Le rapport pour avis que je vous présente porte sur les crédits dévolus, dans le projet de loi de finances pour 2019, à quatre programmes de la mission « Justice » : le programme 166 « Justice judiciaire » ; le programme 101 « Accès au droit et à la justice » ; le programme 310 « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et le programme 335 « Conseil supérieur de la magistrature ».
Les crédits de la mission « Justice » progressent de 4,5 % (hors dépenses de pensions) par rapport à la loi de finances pour 2018, pour atteindre un montant total de 7,29 milliards d'euros en crédits de paiement, identique à celui prévu par le Sénat lors de l'examen du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice mais avec une ventilation différente de celle retenue par le Sénat.
La trajectoire d'augmentation des crédits de la mission « Justice » engagée par le Gouvernement sur l'ensemble de la période 2018-2022 (+ 23,5 %) est toutefois bien moins ambitieuse que celle proposée par le Sénat (+ 33,8 %). Les crédits de paiement des quatre programmes augmenteraient quant à eux de 2,29 % en 2019 par rapport à 2018, et leurs autorisations d'engagement de 2,94 %.
Je regrette à cet égard que le budget consacré aux juridictions judiciaires soit celui qui augmente le plus faiblement (+ 0,87 % en crédits de paiement), à périmètre constant entre 2018 et 2019, parmi tous les programmes de la mission « Justice ».
J'ai toutefois relevé plusieurs mesures positives prévues par le projet de loi de finances pour 2019. En premier lieu, le schéma de création d'emplois est plus ambitieux que l'année dernière. Il prévoit en effet la création nette de 192 postes dans les juridictions judiciaires, dont 100 de magistrats et 182 de greffiers, grâce au redéploiement de postes de catégorie C. C'est 30 % de plus qu'en loi de finances initiale pour 2018, où seulement 148 créations nettes d'emplois étaient prévues.
En deuxième lieu, le comblement des vacances de postes des magistrats est bien engagé. Le nombre de postes vacants a baissé de façon très significative en 2018 : on ne compte plus que 252 vacances de postes, à périmètre constant, contre 417 une année auparavant, ce qui correspond à un taux de vacance d'emplois de 3,12 % au 1er octobre 2018. Le ministère de la justice bénéficie largement cette année des affectations de magistrats recrutés les années précédentes, puisqu'ils n'entrent en juridiction qu'au terme des 31 mois de formation à l'École nationale de la magistrature.
En troisième lieu, l'effort consacré à l'immobilier judiciaire est important, puisque les crédits de paiement en matière d'investissement progressent de 8,5 % par rapport à 2018, pour atteindre 215,11 millions d'euros. Les autorisations d'engagement augmentent aussi notablement (+ 211 %), ce qui s'explique par le lancement d'un nouveau programme pluriannuel de rénovation et de construction d'immobilier judiciaire, évalué à 450 millions d'euros par la garde des sceaux. Ce programme est très attendu car les locaux de maintes juridictions sont en piètre état, comme notre commission des lois l'avait relevé dans le rapport de la mission d'information sur le redressement de la justice présenté par notre président, Philippe Bas. Nombre d'entre nous avaient par ailleurs pu s'en rendre compte par eux-mêmes.
En quatrième et dernier lieu, les crédits en faveur de l'informatique et du numérique augmentent de 20 % entre 2018 et 2019, pour atteindre 229 millions d'euros en crédits de paiement, ce qui représente une augmentation de près de 43 % en deux ans. Ces crédits permettront notamment de financer 80 créations nettes d'emplois, dont des postes d'ingénieurs en informatique qui manquaient jusqu'alors cruellement au ministère de la justice, afin de poursuivre la mise en oeuvre du « Programme de transformation numérique ».
Ces mesures doivent toutefois être accueillies avec prudence, en particulier en matière de transformation numérique, car le rattrapage à accomplir représente un immense chantier. Ainsi, il faudra veiller à ne pas reproduire certains errements du passé, lorsque le coût des projets avait été largement sous-estimé et leur mise en oeuvre chaotique. À cet égard, le projet de « Procédure pénale numérique », lancé avec le ministère de l'intérieur pour permettre à terme une dématérialisation complète de la chaîne pénale (du service d'enquête à l'exécution de la peine), sera expérimenté dans les juridictions d'Amiens et de Blois à compter de mars 2019, et constituera un test important pour le ministère de la justice. En effet, ce dernier a connu beaucoup de déboires en la matière.
De surcroît, ces mesures ne peuvent pas occulter une situation qui demeure fragile dans les juridictions. Ainsi, les délais de traitement des affaires continuent de s'accroître, tant en matière civile que pénale. En matière civile, ils sont passés de 7,5 mois en 2007 à 11,8 mois en 2017 devant les tribunaux de grande instance et de 12,7 mois à 14,7 mois devant les cours d'appel. En matière pénale, la situation est toujours aussi alarmante avec un délai de traitement moyen de 40,6 mois d'une affaire criminelle, pouvant aller jusqu'à un total de 62,6 mois en incluant la procédure d'appel.
