelle d'un montant de 7 341 euros bruts par agent de l'État, dont 6 741 euros pour l'IFSE et 600 euros pour le CIA.

149 corps ou emplois de l'État sont aujourd'hui exclus du RIFSEEP, dont 55 qui dépendent des ministères de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur. Leur éventuelle entrée dans ce dispositif doit faire l'objet d'un réexamen avant le 31 décembre 2019.

Certaines exclusions se justifient par les spécificités des corps ou emplois concernés : militaires, policiers, surveillants pénitentiaires, douaniers... D'autres sont beaucoup plus étonnantes. Ainsi, plusieurs corps ou emplois de la haute fonction publique conservent un régime indemnitaire spécifique, et souvent plus avantageux : secrétaires généraux de ministère, directeurs d'administration centrale, inspecteurs généraux des finances, ingénieurs des mines... Cette exclusion, de fait, des hauts fonctionnaires de l'État paraît entrer en totale contradiction avec l'objectif d'harmonisation et de transparence du RIFSEEP, ce que l'on peut regretter.

Dans la fonction publique territoriale, le RIFSEEP est en cours de déploiement. À ce jour, 61 % des employeurs territoriaux l'ont mis en oeuvre, après avis de leur comité technique. Parmi eux, 42 % ont inclus un complément indemnitaire annuel (CIA) pour valoriser l'engagement personnel des agents.

De fortes disparités existent toutefois entre les différentes strates de collectivités territoriales. Paradoxalement, les collectivités de petite taille sont les plus engagées dans cette réforme : 81 % des communes de 3 500 à 20 000 habitants ont délibéré sur le RIFSEEP, contre seulement 55 % des communes de plus de 20 000 habitants.

La transposition du RIFSEEP s'avère particulièrement complexe pour les collectivités territoriales et leurs groupements. Les employeurs territoriaux peuvent toutefois s'appuyer sur l'expertise des centres de gestion.

En outre, les collectivités territoriales et leurs groupements sont victimes des retards de l'État : pour entrer dans le RIFSEEP, un cadre d'emplois de la fonction publique territoriale doit attendre l'adhésion du corps équivalent dans la fonction publique de l'État. À titre d'exemple, les ingénieurs territoriaux ne sont toujours pas éligibles au RIFSEEP, les ingénieurs des travaux publics de l'État - corps équivalent - n'y ayant pas encore adhéré. Il en est de même pour les techniciens territoriaux, qui dépendent de l'adhésion des techniciens supérieurs du développement durable.

Cette situation constitue une source d'incompréhension pour les agents territoriaux et de complexité pour les employeurs. M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics, a d'ailleurs reconnu que l'État a « encore du travail à accomplir » en cette matière. Il y a urgence à achever le déploiement du RIFSEEP, notamment dans les filières techniques, et de mieux accompagner les employeurs.

Le complément indemnitaire annuel valorise les résultats individuels des agents. Or, de nombreux employeurs publics souhaiteraient également une approche collective, pour valoriser les résultats du service, pas uniquement de ses membres.

Cette approche collective existe depuis la création en 2011 d'une prime d'intéressement à la performance collective (PIPC). Cette prime, qui n'a malheureusement pas été intégrée dans le RIFSEEP, n'est pas suffisamment lisible et son montant reste insuffisant. Dès lors, il me semble nécessaire de compléter le RIFSEEP en y ajoutant la possibilité de valoriser les résultats du service, ce qui fédérerait les agents autour de projets.

Je souhaitais, enfin, aborder les postes de direction de la fonction publique territoriale, aussi appelés « emplois fonctionnels ». On dénombre environ 7 500 emplois fonctionnels, répartis entre les collectivités territoriales et leurs groupements. Ils sont occupés par des fonctionnaires détachés - administrateurs territoriaux, ingénieurs en chef, attachés, ingénieurs - ou, plus marginalement, par des agents contractuels de droit public.

Le système des emplois fonctionnels donne entière satisfaction aux employeurs territoriaux. Le Gouvernement souhaite toutefois remettre en cause son équilibre, en élargissant les possibilités de recourir aux agents contractuels.

Je rappelle, qu'aujourd'hui, deux procédures sont ouvertes pour recruter un agent sur un emploi fonctionnel : soit le recrutement d'un fonctionnaire détaché de son administration d'origine, soit le recrutement direct d'un agent contractuel.

Le recrutement direct est réservé aux emplois fonctionnels les plus sensibles, en fonction de seuils démographiques fixés par la loi. Ainsi, seuls les communes et les EPCI à fiscalité propre de plus de 80 000 habitants peuvent recruter un agent contractuel pour exercer la fonction de directeur général des services (DGS) ou de directeur général des services techniques (DGST). Dans la même logique, le recrutement direct d'un directeur général adjoint (DGA) est réservé aux communes et EPCI à fiscalité propre de plus de 150 000 habitants.

Actuellement, 88,5 % des emplois fonctionnels sont pourvus par des fonctionnaires par la voie du détachement ; seuls 11,5 % sont occupés par des agents contractuels.

Certes, le système des emplois fonctionnels reste complexe, car il combine trois seuils démographiques : le seuil de création du poste pour les collectivités territoriales, le seuil d'accès aux fonctions pour les fonctionnaires et le seuil d'ouverture au recrutement direct pour les agents contractuels.

Des simplifications semblent possibles, sans remettre en cause l'économie générale du dispositif ; le syndicat national des directeurs généraux des collectivités territoriales (SNDGCT) propose ainsi de simplifier les seuils de création des emplois fonctionnels, notamment pour les petites communes.

Lors de l'examen du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, le Gouvernement et nos collègues députés ont retenu une réforme plus radicale, contre l'avis du Sénat et sans concertation avec les employeurs territoriaux, alors même qu'un projet de loi relatif à la fonction publique est en préparation. Il s'agissait d'ouvrir le recrutement d'agents contractuels pour les emplois fonctionnels des communes et EPCI à fiscalité propre de 40 000 habitants ou plus - contre plus de 80 000 ou de 150 000 habitants actuellement.

Ces dispositions ont été censurées par le Conseil constitutionnel, au motif qu'elles constituaient un « cavalier » législatif.

Après avoir interrogé les syndicats des fonctionnaires territoriaux et le Gouvernement, je reste très réservée sur la multiplication des contrats pour les emplois fonctionnels. Nous en débattrons lors de l'examen du futur projet de loi relatif à la fonction publique.

À ce stade, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 148.

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