Mes chers collègues, mon intervention se concentrera sur six problématiques particulières : le péril pesant sur la pêche maritime à la suite du Brexit, l'évolution des crédits affectés à la forêt, les projets alimentaires territoriaux (PAT), les moyens des administrations, le compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » (CASDAR) et, bien sûr, le dispositif TO-DE.
Premièrement, les crédits de la pêche dans le budget qui nous est soumis sont stables par rapport à l'année précédente, à environ 50 millions d'euros, une fois retraitée la compensation de la suppression d'une taxe. Je rappelle d'ailleurs que ce budget ne prend pas en compte les aides européennes du fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP).
Toutefois, pour rebondir sur le propos que vient de tenir Françoise Férat, le Brexit est un défi pour notre sécurité sanitaire. C'est aussi un défi pour nos activités halieutiques. Toute privation d'accès aux eaux britanniques pour les bateaux de pêche français aurait des effets mécaniques dramatiques pour notre économie littorale.
D'un point de vue économique, l'interdiction concernerait plus de 500 navires et plus particulièrement 200 d'entre eux qui réalisent une part importante de leur chiffre d'affaires grâce à la pêche réalisée dans ces eaux. Ceci met en péril 25 % du chiffre d'affaires de la pêche française, soit 250 millions d'euros. En matière d'aménagement du territoire, une telle décision serait désastreuse pour les ports de Boulogne-sur-Mer et de Cherbourg, qui réalisent plus de 50 % de leur activité dans les eaux britanniques.
Enfin, cela aurait un effet direct sur 1 300 emplois de marins, sans compter l'effet sur les industries de transformation ou sur les employés des ports. Ces éléments doivent être rappelés dans le débat public, car c'est l'avenir de nos littoraux qui en dépend.
Deuxièmement, les crédits de la forêt connaissent une évolution contradictoire. S'ils diminuent de 16 millions d'euros en crédits de paiement, c'est en raison de la fin des aides destinées aux propriétaires forestiers ayant subi la tempête Klaus de 2009. En revanche, les autorisations d'engagement croissent de près de 4 millions d'euros grâce à l'augmentation de la dotation au fonds stratégique de la forêt et du bois. Il s'agit d'améliorer la desserte forestière et de favoriser l'aval forestier avec des prêts proposés aux scieries et entreprises de travaux forestiers par Bpifrance.
À plus long terme, notre forêt va toutefois « dans le mur », car elle est en train d'épuiser les générations d'arbres plantés dans les années 1960. Pour maintenir une forêt économiquement rentable et écologiquement efficace, l'Allemagne finance à titre de comparaison 300 millions de plants par an, la Pologne un milliard, et la France seulement 70 millions, alors qu'elle est au quatrième rang européen.
Pour que la forêt française crée des emplois, de la richesse et joue son rôle de stockage du dioxyde de carbone, il faudrait dégager 150 millions d'euros par an pour renouveler nos espaces forestiers et réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Pourquoi ne pas affecter une fraction de la taxe carbone à l'investissement forestier ?
Troisièmement, nous avons été très surpris de ne pas voir tenu un des principaux engagements des États généraux de l'alimentation (EGA) : la valorisation des projets alimentaires territoriaux.
La loi EGALIM contraint les collectivités territoriales à revoir les modalités d'approvisionnement de leur restauration collective afin de mieux y intégrer des produits de qualité, y compris locaux. Comment le faire si les initiatives de structuration des filières locales ne sont pas soutenues ? Les projets alimentaires territoriaux répondent justement à cette ambition. Les acteurs locaux plébiscitent ces outils, pourtant peu utilisés faute de financements adaptés - de l'ordre de 40 PAT en 2018.
Lors des EGA, la cible a été définie à 500 PAT en 2020. C'est très ambitieux, mais comment atteindre une multiplication par douze du nombre actuel sans aucun financement supplémentaire ? Le montant reste le même que celui de l'année dernière, à savoir un appel à projet annuel, doté en tout et pour tout d'un million d'euros. Nous vous proposerons un amendement doublant ce budget dès 2019.
Quatrièmement, les moyens alloués à la conduite de la politique agricole française reculent légèrement.
Le programme 215 contribue à l'effort d'économies à hauteur de 29 millions d'euros cette année. Si la moitié provient d'un jeu d'écriture comptable, des économies seront tout de même réalisées sur les dépenses de personnel du ministère de l'agriculture. Le ministère réalisera 130 suppressions de postes sur un total de plus de 7 000 agents. Ces suppressions auront majoritairement lieu dans les services déconcentrés, à hauteur de 8,5 millions d'euros.
Les subventions allouées aux opérateurs sont quant à elles en légère augmentation, compte tenu de la nécessité de compenser la suppression des petites taxes qui leur ont été allouées auparavant. Dans le cas de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation (Anses), une réserve a été constituée pour faire face au Brexit, notamment en prévision de la surcharge de dossiers à venir sur les médicaments vétérinaires engendrée par la sortie du Royaume-Uni.
