Les crédits de la mission « Santé » s'établiront, en 2019, à un peu plus d'1,4 milliard d'euros. Cela peut sembler modeste sur le plan budgétaire, en comparaison de l'effort consenti par la solidarité nationale au titre de l'assurance maladie, qui s'élèvera à 218 milliards en 2019. Ce montant ne doit pas pour autant nous faire perdre de vue l'indispensable complémentarité de la mission « Santé » avec l'assurance maladie.
La prévention s'impose désormais comme le maître mot des annonces gouvernementales dans le domaine de la santé. Or, en termes de moyens, les intentions peinent encore à se matérialiser. Car, si les crédits de la mission « Santé » progressent globalement de 3,4 %, c'est exclusivement le fait de l'augmentation des moyens dévolus à l'aide médicale de l'État (AME). À périmètre constant, les crédits du programme 204 « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins » diminuent, eux, d'1 %. En leur sein, les moyens des agences sanitaires sont au mieux stabilisés.
Ces opérateurs ont fait l'objet d'une profonde réorganisation et s'engagent désormais dans un mouvement de mutualisation dans le souci d'une plus grande cohérence de nos interventions en matière sanitaire. À cet égard, la mise en place du comité d'animation du système d'agences (CASA) est un signal positif : ce comité coordonne les actions de plusieurs établissements, dont l'établissement français du sang, l'agence nationale de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSéS), Santé publique France, l'institut national du cancer (INCa), l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), la Haute Autorité de santé et l'agence de biomédecine. Cet effort de cohérence et de renforcement du pilotage de l'État est particulièrement bienvenu dans un contexte où la fin des financements croisés d'opérateurs entre État et assurance maladie a eu pour effet de « dépouiller » la mission « Santé » de nombre de ses agences, désormais entièrement financées par l'assurance maladie.
Bien que contrainte de réduire ses dépenses de plus de 13 % au cours des cinq dernières années, l'ANSM a vu ses missions renforcées par la loi Santé de janvier 2016. À ce contexte budgétaire difficile se sont ajoutées les multiples crises sanitaires intervenues dans la période récente (affaire Biotrial, Lévothyrox®, Dépakine®, Androcur®, pénuries de médicaments...) qui ont sérieusement mis à l'épreuve sa capacité de réaction. De plus, le Sénat a appelé, au cours des six derniers mois, à mobiliser l'ANSM sur trois sujets majeurs : l'accès rapide et sécurisé aux innovations thérapeutiques, la prévention et la gestion des ruptures d'approvisionnement de médicaments et le positionnement de la France dans la recherche clinique. Ces défis exigent des moyens renforcés. Après une augmentation salutaire de 6 millions en 2018, la stabilisation de la dotation de l'agence à 118 millions pourrait donc se révéler insuffisante.
Les moyens d'intervention de l'ANSM ne sont notamment pas à la hauteur des enjeux dans la prévention des ruptures d'approvisionnement de médicaments. La mission d'information du Sénat sur les pénuries a pris la mesure des limites du pouvoir de sanction de l'ANSM sur les entreprises pharmaceutiques qui manquent à leurs obligations. Il m'a même été rapporté, au cours de mes auditions, que certaines entreprises sont prêtes à payer l'amende plutôt que mettre en oeuvre des plans de gestion des pénuries pour des médicaments peu rentables. Les plafonds sont en effet insuffisants pour que les pénalités soient véritablement dissuasives.
Une modification législative, le cas échéant dans le cadre d'un prochain projet de loi sur la santé, pourrait alors être l'occasion de renforcer ce pouvoir de sanction, tant dans son champ que dans son impact financier.
J'en viens au sujet de la veille et de la sécurité sanitaires. En rassemblant plusieurs entités éparses en un seul opérateur, la création de Santé publique France a permis d'améliorer la lisibilité et l'efficience de notre paysage institutionnel en matière de veille sanitaire. Ses moyens sont consolidés, mais là encore la pression demeure forte dans un contexte où toutes les agences sanitaires et sociales continuent d'être soumises à un taux de réduction de leur plafond d'emplois de 2,5 %. En effet, à l'heure où, après l'amiante, l'État doit se prononcer sur l'indemnisation des préjudices liés aux pesticides, dont le chlordécone, Santé publique France et l'ANSéS sont fortement sollicitées pour objectiver l'impact sur les agriculteurs et leurs familles de l'utilisation des produits phytosanitaires. Notre système de veille sanitaire continue, de plus, d'être mis à l'épreuve sur d'autres fronts, comme l'ont démontré récemment les cas médiatiques de malformations congénitales dans l'Ain, en Bretagne et dans les Pays-de-la-Loire.
Il convient donc d'appeler l'État à conforter les moyens des agences de veille sanitaire : elles permettent en effet d'ancrer, sur le plan scientifique, la réalité des risques sanitaires, de mieux les prévenir, et en définitive de rétablir la confiance de nos concitoyens dans la légitimité de notre politique sanitaire, tout comme le font la Haute Autorité de santé et le Haut Conseil de la santé publique en matière de vaccination. La polémique entourant les registres régionaux des malformations congénitales constitue un moment de vérité pour notre système de veille sanitaire qu'il nous faut améliorer mais aussi défendre.
