La situation de la presse en France demeure critique. En 2009, sept milliards d'exemplaires étaient vendus chaque année. En 2017, moins de quatre milliards. C'est dire l'ampleur des défis auxquels tous les acteurs de la filière sont confrontés. Cette baisse frappe de manière différente les canaux de diffusion, avec une division par deux des réseaux de vente et les familles de presse. La presse d'information politique et générale (IPG) qui est la plus touchée.
Le programme 180 « Presse et Médias » ne représente avec ses 113 millions d'euros qu'un peu plus de 20 % des aides attribuées, qui se composent essentiellement d'exonérations fiscales et sociales. On peut y ajouter le montant prévu sur le programme 134 « Développement des entreprises et du tourisme » pour la compensation versée à La Poste, soit 103,8 millions d'euros, pour parvenir à environ 40 % du soutien au secteur et 217,2 millions d'euros. Les crédits s'inscrivent en baisse de 6 % en 2019 et c'est la diffusion qui supporte cette diminution.
En effet, les aides au pluralisme restent stables et l'aide postale, comme convenu dans le contrat passé avec l'État, baisse de 6,9 %. C'est l'aide au portage qui accuse la plus forte contraction, avec 5 M€ de moins.
Contrairement à ce qu'a pu nous indiquer le ministre à l'occasion de son audition le 14 novembre dernier, cette diminution de 15 % est très supérieure à celle de la diffusion, qui régresse en moyenne de 2 à 3 % par année depuis 10 ans. Elle pourrait se cumuler en 2019 avec la non compensation de la suppression du CICE pour 4 millions d'euros, si l'amendement que, avec l'aide de beaucoup d'entre vous, j'ai fait adopter mercredi dernier dans le PLFSS n'était finalement pas adopté. Cette baisse d'un vecteur de diffusion privilégié par la presse régionale ne s'explique donc pas vraiment par autre chose qu'une logique budgétaire, même s'il faut se souvenir que l'aide au portage a beaucoup augmenté depuis 2008.
Je vais maintenant évoquer la situation de Presstalis.
En effet, les très rares marges de manoeuvre du programme ont été intégralement absorbées par le sauvetage de cette société.
Le seul mouvement notable de crédit est la division par deux, avec 9 M€, du Fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP), au bénéfice de Presstalis. Ce fonds permet à des projets innovants et d'avenir de trouver des financements. Il s'agit là, vous en conviendrez, d'une curieuse manière de répondre aux défis posés par le numérique. Presstalis bénéficie par ailleurs d'un prêt de 90 millions d'euros de l'État, déblocable par tranches, et du soutien « volontaire » des éditeurs.
La situation de Presstalis, qui a fait l'objet de pas moins de sept auditions l'année dernière devant notre commission, est en effet préoccupante.
Elle a été révélée en fin d'année dernière, avec un trou dans les comptes de 37 millions d'euros, très supérieur à ce qui était anticipé. Le déficit d'exploitation de la messagerie n'a jamais été positif. Les fonds propres, qui s'établissaient à - 65 M€ en 2010, se sont creusés, depuis, de 40 M€ par an, pour s'établir en 2017 à - 358 M€. En dépit de réformes impulsées par certains de nos collègues - je pense notamment à David Assouline - la société ne tient que grâce à des aides de l'Etat.
Les raisons de cette situation, que j'analyse en détail dans le rapport écrit, sont multiples.
La baisse des ventes n'est qu'un élément parmi d'autres. Il faut surtout y voir la succession de choix hasardeux et d'échecs coûteux. Ainsi, les plans sociaux successifs ont coûté plus de 150 millions d'euros. Les barèmes ne couvrent pas les coûts, et des initiatives lancées par les précédentes directions n'ont jamais porté leur fruit : les nouveaux systèmes d'information, la refonte de l'organisation logistique, la diversification dans le numérique etc...
Le plan de redressement est porté par la nouvelle Présidente, que nous avons auditionnée ici-même. Du côté des charges, il se déroule à peu près suivant le calendrier convenu, avec le départ de 240 salariés et la vente de 11 des 17 dépôts, qui concentrent le déficit.
Les inquiétudes portent plutôt sur le chiffre d'affaires. Les relations sont conflictuelles avec le grand concurrent, les Messageries lyonnaises de presse (les MLP), et les éditeurs, échaudés, se méfient et hésitent à s'engager sur le long terme.
Le rapport remis par Marc Schwartz à la ministre en juin dernier vise en partie à répondre à cette crise.
Il part du constat que la France se caractérise par une profusion de journaux, comme vous le voyez, à un niveau très supérieur aux autres pays, mais pas par un plus grand nombre de lecteurs, d'où la très faible rentabilité de titres qui, pour une bonne partie, sont en réalité de faible qualité. L'opinion des auteurs du rapport est que cette surproduction est massivement encouragée par le système de diffusion issu de la loi Bichet.
Les solutions apportées sont un véritable « big bang » et signent la fin si ce n'est de l'esprit, au moins de la lettre de la loi Bichet de 1947. Le ministre ne s'est pas encore prononcé formellement dessus. Il serait ainsi mis un terme au statut coopératif obligatoire, au profit de sociétés agréées. Les éditeurs bénéficieraient d'un droit « absolu » à être distribué pour les titres d'information politique et générale (IPG), et d'un droit négocié pour les autres titres. Cela permettrait de mieux régler la question des approvisionnements des points de vente. Enfin, il serait mis fin à l'autorégulation du secteur, qui serait désormais contrôlé par l'ARCEP. Nous sommes maintenant dans l'attente de la position du gouvernement sur ces propositions, et il nous faudra le moment venu nous saisir de ce projet de loi, avec comme optique d'apporter enfin une solution pérenne qui nous garantisse que, tous les trois ou quatre ans, une nouvelle crise et une nouvelle révision de la loi Bichet n'occupe pas l'agenda.