J'ajoute que les crédits de l'enseignement agricole augmentent de 20 millions d'euros. Cette augmentation concerne l'enseignement technique, ainsi que l'enseignement supérieur.
Cinquièmement, le compte d'affectation spéciale pour le développement agricole et rural est au même niveau que l'année précédente. Il est alimenté par les agriculteurs et s'adresse aux agriculteurs, puisque sa seule source de financement est le rendement, à hauteur de 19 %, de la taxe sur le chiffre d'affaires des exploitations agricoles et d'une fraction forfaitaire d'environ 80 euros par exploitation.
Comme tous les ans, les actions en faveur de la recherche financées par le CASDAR peinent à trouver des traductions concrètes. Or ces crédits doivent aller prioritairement aux organismes aidant les agriculteurs et doivent promouvoir la recherche de solutions alternatives à certains produits, notamment phytopharmaceutiques.
Près de 50 millions d'euros de reports sont en outre constatés et ne sont pas dépensés. Ils comportent donc le risque de ne pas être redéployés en faveur des agriculteurs. C'est pourquoi nous vous proposons de nous en remettre à la sagesse du Sénat concernant les crédits du CASDAR.
Enfin, il me reste à vous faire part de notre sentiment, commun à tous les trois, concernant la suppression programmée par le Gouvernement du TO-DE, qui représente 142 millions d'heures, 927 000 contrats pour 73 000 entreprises, soit un quart du travail agricole salarié. Je l'ai dénoncée lors des débats, mais le Gouvernement a une vision exclusivement comptable du sujet.
Tout d'abord, la proposition de compromis présentée par le Gouvernement à l'Assemblée nationale ne règle rien, puisque le dispositif serait supprimé en 2021 purement et simplement. Certes, le Gouvernement est revenu en arrière parce qu'à l'époque, un sénateur, aujourd'hui ministre de l'agriculture, avait émis ses plus vives réserves lorsque le Gouvernement avait annoncé la suppression pure et simple du TO-DE.
Cette suppression défie toute rationalité économique.
Premier paradoxe : alors que le Gouvernement entend réduire le coût du travail des entreprises à des fins de compétitivité, il décide d'augmenter sciemment les coûts de main-d'oeuvre au sein des entreprises où ceux-ci sont les plus importants ! La main-d'oeuvre, c'est par exemple 60 % du coût de revient d'une pomme. Face au coût de la main-d'oeuvre saisonnière polonaise, inférieur de 75 % au nôtre, la perte de compétitivité est tout simplement irrattrapable.
Deuxième paradoxe : la proposition du Gouvernement pénalisera les filières les plus investies dans les solutions agroenvironnementales ayant recours à de la main-d'oeuvre saisonnière, puisque les modes de production qui font appel à plus d'agro-écologie nécessitent plus de main-d'oeuvre. Ce n'est pas un signal incitatif pour la transition agricole.
Troisième paradoxe : empêcher les producteurs français d'exporter faute de compétitivité suffisante, c'est saturer le marché français de produits bradés, ce qui va mécaniquement faire baisser les prix, contrairement à la logique prônée lors des EGA.
Le Sénat a exprimé toutes ces craintes lors des débats sur le PLFSS. Il s'est, me semble-t-il, fait le porte-parole de tous les territoires et de toutes les productions saisonnières pour appeler au maintien de ce dispositif.
Nous avons souhaité, Françoise Férat, Laurent Duplomb et moi-même, déposer en notre nom propre des amendements identiques appelant à rétablir le TO-DE dans sa forme actuelle.
L'immense majorité du Sénat - 320 voix pour et 19 contre -, y compris sur les bancs de la majorité gouvernementale, a souscrit à cette démarche transpartisane en adoptant ces amendements. À l'heure actuelle, le dispositif TO-DE est maintenu au-delà de 2021.
Pour aller au bout de la logique, des crédits budgétaires doivent être débloqués pour acter ce maintien. Le Gouvernement a déjà alloué 75 millions d'euros pour financer son dispositif transitoire et considère pouvoir réaliser 30 millions d'euros d'économies supplémentaires sur le périmètre de la mission pour financer le TODE, économies qu'il reste à documenter à ce stade. Il manque donc environ 40 millions d'euros en 2019 pour pérenniser le dispositif.
Considérant que nous ne pouvons trahir le vote du Sénat lors du PLFSS, et par souci de cohérence, nous vous proposons donc d'interpeller le ministre en commission tout à l'heure afin de savoir si l'appel du Sénat au maintien du TO-DE est entendu ou non. Si c'est le cas, il devra débloquer ces 40 millions d'euros de crédits budgétaires supplémentaires.
Si le TO-DE n'est pas maintenu, vos rapporteurs vous recommandent, compte tenu de l'ensemble des éléments évoqués, d'adopter un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission sachant que, l'année dernière, en ce qui me concerne, j'avais dans le doute émis une réserve par rapport aux EGA. Force est de constater que les EGA ne sont aujourd'hui pas à la hauteur des attentes - tous les syndicats agricoles sont unanimes.