Intervention de Maryse Carrère

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 21 novembre 2018 à 8h40
Projet de loi de finances pour 2019 — Mission « justice » - programme « protection judiciaire de la jeunesse » - examen du rapport pour avis

Photo de Maryse CarrèreMaryse Carrère, rapporteure pour avis :

Je vous présente ce matin les crédits du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » prévus dans le projet de loi de finances pour 2019. Depuis ma nomination, le 7 novembre dernier, j'ai procédé à une série d'auditions et j'ai visité un centre éducatif fermé (CEF) afin de rencontrer des professionnels exerçant ce métier exigeant.

Le budget de la PJJ est modeste comparé à celui des autres programmes de la mission « Justice » : il devrait atteindre, l'an prochain, 875 millions d'euros en crédits de paiement et 903 millions en autorisations d'engagement. Dans un contexte de hausse globale du budget de la justice, le budget de la PJJ s'inscrit lui aussi en augmentation : il progresse de 2,8 % en crédits de paiement, ce qui correspond à 24 millions d'euros supplémentaires, et de près de 4 % en autorisations d'engagement, soit 34,5 millions d'euros. Cet accroissement s'explique tout d'abord par la hausse des dépenses de personnel, qui absorbent 60 % des crédits : il est prévu de créer l'an prochain 51 emplois à la PJJ, principalement des éducateurs, mais aussi 17 emplois de psychologues et d'assistantes sociales, afin de favoriser un travail pluridisciplinaire. En conséquence, le plafond d'emplois sera porté à 9 156 postes en équivalent temps plein. Cette augmentation des crédits permettra aussi de financer la revalorisation statutaire dont vont bénéficier les éducateurs de la PJJ en 2019, qui vont passer de la catégorie B à la catégorie A à compter du 1er février 2019 ; ils bénéficieront de la grille indiciaire applicable aux corps de la fonction publique de l'État à caractère socio-éducatif.

Je précise qu'un amendement du Gouvernement adopté à l'Assemblée nationale est venu majorer les crédits d'un peu plus de 100 000 euros, afin de financer la revalorisation des frais de mission des agents de la fonction publique (frais d'hôtel et indemnités kilométriques). Cette revalorisation intéresse surtout les éducateurs de milieu ouvert, qui se déplacent beaucoup. Ces différentes mesures témoignent de la volonté du ministère de la justice d'apporter une plus grande reconnaissance aux éducateurs de la PJJ, même si les besoins restent considérables.

L'activité de la PJJ demeure soutenue : elle a mis en oeuvre, en 2017, un peu plus de 215 000 mesures civiles et pénales, pour un total de 140 000 jeunes concernés. L'activité pénale est largement dominante dans cet ensemble puisqu'elle représente 83 % de ces mesures. Je vous rappelle que la PJJ a recentré son activité sur le pénal depuis 2007, la protection de l'enfance en danger relevant de la compétence des conseils départementaux. Toutefois, elle garde la possibilité d'intervenir lorsqu'un jeune a déjà fait l'objet de mesures pénales et qu'il paraît opportun de les prolonger par des mesures civiles, de manière à éviter une rupture dans le parcours d'insertion qui a été entamé. L'augmentation des effectifs de la PJJ depuis quelques années a permis d'améliorer les conditions de prise en charge : alors que la cible de la PJJ est que chaque éducateur suive 25 jeunes, le taux moyen constaté en 2017 était légèrement inférieur : 24,7 jeunes par éducateur.

Un point sur lequel la PJJ conserve une marge de progression, cependant, est celui du délai de mise en oeuvre des mesures décidées par le juge des enfants : ce délai peut facilement atteindre six à huit mois, pour partie en raison de délais inhérents à la surcharge de travail des greffes dans les tribunaux, et pour partie en raison des délais propres à la PJJ. Ces délais sont plus élevés dans certains territoires, la Seine-Saint-Denis par exemple. Il n'est pas rare qu'il s'écoule dix-huit mois entre le jour de l'audience et la prise en charge concrète par un éducateur, ce qui est une durée considérable dans la vie d'un adolescent. L'activité de la PJJ est également marquée ces dernières années par l'augmentation du nombre de mineurs incarcérés. Au 1er octobre, on dénombrait 835 mineurs incarcérés, alors qu'ils n'étaient que 715 au début de l'année 2016. La commission nationale consultative des droits de l'homme s'est inquiétée de cette évolution dans un avis rendu en mars 2018, parlant d'une « banalisation de l'enfermement ». Au Sénat, la question de l'enfermement des mineurs a été étudiée par la mission d'information présidée par notre collègue Catherine Troendlé, dont le rapporteur était Michel Amiel. Elle a souligné la part prépondérante de la détention provisoire, qui est à l'origine des trois quarts des incarcérations, ainsi que la part croissante des mineurs non accompagnés (MNA) parmi les jeunes incarcérés, surtout dans les grandes métropoles.