J'en viens maintenant aux kiosques numériques. J'ai organisé une table ronde avec leurs représentants pour essayer de comprendre leur modèle économique et les perspectives qu'ils offrent à la presse.
En effet, si nous sommes tous conscients des dangers du numérique pour le secteur de la presse, il constitue également une très belle opportunité.
La diffusion de la presse quotidienne baisse de manière continue. Cependant, on constate que la part de la diffusion numérique a pour sa part été multipliée par 10 entre 2011 et 2017. Elle a presque compensé les baisses combinées du portage et de l'abonnement postal.
Il n'est pas possible de disposer de la part des kiosques et des abonnements. Les éditeurs rencontrés nous ont indiqué que leur impact était cependant majeur depuis 2016.
Près d'un million de personnes utilisent désormais un kiosque numérique, majoritairement avec la formule du forfait. Il s'agit donc d'un mode de diffusion innovant, mais différent : les éditeurs doivent aussi y trouver leur compte. La distribution est pour eux d'un coût quasiment nul - il suffit d'envoyer un pdf -, mais ils doivent nouer des relations financières satisfaisantes avec les kiosques.
Il faut également voir deux grands avantages à cette diffusion, en ces temps marqués par les fausses informations : les informations ne sont pas filtrées a priori par un algorithme, puisque c'est le journal en intégralité qui est disponible et il s'agit d'une information payante et acquittée par le lecteur, soit une très profonde différence avec l'information disponible en ligne.
Toute proportion gardée donc, le développement des kiosques numériques ressemble un peu à ce qu'a connu la musique avec le streaming. Il reste à voir s'ils pourront trouver un équilibre économique et offrir aux journaux un relai de croissance.
La situation de l'Agence France-Presse, que je vais évoquer maintenant, est complexe, comme l'audition de son nouveau Président devant notre commission le 3 octobre dernier l'a confirmé.
Tout d'abord, son élection a été marquée par une intervention de l'État que l'on peut qualifier de tardive - le matin même du vote - et brouillonne, au-delà de son poids au Conseil d'administration. Si l'État est intervenu de si près, il est en revanche trop peu présent dans la définition d'une réelle volonté stratégique. Les trois tutelles, Culture, Bercy et Affaires étrangères, comme le souligne la Cour des comptes, ont du mal à s'entendre sur ce qu'elles souhaitent pour l'Agence. Enfin, le statut de l'Agence apparait aujourd'hui comme un frein à son développement. Là encore, aucune réponse n'est apportée pour l'instant.
Cette absence de vision est particulièrement problématique car l'Agence est confrontée aujourd'hui à des défis d'ampleur. Son résultat net est négatif, ses revenus connaissent une érosion continue et le soutien public, qui augmente pourtant de 2 millions d'euros cette année, ne pourra pas croitre au cours des années à venir. Cette situation n'est pas exclusive à l'Agence, elle est celle de toute la presse. Ainsi, la part des revenus issue des journaux, aujourd'hui de 32 %, a tendance à baisser, certaines publications n'ayant plus les moyens de s'abonner.
Le nouveau président souhaite accroitre la part de l'image, et soumis à forte contrainte budgétaire, a conçu un plan de départ de 125 personnes et des embauches dans ce secteur pour 35 personnes. Cet axe fort, qui parait par ailleurs tout à fait judicieux, ne doit cependant pas se faire au détriment de la qualité du travail éditorial, qui passe par le texte, comme me l'ont fait remarquer les syndicats de l'Agence que j'ai reçus la semaine dernière.
Il n'est pas certain qu'il existe aujourd'hui un modèle de développement viable pour une agence comme l'AFP. Ses grandes concurrentes de taille mondiale, AP et Reuters, dont les comptes ne sont pas publiés, traversent les mêmes difficultés, mais sont intégrés dans de très grands groupes ou bénéficient du soutien au moins implicite d'État qui y voient un élément d'une politique d'influence. Il faudra donc suivre avec attention les projets du nouveau Président.
Dernier point de mon propos, les projets européens de création d'un droit voisin pour les éditeurs de presse.
Les éditeurs ne captent aujourd'hui que 13 % de la valeur générée par leurs publications sur internet. La Commission a proposé une nouvelle directive, dont l'article 11 permettrait aux éditeurs de mieux faire valoir leurs droits face à l'utilisation de leur production. Les négociations sont longues et complexes : le Parlement européen a une première fois rejeté le texte le 25 juillet, avant de finalement l'accepter le 12 septembre. Les États sont en cours de négociation, et le ministre nous a fait part de sa volonté d'aller vite sur ce dossier.
Deux remarques cependant. D'une part, si des droits voisins sont une solution séduisante, ils ne résoudront pas d'un coup la crise du secteur. Au mieux, ils créeront un cadre de discussion plus acceptable avec les grandes plateformes. D'autre part, l'opposition aux droits voisins n'est pas l'apanage de Google et autres, mais également de certains États qui craignent qu'ils ne contribuent à « figer » le marché au profit des plus grands éditeurs. Les représentants de la presse en ligne que j'ai reçus n'y étaient d'ailleurs pas favorables, car ils voient les risques de détournement. Il s'agit d'un sujet dont nous aurons l'occasion de largement reparler quand se présentera la transposition de la directive.
Sous le bénéfice de ces observations, je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 180.