En matière de prévention, je souhaiterais également souligner la fragilité du financement du volet « recherche » des plans pluriannuels de santé. L'institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) participe ainsi à de nombreux plans de santé publique : le plan Maladies neuro-dégénératives, le plan France Médecine génomique, le plan Autisme ou encore le plan Maladie de Lyme ; la liste n'est pas exhaustive. Or, pour plusieurs de ces plans, les financements attribués par l'État à l'Inserm sont incomplets, voire absents, puisque seuls 4,5 millions d'euros ont été inscrits dans le projet de loi de finances pour 2019, essentiellement sur la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur », contre des besoins réels évalués à 15,3 millions. L'institut ne peut bénéficier directement de financement de l'assurance maladie dans le cadre de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam). J'interpellerai donc la ministre de la santé en séance sur les solutions qui pourraient être trouvées avec le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche pour le déploiement d'un véritable plan national de recherche en santé publique doté de moyens pérennes.
J'en viens aux crédits du programme 183 « Protection maladie » qui sont composés à 99 % des moyens alloués au dispositif de l'AME. Pour 2019, il est prévu de consacrer 935 millions au financement de l'AME, une progression de plus de 5 % par rapport à 2018. Sur le plan de la sincérité budgétaire, il faut reconnaître que, si les crédits prévus en loi de finances au titre de l'AME de droit commun ont été systématiquement sous-estimés depuis sa création par rapport à la dépense exécutée, l'écart s'est réduit en 2017.
C'est pourquoi l'amendement adopté par la commission des finances qui tend à minorer le programme 183 de 300 millions ne me semble pas aller dans le bon sens, puisqu'il s'agit d'une dépense qu'il faudra d'une façon ou d'une autre prendre en charge. Nous courons donc le risque d'aggraver encore plus la sous-budgétisation que nous dénonçons de longue date. Compte tenu de cette sous-budgétisation, je note d'ailleurs que la dette cumulée par l'État vis-à-vis de l'assurance maladie au titre de l'AME réapparaît chroniquement et s'établit à 50 millions fin 2017. Elle devrait néanmoins être prochainement apurée en loi de finances rectificative, c'est devenu une coutume.
Cette dette ne tient toutefois pas compte de la non-compensation à l'euro près des frais engagés par les hôpitaux au titre des soins urgents des étrangers en situation irrégulière mais qui ne sont pas éligibles à l'AME de droit commun. L'État ne verse en effet qu'une participation forfaitaire à l'assurance maladie de 40 millions par an au titre des soins urgents, inférieure de 25 millions à la dépense réelle en 2017. Ce reliquat est laissé entièrement à la charge des hôpitaux et s'accumule tous les ans, sans espoir d'apurement car il n'est pas reconnu par l'État comme une créance. Sur la seule période 2009-2017, la non-compensation de ces dépenses cumulées s'établit à 475 millions pour les hôpitaux, soit plus que la progression annoncée de l'Ondam en 2019 à hauteur de 400 millions.
En revanche, le renforcement de l'efficience de la gestion de l'AME de droit commun, qui sera désormais confiée aux trois caisses primaires d'assurance maladie de Paris, Bobigny et Marseille, constitue un véritable progrès. Cet effort de mutualisation semble de nature à permettre, outre des économies de gestion, un renforcement du pilotage du dispositif et du contrôle des dossiers, en garantissant une plus grande égalité de traitement sur le territoire.
En matière de lutte contre la fraude, des avancées sont à saluer dans le contrôle de la condition de résidence mais surtout dans l'identification et la condamnation des multi-hébergeurs qui exploitent financièrement des étrangers en situation de grande détresse.
Je souhaite néanmoins insister sur les difficultés rencontrées par les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) dans la détection des demandes formulées par des requérants qui disposent en réalité d'un visa touristique. Par conséquent, je plaide pour un accès automatique des CPAM aux informations des bases « Réseau Mondial Visa » et Visabio, qui leur permettraient de recouper les informations dont elles disposent avec les données relatives aux visas délivrés par les autorités consulaires et les titres de séjour accordés par le ministère de l'intérieur.
Enfin, la commission des finances a également adopté un amendement visant à instituer à nouveau un droit de timbre annuel pour l'accès à l'AME d'un montant de 55 euros. Or ce droit d'entrée représenterait plus de 7 % du revenu maximal des titulaires de l'AME qui restent majoritairement des personnes isolées et constituerait potentiellement une entrave importante dans l'accès aux soins. Rappelons par ailleurs que le pouvoir réglementaire garde déjà la possibilité de prévoir une participation financière du bénéficiaire pour certains soins. Je reste donc convaincue que le renforcement de la lutte contre la fraude, qui enregistre de véritables progrès, reste le meilleur moyen de prévenir les éventuels abus.
Telles sont les principales observations que je souhaitais formuler sur la mission « Santé » du PLF pour 2019 et qui me conduisent à proposer un avis favorable aux crédits de la mission.