Parmi les priorités de la PJJ pour 2019, figure en premier lieu le programme de construction de nouveaux centres éducatifs fermés (CEF), qui absorbe une part importante des marges de manoeuvre budgétaires. Comme vous le savez, le Gouvernement souhaite l'ouverture de vingt nouveaux CEF d'ici à la fin du quinquennat : quinze dans le secteur associatif et cinq dans le secteur public. Le budget 2019 est le premier à allouer des crédits à ce programme de construction : 1,8 million d'euros sont prévus pour commencer les opérations nécessaires à l'ouverture de deux centres dans le secteur public et 2,3 millions pour faciliter le lancement de cinq CEF associatifs, les associations ayant vocation à compléter leur financement par l'emprunt. Je précise qu'aucune ouverture n'est prévue l'an prochain : les nouveaux CEF n'ouvriront pas avant 2021 compte tenu du délai de construction, puis du délai de recrutement et de formation des professionnels.

Dans la conception de ce programme, le Gouvernement tire les conséquences d'erreurs qui ont pu être commises par le passé : les nouveaux CEF seront construits à proximité de bassins d'emplois et de population importants, de manière à faciliter le recrutement du personnel et l'établissement de partenariats avec les acteurs de l'insertion et de l'emploi. Il n'en reste pas moins que les interrogations soulevées par Josiane Costes l'an dernier demeurent d'actualité. On peut d'abord s'interroger sur l'ampleur des besoins : alors que les 52 CEF aujourd'hui en activité sont loin d'être saturés, est-il nécessaire d'augmenter de près de 40 % le nombre de places disponibles ? Ensuite, compte tenu du coût de fonctionnement très élevé de ces structures, on peut craindre que les moyens importants qui devront leur être consacrés ne pénalisent le développement des foyers traditionnels ou le recrutement de familles d'accueil par exemple. Enfin, la PJJ n'a toujours pas réalisé l'étude de cohorte qui serait nécessaire pour évaluer l'impact d'un placement en CEF sur le devenir du jeune et le comparer avec les autres formes de prise en charge. Il conviendra donc de suivre avec attention ce programme de construction afin de s'assurer qu'il répond effectivement aux besoins de la justice des mineurs et de vérifier qu'il n'est pas mis en oeuvre au détriment des autres dispositifs de la PJJ.

Outre la construction des nouveaux CEF, le projet de budget doit permettre de réaliser des travaux d'entretien et de rénovation des bâtiments de la PJJ, qui sont souvent dégradés faute d'investissements suffisants au cours des dernières années. Au total, 12,8 millions d'euros de crédits seront affectés à ces travaux.

On observe également une augmentation de 9 millions d'euros des crédits destinés au secteur associatif habilité. Ces moyens supplémentaires doivent lui permettre de réaliser un plus grand nombre de mesures d'investigation. Cela permettra au secteur public de la PJJ de libérer des moyens qui seront consacrés à la prévention de la radicalisation et au suivi des jeunes de retour de la zone irako-syrienne. Je précise que le secteur public de la PJJ dispose, jusqu'à présent, d'un monopole pour la mise en oeuvre des actions en lien avec la radicalisation.

Enfin, le projet de budget permettra de financer la mise en oeuvre des mesures législatives prévues par le projet de loi de programmation et de réforme pour la justice, que nous avons examiné en octobre dernier. Deux mesures sont prévues : la création d'un placement séquentiel en CEF et l'expérimentation d'une mesure éducative d'accueil de jour.

Le placement séquentiel consiste à organiser l'accueil du jeune, dans la dernière phase de son placement, dans d'autres structures (un foyer traditionnel, une famille d'accueil ou un hébergement autonome en appartement par exemple). L'objectif est de ménager une transition entre la fin du placement en CEF et le retour du jeune à l'extérieur et de préparer au mieux la sortie, afin d'éviter une « sortie sèche ». Le projet de budget prévoit d'affecter 670 000 euros au financement de cet accueil extérieur.

L'expérimentation de la mesure éducative d'accueil de jour est prévue pour trois ans et donnera lieu à un rapport d'évaluation. Elle sera mise en oeuvre par redéploiement de moyens au sein de la PJJ. Il s'agit de prendre en charge des jeunes pendant la journée, dans une perspective d'insertion sociale, scolaire et professionnelle. Conçue comme une solution intermédiaire entre le suivi en milieu ouvert et le placement, cette mesure vise à remobiliser le jeune autour d'un projet éducatif pour l'aider à s'insérer dans les dispositifs de droit commun.

Pour terminer sur une note plus prospective, le ministère de la justice a mis en place, au mois de juin, un groupe de travail chargé de réfléchir à une réécriture de l'ordonnance de 1945 sur l'enfance délinquante. Modifiée à 40 reprises, cette ordonnance a perdu en cohérence et en lisibilité au fil du temps, de sorte qu'une refonte est demandée par les professionnels de la justice des mineurs. Ce groupe de travail réunit des professionnels et des parlementaires - Catherine Troendlé et Michel Amiel pour le Sénat. Il devrait remettre un rapport à la garde des sceaux en mars 2019, qui pourrait être le prélude à une réforme dont la représentation nationale pourrait être saisie dans le courant de l'année prochaine. Il reste à s'assurer que cette réforme ira effectivement à son terme, de précédents projets n'ayant pas abouti faute de volonté politique d'avancer sur ce sujet.

En conclusion, je vous propose un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » de la mission « Justice », inscrits au projet de loi de finances pour 2019.

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