Chaque année, dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances, notre commission examine les crédits de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca). Placée auprès du Premier ministre, cette structure anime et coordonne les initiatives de l'État en matière de lutte contre les addictions, avec ou sans substances. 2018 doit être l'année du nouveau plan national de mobilisation contre les addictions. Je regrette que la présentation de ce plan par le Premier ministre ait été repoussée à maintes reprises depuis le mois de mars. Cependant, des tendances encourageantes ont émergé cette année. D'une part, l'enquête Escapad, réalisée tous les trois ans qui porte sur les usages de substances psychoactives chez les jeunes de 17 ans, indique des niveaux de consommation de tabac, d'alcool et de cannabis les plus bas enregistrés depuis l'an 2000. D'autre part, la baisse de la consommation de tabac entre 2016 et 2017 a été remarquable, puisqu'un million de consommateurs quotidiens a cessé de fumer. Il faut voir dans cette baisse considérable les résultats de la « guerre au tabac » que mènent les pouvoirs publics à travers le bannissement du tabac de l'espace public, des hausses de prix, le paquet neutre standardisé et des messages sanitaires récurrents sur les dangers du tabac. Cette diminution ne doit néanmoins pas nous faire oublier que le tabac demeure la première cause de mortalité évitable en France : plus de 73 000 décès lui sont imputables chaque année.
L'alcool, qui demeure la substance psychoactive la plus répandue dans la société française, est quant à lui à l'origine de 49 000 décès par an. Des raisons culturelles expliquent que la consommation française d'alcool soit la troisième la plus élevée des pays de l'OCDE. 3,4 millions de personnes sont des consommateurs à risque et l'on estime que 1,2 à 1,5 million de Français sont dépendants à l'alcool.
La France se maintient également dans la fourchette haute des pays consommateurs de cannabis en Europe. Un quart des Français déclare l'avoir expérimenté. Le taux de consommation des 18-25 ans est trois fois supérieur à la moyenne nationale et environ 60 000 jeunes présentent un risque élevé d'usage problématique. Un consensus scientifique existe désormais pour juger que l'usage de cannabis à l'adolescence, et plus particulièrement avant 15 ans, présente des risques importants : chute du quotient intellectuel, troubles de la mémoire, schizophrénie. Pour répondre à cet enjeu de santé publique, le projet de loi de programmation pour la justice 2018-2022 étend la procédure de l'amende forfaitaire au délit d'usage de stupéfiants pour les personnes majeures. Cette amende, d'un montant de 300 euros, constitue une réponse supplémentaire dans l'arsenal juridique réprimant le simple usage de stupéfiants, tout en préservant les autres peines et les possibilités d'orientation vers le soin. Les 10 à 12 millions de recettes escomptées seront allouées à l'ancien « fonds tabac », désormais élargi à la lutte contre les addictions liées aux substances psychoactives. Je reste pour ma part fortement attachée à la possibilité pour le juge d'appliquer une sanction à visée pédagogique : le « stage de sensibilisation aux dangers de l'usage de produits de stupéfiants ». S'adressant aux usagers occasionnels, il permet une information relative à la législation et aux risques sanitaires liés à la consommation de drogues. Toutefois, le montant de ces stages demeure à la charge des personnes qui y sont condamnées, ce qui pose des difficultés lorsque les usagers disposent de ressources limitées. Enfin, il semble urgent d'initier une nouvelle campagne sanitaire nationale de prévention sur les dangers du cannabis, la dernière remontant à 2005.
Si la consommation d'héroïne est stable, l'usage de cocaïne quant à lui est en plein essor, ce qui est à mettre en relation avec l'augmentation considérable de sa production à travers le monde, et donc de sa disponibilité. 6 % de la population française l'aurait déjà expérimenté, soit une multiplication par six en 20 ans. Son usage se banalise en même temps qu'il s'élargit. Les consommations de crack sont à la hausse, principalement en Ile-de-France. La cocaïne basée est désormais consommée à la fois par son traditionnel public de rue mais également par une population mieux insérée socialement.