Les tribunaux de grande instance vont en outre devoir absorber, à compter du 1er janvier 2019, le contentieux social actuellement traité par les tribunaux des affaires sociales et les tribunaux du contentieux et de l'incapacité (constitution des pôles sociaux au sein des TGI). Le stock des affaires restant à traiter s'élève à plus de 200 000, ce à quoi s'ajoutera un flux annuel de 150 000 affaires nouvelles.
De même, les frais de justice demeurent une source d'inquiétude. Même s'ils font l'objet d'une meilleure budgétisation, leur augmentation est constante. 505 millions d'euros ont été budgétés en 2019, pour 495,5 millions d'euros de dépenses constatées en 2017. En plus de cette enveloppe, sont dues les charges à payer au titre de l'année 2018 pour plus de 58 millions d'euros (en augmentation de 36 % sur une année), et les dettes qui n'ont fait l'objet d'aucun engagement juridique mais n'en sont pas moins dues, dont le montant atteint désormais 108,6 millions d'euros. On le voit, le pilotage des frais de justice est loin d'être effectif et ce ne sont pas encore les économies liées à la mise en service de la plate-forme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ) qui pourront y répondre à court terme. 50 millions d'euros d'économies étaient attendus, le ministère n'en a constaté que 26 millions d'euros à ce jour.
Je regrette aussi la diminution du budget de fonctionnement des juridictions de 2,8 % : le ministère indique que cela résulte de la rationalisation des baux en région parisienne, mais il eût été préférable, à mon sens, de redéployer ces économies au bénéfice du budget de fonctionnement courant des juridictions, car celui-ci est ressenti le plus directement au quotidien par les personnels de justice.
Enfin, je suis très déçu par l'absence de réforme de l'aide juridictionnelle. Le système est à bout de souffle. Une nouvelle fois, le Gouvernement n'a prévu aucune mesure pour y remédier, alors que le Sénat a quant à lui proposé le rétablissement de la contribution pour l'aide juridique en première instance, modulable de 20 à 50 euros, et l'obligation de consultation préalable d'un avocat avant toute demande d'aide juridictionnelle. Ces mesures sont indispensables car cette aide concerne près d'un million de personnes et le filtre permettant d'apprécier la recevabilité de la requête, prévu par la loi, déjà ancienne, du 10 juillet 1991, n'est jamais mis en oeuvre.
J'ai souhaité, cette année, faire un focus particulier sur le nouveau tribunal de grande instance de Paris. Nous nous sommes rendus sur place avec notre collègue Brigitte Lherbier, et avons pu échanger avec les représentants des organisations syndicales et les chefs de la juridiction. Le bilan est globalement positif, notamment s'agissant des conditions de travail et d'accueil du justiciable, même si des améliorations doivent pouvoir être apportées : sans être exhaustif, j'évoquerai le problème de la desserte en transports en commun et de l'accès du tribunal, qui semble le plus préoccupant, tant pour les personnels que pour les justiciables. Des solutions sont prévues mais il y a du retard.
Des interrogations se posent surtout concernant la gestion du bâtiment qui fait l'objet, comme vous le savez, d'un contrat de partenariat public-privé (PPP). J'ai entendu les magistrats de la Cour des comptes qui ont rédigé le rapport public thématique publié du mois de décembre 2017 sur la politique immobilière du ministère de la justice. Ils m'ont fait part de plusieurs inconvénients résultant du recours à un contrat de partenariat public-privé : notamment le coût élevé des travaux modificatifs, l'adaptation aux évolutions législatives et réglementaires (lorsqu'est par exemple mise en oeuvre une réforme de l'organisation judiciaire qui a un impact sur les locaux), et l'asymétrie d'information entre personnes publique et privée, qui exige que la première se dote de compétences techniques et juridiques de haut niveau pour assurer le suivi du contrat, en lien avec des entreprises d'une taille importante et dotées de services juridiques solides et expérimentés dans le domaine du bâtiment et des travaux publics. Deux difficultés semblent se poser à ce stade : d'une part, le circuit de décision entre le TGI, la mission de suivi du partenariat public-privé du ministère et la société prestataire semble très lourd et complexe ; d'autre part, les chefs de juridiction n'ont pas connaissance des obligations contractuelles du partenaire privé ce qui peut poser d'évidentes difficultés de gestion. Enfin, je ne peux que constater l'effet d'éviction budgétaire du partenariat public-privé du TGI de Paris sur les budgets de fonctionnement et d'investissement des juridictions judiciaires. C'est un constat que notre commission des lois avait déjà fait dans le rapport de notre collègue Jean-Pierre Sueur et de notre ancien collègue Hugues Portelli sur les contrats de partenariat public-privé. Le partenariat public-privé du TGI de Paris représente pour 2019 à lui seul 24 % du budget total d'investissement de l'ensemble des juridictions judiciaires.