Intervention de Jean Bizet

Commission des affaires européennes — Réunion du 22 novembre 2018 à 8h40
Institutions européennes — Relation franco-allemande : rapport d'information de mm. jean bizet jacques bigot philippe bonnecarrère mme laurence harribey et m. andré reichardt

Photo de Jean BizetJean Bizet, président :

Nous vous présentons ce matin les conclusions du groupe de travail constitué au sein de notre commission afin de fournir une contribution à la révision du traité de l'Élysée, comme l'avait demandé le président du Sénat. Cette démarche s'inscrit dans le contexte de l'initiative prise par le Président de la République et la Chancelière en vue d'une réédition du traité, qui devrait être officialisée le 22 janvier prochain à l'occasion de son 56e anniversaire.

Ce groupe de travail, que j'ai eu l'honneur de présider, est composé de nos collègues Jacques Bigot, Philippe Bonnecarrère, Laurence Harribey et André Reichardt.

Nos travaux sont partis de la relecture du traité signé le 22 janvier 1963 par le général de Gaulle et le chancelier Adenauer. Nous avons été frappés par la concision et la force de ce texte qui insiste, à côté de la coopération entre États, sur la nécessité d'une relation plus étroite entre les peuples. L'époque était bien sûr à la réconciliation ; heureusement, on n'en est plus là. Il nous semble en revanche que ce souci des relations entre les sociétés civiles se justifie peut-être plus encore aujourd'hui que Français et Allemands font partie d'une Union européenne à vingt-huit. En effet, les événements nous démontrent quotidiennement que nous vivons dans une société plus inquiète et crispée qu'auparavant.

C'est d'ailleurs la première question que nous nous sommes posés : y a-t-il encore de la place pour une relation franco-allemande privilégiée après soixante ans de construction européenne ? Nous y avons répondu positivement pour trois raisons.

La première, bien connue, c'est que l'entente franco-allemande est le moteur de la construction européenne. Ce moteur est nécessaire, mais il n'est sans doute plus suffisant, d'où la pertinence, par exemple, du format « triangle de Weimar » avec la Pologne. C'est aussi pourquoi, chaque fois que nous le pouvons, nous rencontrons nos collègues d'autres pays qui veulent aussi compter. Au lendemain des élections allemandes, nous nous étions ainsi rendus aux Pays-Bas : ce pays tend de plus en plus à équilibrer le fameux trépied formé avec la France et l'Allemagne.

Au-delà de l'évidence du moteur franco-allemand, nous savons que c'est bien au niveau des peuples, sur le terrain, que se joue aujourd'hui le projet européen. Nous disposons, avec l'Allemagne, des acquis précieux du traité de l'Élysée, ne serait-ce qu'à travers l'existence de l'Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ).

Enfin, sans attendre les décisions à vingt-huit ni même des coopérations renforcées à quelques-uns, nous avons la conviction que la France-Allemagne doit être un espace de 130 millions d'habitants aussi intégré que possible ; un espace attractif, en particulier pour nos jeunesses respectives qui rêvent plus naturellement du grand large. Nos amis polonais ne veulent pas entendre parler de coopérations renforcées, car ils ont peur d'être relégués dans un deuxième, voire un troisième cercle de la construction européenne, quand bien même tel n'est pas le but de ces démarches. Il faut donc pouvoir leur offrir des exemples pratiques de réalisations permises par de telles coopérations.

Comme le rappelle le traité de 1963, l'accès à la langue de l'autre pays demeure un sujet essentiel. Nous proposons de l'élargir, notamment aux jeunes en apprentissage et par l'utilisation innovante des technologies de l'information et de la communication, qui permettent de créer ou de garder le contact avec des correspondants de l'autre côté du Rhin.

De façon plus spécifique, l'expérience du lycée français de Berlin, établissement public allemand dont le contenu et les enseignements relèvent de l'État français, mériterait d'être reproduite. La multiplication de lycées binationaux dans les deux pays irait au-delà des symboles.

