Intervention de Pierre Ouzoulias

Réunion du 22 novembre 2018 à 15h00
Loi de finances pour 2019 — Article 37 et participation de la france au budget de l'union européenne

Photo de Pierre OuzouliasPierre Ouzoulias :

À moins de 185 jours des élections du 26 mai 2019, je prends donc la liberté de mettre à profit ces cinq minutes de temps de parole pour vous faire part de mon grand trouble : il me faut donner un avis technique et comptable sur le prélèvement opéré sur les recettes de l’État au titre de la participation de la France au budget de l’Union européenne, alors que le Royaume-Uni s’apprête à quitter celle-ci et que le prochain scrutin risque d’installer au Parlement européen une majorité de députés hostiles aux valeurs humanistes qui, malgré le rejet croissant de l’Europe par les peuples, auraient pu nous mobiliser encore pour la défendre.

Il nous est donc demandé de nous prononcer sur la contribution française à un budget pour lequel les conséquences de la sortie du Royaume-Uni ne sont pas connues, et dont nous ne savons pas quelle utilisation politique en fera la future majorité du Parlement européen. À ces incertitudes majeures s’ajoute le désaccord entre le Conseil et le Parlement européens, qui oblige la Commission à tenter de trouver un compromis entre deux propositions de budget dont les volumes divergent à hauteur d’environ 2 milliards d’euros, soit un peu plus de 1 % du montant global. Je vous rappelle que ce dernier ne représente qu’un peu plus de 1 % du PIB communautaire.

L’élaboration de ce dernier budget de la mandature du Parlement européen aurait pu être l’occasion d’une discussion sur le fond et d’une réflexion sur le projet européen. Or une seule priorité fait consensus : la protection des frontières extérieures et la gestion du phénomène migratoire. Pour le reste, l’action de la Commission européenne semble essentiellement concentrée sur le rejet du budget italien, dont la seule conséquence sera de renforcer le camp de ses opposants.

Ces petites querelles semblent indifférentes, au regard des crises majeures que l’Europe va affronter. Elles ne sont pas dignes des espoirs placés dans la construction européenne par les générations sorties du chaos de la dernière guerre. Elles m’évoquent une œuvre du poète grec Constantin Cavafy, dont je vous lis deux extraits :

« Qu’attendons-nous, rassemblés sur l’agora ?

« On dit que les Barbares seront là aujourd’hui.

« Pourquoi cette léthargie, au Sénat ?

« Pourquoi les sénateurs restent-ils sans légiférer ?

« Parce que les Barbares seront là aujourd’hui.

« À quoi bon faire des lois à présent ?

« Ce sont les Barbares qui bientôt les feront.

« Pourquoi ce trouble, cette subite inquiétude ? – Comme les visages sont graves !

« Pourquoi places et rues si vite désertées ?

« Pourquoi chacun repart-il chez lui le visage soucieux ?

« Parce que la nuit est tombée et que les Barbares ne sont pas venus

« Et certains qui arrivent des frontières

« Disent qu’il n’y a plus de Barbares.

« Mais alors, qu’allons-nous devenir sans les Barbares ?

« Ces gens étaient en somme une solution. »

Comme sur l’agora de Constantin Cavafy, il semble que l’évocation des barbares, ceux de l’intérieur pour certains, ceux de l’extérieur pour d’autres, soit devenue l’unique préoccupation d’élites incapables de proposer aux citoyennes et aux citoyens un projet transcendant qui puisse nous éviter à la fois les replis nationalistes et la gestion libérale et technocratique honnie d’une part toujours plus importante des peuples européens.

Écoutez la jeunesse. Son désir d’Europe est ambitieux, généreux et prometteur. Elle s’est forgée progressivement, dans la tourmente des renoncements successifs, une conscience européenne nouvelle qui demande, pour les citoyens de cette Union future, plus de droits sociaux, plus de solidarité entre les territoires, une défense sans compromis des libertés individuelles, une association étendue et renouvelée au fonctionnement démocratique des institutions européennes et, au-dessus de tout, une action d’envergure en faveur de l’environnement et du climat : l’Union européenne est le seul espace et la seule institution dans lequel et par laquelle il serait possible d’agir efficacement pour sauver notre humanité en danger.

Le projet de budget européen ne traduit aucune de ces ambitions. Pourquoi accepter ainsi la catastrophe annoncée ?

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