Intervention de Vincent Segouin

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 14 novembre 2018 à 10h05
Proposition de loi organique relative à l'élection des sénateurs — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Vincent SegouinVincent Segouin, rapporteur :

Depuis 2011, l'âge d'éligibilité des candidats aux élections sénatoriales est fixé à 24 ans, alors que celui des candidats aux autres élections a été abaissé à 18 ans.

Ce seuil de 24 ans a été défini pour donner l'opportunité aux sénateurs, représentants des collectivités territoriales au sens de l'article 24 de la Constitution, d'exercer un mandat local avant d'entrer au Palais du Luxembourg.

La proposition de loi organique relative à l'élection des sénateurs, présentée par André Gattolin et plusieurs de nos collègues, a pour objectif de réduire l'âge d'éligibilité des sénateurs de 24 à 18 ans pour plusieurs raisons.

Il s'agit, en premier lieu, de faire concorder âge d'éligibilité et citoyenneté, comme pour les autres élections.

En deuxième lieu, notre collègue André Gattolin rappelle qu'il n'est pas indispensable d'avoir exercé un mandat local pour être élu sénateur.

En troisième lieu, il juge illogique qu'un grand électeur de moins de 24 ans ne puisse se présenter aux élections sénatoriales.

En dernier lieu, il considère que cette proposition de loi organique permettrait de faciliter le renouvellement politique de la Haute Assemblée.

Le Sénat remplit trois missions : voter la loi, contrôler l'action du Gouvernement, évaluer les politiques publiques. Il assure aussi la représentation des collectivités territoriales et des Français établis hors de France.

Conformément à la Constitution, l'équilibre de la Vème République repose sur un bicamérisme différencié mais équilibré. Il est primordial de conserver deux chambres différentes et complémentaires dans notre système institutionnel.

C'est pourquoi deux modes d'élection différents ont été retenus pour le Sénat et l'Assemblée nationale.

Les sénateurs sont élus au suffrage universel indirect. L'âge d'éligibilité est fixé à 24 ans. Le scrutin est majoritaire dans les circonscriptions qui élisent un ou deux sénateurs et proportionnel dans celles qui élisent trois sénateurs ou plus. La durée du mandat de sénateur est de six ans, avec un renouvellement partiel tous les trois ans.

Comme l'a récemment déclaré notre collègue Philippe Bas, président de la commission, le Sénat constitue « ainsi le seul pouvoir non aligné, libre et indépendant ». En effet, « le mode d'élection des sénateurs, leur enracinement dans nos collectivités sont pour la démocratie une garantie de liberté et de pragmatisme ».

Historiquement, le choix de différencier l'âge d'éligibilité entre les deux assemblées date de 1795. À l'époque déjà, la chambre haute devait permettre l'évolution du régime tout en maintenant la paix sociale.

Je rappelle également les mots du Général de Gaulle en 1946 : « le premier mouvement [de l'Assemblée nationale] ne comporte pas nécessairement une clairvoyance et une sérénité entières. Il faut donc attribuer à une deuxième assemblée élue et composée d'une autre manière la fonction d'examiner publiquement ce que la première a pris en considération ».

De même, l'âge des sénateurs est perçu comme un facteur de modération pour la « chambre de la réflexion » louée par Georges Clemenceau.

En outre, nous sommes les représentants des collectivités territoriales. Comment est-il possible de les représenter sans en connaître le fonctionnement ? Certains sénateurs n'ont pas exercé de mandats locaux mais ils sont rares. Si tous les sénateurs étaient dans ce cas, alors les collectivités territoriales perdraient leur confiance dans le Sénat, considérant que ce dernier serait trop éloigné de leurs préoccupations concrètes.

Les débats parlementaires de 2011 démontrent d'ailleurs que l'âge d'éligibilité de 24 ans a été défini en additionnant l'âge de la citoyenneté, d'une part, et la durée d'un mandat local complet, d'autre part. Il s'agit de valoriser l'expérience locale des sénateurs.

Faut-il diminuer l'âge d'éligibilité à 18 ans pour rajeunir l'âge moyen des sénateurs ? Depuis le début de la Vème République, l'âge moyen des députés oscillait entre 50 et 56 ans et celui des sénateurs entre 55 et 61 ans. L'abaissement en 2011 de l'âge de l'éligibilité des sénateurs de 30 à 24 ans et de celui des députés de 23 à 18 ans n'a pas eu d'effet décisif. Les âges moyens entre les deux assemblées étaient assez proches. Je parle à l'imparfait car il y a eu depuis les élections législatives de 2017 ! L'écart s'est creusé puisque la moyenne d'âge des députés est passée à 49 ans tandis que celle des sénateurs est restée à 61 ans. Toutefois, cette évolution est due à l'élection de députés âgés entre 30 et 50 ans. Sur les 27 députés de moins de 30 ans, aucun n'avait moins de 23 ans !

Je me suis également interrogé pour savoir si la jeunesse faisait partie des thématiques abordées par le Sénat. Nos travaux sont-ils adaptés à toutes les générations ? Pour répondre à ces questions, j'ai procédé à l'audition de jeunes députés afin de recueillir leur point de vue. Ils m'ont précisé qu'ils n'étaient pas spécialisés sur le thème de la jeunesse et que leurs opinions différaient peu de celles de leurs collègues. La jeunesse est un sujet abordé au Parlement, suivi et pris en considération par des élus de toute génération.

Enfin, sommes-nous dans une situation différente de celle des autres pays ? Non. Seuls l'Allemagne et l'Espagne ont fait le choix d'avoir des âges d'éligibilité identiques pour la chambre haute et la chambre basse. Mais il est difficile de comparer la France et l'Allemagne puisque les membres du Bundesrat sont désignés par les gouvernements des Länder. La plupart des autres démocraties ont fait le choix de maintenir une différence d'âge pour l'éligibilité aux deux chambres, notamment les États-Unis, l'Italie et le Royaume-Uni.

Enfin, peut-on aborder cette proposition de loi organique sans prendre en considération les projets du Gouvernement concernant la réforme de nos institutions ? Ces projets pourraient d'ailleurs remettre en question les spécificités du Sénat en multipliant par quatre le nombre de départements ne comptant qu'un seul sénateur et en supprimant, pour les prochaines élections sénatoriales, le principe du renouvellement partiel.

Comme l'a déclaré notre collègue Jérôme Bignon en 2003, lorsqu'il était député : « la différence d'âge [entre les deux chambres] est une richesse. N'uniformisons pas les mandats, les modes d'élection et les périodes de renouvellement car nous risquerions de sombrer dans un bicamérisme affadi ».

Je propose donc de ne pas adopter la proposition de loi organique de notre collègue André Gattolin.

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