Il est un autre domaine qui devrait permettre à la France-Allemagne de constituer cet horizon plus large d'opportunités que nous appelons de nos voeux : l'harmonisation du droit des sociétés. Tout en soutenant les efforts actuellement déployés en faveur d'un code européen des affaires, il nous semblerait pertinent de proposer dès maintenant un statut franco-allemand pour les jeunes entreprises innovantes, autrement dit les start-ups. D'une façon plus générale, il revient à la France-Allemagne de promouvoir, à son niveau, un modèle d'intégration économique, sociale et fiscale qui fait défaut au sein de l'Union européenne. C'est une forme de coopération renforcée déguisée.

Toujours en matière d'innovation, en aval de l'initiative franco-allemande JEDI sur les innovations de rupture, initiative devenue européenne, nous recommandons la création d'un fonds d'investissement franco-allemand dédié, par exemple, aux domaines de l'intelligence artificielle et de la cybersécurité. Il pourrait s'agir d'un fonds à effet de levier public-privé de type « plan Juncker ». Il traiterait notamment des secteurs dans lesquels il n'existe pas de champions nationaux évidents susceptibles d'être mis en concurrence.

S'agissant de la contribution du Sénat, il est aussi essentiel d'aborder la dimension territoriale de la relation franco-allemande. Là où le traité de 1963 prévoyait les premiers jumelages, nous proposons aujourd'hui des coopérations entre régions et métropoles autour du développement durable, en particulier sur le modèle des villes intelligentes, les Smart Cities. Là aussi, la France-Allemagne peut constituer un modèle attractif et exportateur à l'échelle de la planète.

De même, à la lumière de plusieurs travaux de notre commission sur la coopération transfrontalière, nous soutenons les projets - actuellement à l'oeuvre - de création de la nouvelle collectivité européenne d'Alsace. Il s'agirait de pouvoir, dans certains cas, déroger à des règles nationales qui empêchent encore trop souvent la continuité des activités transfrontalières, qu'elles soient économiques, sociales, culturelles ou éducatives.

Nous espérons enfin que, conformément aux positions déjà adoptées par le Sénat, les déclarations faites à l'occasion des commémorations du 11 novembre trouveront une traduction dans le traité en matière de défense franco-allemande et européenne. Le contexte international le commande. Pour mémoire, la défense représente l'une des trois têtes de chapitre du traité de 1963, aux côtés de la jeunesse et de l'éducation, d'une part, et des affaires étrangères, d'autre part.

J'en viens au volet concernant la coopération interparlementaire, dont l'importance avait été soulignée par la déclaration adoptée par le président Hollande et la chancelière Merkel le 22 janvier 2013, à l'occasion du cinquantième anniversaire du traité. Je voudrais saluer l'action en la matière du groupe d'amitié France-Allemagne, présidé par Catherine Troendlé, qui a abouti à une déclaration commune avec le groupe d'amitié du Bundesrat le 20 septembre dernier.

L'un des temps forts annoncés pour l'approfondissement de cette coopération sera la venue au Sénat, le 22 janvier prochain, du président du Bundesrat. À cette occasion, les deux présidents devraient adopter une déclaration conjointe.

Au niveau des commissions des affaires européennes, mon collègue Guido Wolf et moi-même venons d'adopter une déclaration commune, à l'occasion de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (Cosac) qui s'est tenue à Vienne. Cette déclaration s'appuie notamment sur les conclusions de notre groupe de travail. Outre le rôle moteur pour l'Union européenne de la coopération entre nos deux pays, elle insiste en particulier sur l'importance de la relation entre les territoires. Elle prévoit le renforcement de notre coopération s'agissant de sujets d'intérêt commun et de la législation de l'Union, en particulier afin d'assurer le respect du principe de subsidiarité. À propos de ce principe, nous avons déploré, lors de la Cosac, le fait que la task force présidée par M. Timmermans a été particulièrement sourde à nos recommandations.

Voilà l'essentiel des conclusions de notre groupe de travail sur le traité de l'Élysée. Elles ont vocation à être transmises au président du Sénat. Avant de les arrêter définitivement, il me semble toutefois indispensable d'achever la concertation que nous menons actuellement avec nos amis du Bundesrat. Il est aussi souhaitable de prendre en compte les observations qui seront faites au cours de l'échange que nous avons aujourd'hui au sein de notre commission.

Sur ces bases, nous pourrons finaliser notre rapport d'information sur la relation franco-allemande, qui intégrera l'ensemble des recommandations de notre commission et dont vous serez appelés à autoriser la publication au cours d'une prochaine réunion.

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