Pour réduire les risques liés à l'usage de ces drogues illicites, les salles de consommations à moindre risques entament leur troisième année d'expérimentation, puisque celle de Strasbourg comme celle de Paris ont ouvert à l'automne 2016. Un comité de pilotage national, présidé par la Mildeca, permet de suivre l'avancement des dispositifs et supervisera leur évaluation. Les exemples internationaux (Suisse, Pays-Bas, Espagne) prouvent que de telles salles permettent de diminuer le nombre de contamination des usagers par le VHC, dix fois plus transmissible que le VIH. J'ai pour ma part eu l'occasion d'aller visiter la salle accolée à l'hôpital parisien Lariboisière. Son bilan sanitaire est sans conteste positif. La salle a fait la preuve de son utilité, puisque sa file active est constituée de 1 100 usagers, avec environ 200 passages par jour. Deux produits y sont principalement consommés : le skenan, du sulfate de morphine à libération prolongée (42 % des passages) et le crack (43 % des passages). L'âge moyen des usagers est de 37 ans et 87 % sont des hommes. Outre la consommation à moindre risque, l'activité de la structure intègre des consultations médicales et infirmières, un suivi psychologique, des entretiens avec des travailleurs sociaux qui épaulent les usagers dans leurs démarches sanitaires et administratives. Une adaptation du nombre de salles de consommation à moindre risque semble nécessaire en Ile-de-France pour mieux répondre aux besoins des usagers et pour ne pas concentrer toutes les difficultés liées à la consommation de drogues autour d'une structure de taille conséquente.
Sur le front de la réduction des risques, les autorités françaises doivent en outre faire face à l'augmentation de la consommation de médicaments opioïdes et des risques de dépendance afférents. Même si la situation française est sans commune mesure avec la crise sanitaire des opioïdes nord-américaine, à l'origine de plusieurs dizaines de milliers de décès et d'une baisse de l'espérance de vie, le contexte international et le développement de la prescription de médicaments opioïdes forts invitent à une vigilance extrême. Les hospitalisations pour intoxication aux opioïdes ont été multipliées par 2,3 entre 2000 et 2015. Selon le Pr Jean-Michel Delile, psychiatre-addictologue et président de la Fédération addiction, que j'auditionné, le nombre annuel de décès par overdose de médicaments opioïdes atteindrait 500 à 800 personnes. Ces données préoccupantes ont conduit à la mise en place d'une structure de veille : l'Observatoire français des médicaments antalgiques. L'objectif des autorités sanitaires vise à garantir l'accessibilité des opioïdes pour lutter contre la douleur tout en sécurisant au mieux leur utilisation.
Les contours des addictions sans substance demeurant flous, l'enjeu consiste à repérer la toute petite minorité qui, du fait de vulnérabilités particulières, sociales ou psychologiques, sera exposée à une perte de contrôle. L'addiction aux jeux de hasard et d'argent a évolué concomitamment au développement des jeux sur Internet. Les dépenses de jeux des Français sont passées, entre 2000 et 2016, de 134 à 193 euros, soit une augmentation de 44 % ; le pourcentage de joueurs à risque modéré d'addiction a augmenté de 0,9 à 2,2 % entre 2010 et 2016. Si les données scientifiques sont encore insuffisantes pour estimer avec précisions les conduites addictives induites par les écrans, les recommandations actuelles des autorités françaises (notamment la règle des 3-6-9-12) doivent s'accompagner d'un message généraliste sur l'intérêt de limiter leur usage, chez les enfants comme chez les adultes. L'addiction aux jeux vidéo a été intégrée, en janvier dernier, à la classification internationale des maladies de l'OMS. Enfin, la dépendance aux images pornographiques, ou même un visionnage excessif de ces dernières, engendrent isolement, perturbation des relations aux autres et dégradation de l'image des femmes.
Pour faire face à ces multiples défis, la Mildeca dispose de moyens très réduits (17,8 millions) qui poursuivent leur baisse en 2019, de 1,9 % par rapport à 2018. Il faut surtout se rappeler que son budget a diminué de plus de 25 % depuis 2012. La Mildeca bénéficie également d'un dixième du montant fonds de concours « drogues », alimenté par le produit de la vente des biens saisis et confisqués aux trafiquants de drogues et dont le montant s'est stabilisé autour de 14 millions. La Mission consacre cette somme à des actions de prévention.
Les deux opérateurs de la Mildeca, l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) et le Centre interministériel de formation anti-drogue (Cifad), voient leur subvention pour charges de services publics maintenue. Le nouveau directeur de l'OFDT a établi un plan d'action stratégique sur trois ans assorti d'une annexe fixant la contribution de chacun des membres de l'Observatoire. Cette structure d'études occupe une place fondamentale dans l'observation des phénomènes addictifs en produisant des données précises et fiables. L'OFDT a par ailleurs établi trente-huit indicateurs quantitatifs afin d'évaluer concrètement la mise en place du plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022.
Je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de l'action « Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives » du programme « Coordination du travail gouvernemental » de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » du projet de loi de finances pour 2019.